Des « héros du quotidien » attaquent l’État en justice
Portés par un cabinet d’avocats de Toulon, une dizaine de soignants et policiers saisissent la justice pour dénoncer les carences « délibérées » des autorités dans la préparation et la gestion de la crise
Pénurie d’équipements de protection, variations dans les discours sur l’utilité des masques, maintien du premier tour des élections municipales alors que dans le même temps les écoles, les cafés et restaurants étaient fermés… Les autorités sanitaires devront-elles rendre des comptes sur leur gestion de la crise une fois l’orage passé ? Une plainte pour « mise en danger
(1) délibérée de la vie d’autrui » et « abstention volontaire de prendre ou de provoquer des mesures permettant de combattre un sinistre » a été adressée au procureur de la République de Paris par une dizaine de soignants et de policiers du Var et des Bouches-du-Rhône. Portée par un cabinet d’avocats inscrits au barreau de Toulon, la démarche vise également à faire reconnaître le « préjudice d’anxiété » de ces professionnels exposés sans protection adéquate au risque de contamination par le Covid-19. Pour ce volet, c’est le tribunal administratif de Toulon qui sera saisi à l’issue du confinement.
Infirmiers, sages-femmes, kinés et fonctionnaires de police. « Nos clients ne comprennent pas le dénuement dans lequel on les laisse en matière de protection », justifie Me Laurent Gavarri (CFG Avocats). Selon l’avocat toulonnais, les autorités sanitaires n’ont pas respecté leurs obligations en matière de prévention. « Le risque est parfaitement connu des pouvoirs publics. Deux rapports parlementaires et deux plans de préparation à une pandémie grippale, publiés entre 2005 et 2009, ont fait l’analyse du
Me Laurie Franchitto.
(Photo doc M.G.) rôle essentiel des masques FFP2 et des masques chirurgicaux .»
« Travailler la boule au ventre »
Les récentes tergiversations autour de l’utilité de ces fameux masques ne seraient, dès lors, liées qu’à l’absence de stocks plutôt qu’à des considérations scientifiques. « Cette communication est dangereuse », déplore Me Gavarri. « Cette pénurie de masques, mais aussi de blouses et de gants, résulte d’une politique de santé – délibérée – qui remonte à plusieurs années, poursuit le pénaliste. On a choisi de faire prévaloir la conservation des deniers publics sur la préservation de la santé publique… » De son côté, son associée, Me Laurie Franchitto, entend ouvrir le front d’une « action indemnitaire » en faisant
Me Laurent Gavarri.
reconnaître la responsabilité des pouvoirs publics.
« La faute de l’État, c’est l’absence de protection. Et de cette faute découle un préjudice d’angoisse, déjà consacré dans les affaires de l’amiante ou du Mediator, voire un préjudice corporel en cas de contamination. Nos clients, qui exercent des métiers de vocation, vont travailler la boule au ventre. Ils ont peur d’être contaminés et de contaminer leurs proches. Mais on leur dit qu’ils sont des héros et qu’ils n’auraient pas le droit de se plaindre. » 1. La plainte vise trois organismes étatiques : la direction générale de la Santé (ministère des Solidarités et de la Santé), l’agence nationale Santé publique France et l’Établissement pharmaceutique pour la protection de la population face aux menaces sanitaires.