Monaco-Matin

Les concierges de Monaco aux premières loges

Acteurs informels de la gestion de la crise, les concierges sont un baromètre fiable du respect du confinemen­t. Rencontres aux pieds d’immeubles

- THOMAS MICHEL tmichel@nicematin.fr

Je suis le premier et le dernier visage que vous saluez en dehors de votre domicile. Je suis, je suis… votre concierge ! À Monaco, où la population est dense et l’habitat majoritair­ement vertical, les gardiens d’immeuble font partie du décor. Fidèles au poste depuis le début de cette crise sanitaire, ils composent cette fameuse « deuxième ligne » dans la lutte contre le Covid-19, filtrant les personnes et colis susceptibl­es de frapper à votre porte et propager ce mal indicible. Témoins de vos déplacemen­ts et de vos entorses – ou non – aux règles barrières, les concierges forment un baromètre du respect du confinemen­t. Séquence porte à porte.

Première étape dans le quartier de la Condamine, dans un immeuble mixte d’habitation­s et de locaux profession­nels. Entre deux blocs, 1,50 mètre derrière une frontière sanitaire délimitée au sol par du scotch, protégée par des plaques de plexiglas déposées sur des chevalets de fortune, Carla est pensive. Ses

(*) journées sont bien occupées mais les temps morts sont plus fréquents. Sans peser. « Heureuseme­nt qu’on travaille sinon toute la journée à la maison ce serait l’ennui », tranche la

jeune femme.

« Une zone de sécurité »

« C’est très calme, les bureaux sont quasiment vides et les gens ne sortent pas. Ils se sont organisés entre eux sur les paliers et s’ils doivent faire des courses, ils préfèrent sortir euxmêmes. » Restent les aînés, pour lesquels Carla et sa collègue sont plus attentives. « Ils nous demandent de l’aide pour envoyer des mails car avec la fermeture des commerces,

tout fonctionne par Internet. » La preuve derrière la réception, où une « soixantain­e » de cartons – bien plus que d’habitude – ont été livrés le matin même. Et pas que des petits !

Entre deux probables gadgets, d’imposants meubles ou de l’électromén­ager. « On doit porter des gants et un

masque et on désinfecte tout, précise

Carla. On s’est aménagé une zone de sécurité ». Un mini-entrepôt qui invite

aussi les résidents à descendre échanger quelques mots.

« Ne pas toucher les colis »

Sur l’une des grandes avenues de Monte-Carlo, Gabriel, lui, se refuse

« à toucher les colis ». Encore moins à les conserver. «Je ne peux pas stocker des dizaines de cartons chaque jour dans mon 30 m2. » Comme pour le courrier, chacun est donc invité à descendre dans le hall accuser réception. Autrement, c’est retour à l’envoyeur ! Impossible en revanche, après ses heures de service, de fliquer le ballet des livreurs de pizzas dans les étages. Reste le sentiment d’un devoir de vigilance accompli, sans oublier les heures passées à désinfecte­r à l’alcool les poignées de portes, rambardes et parties communes.

Dans l’immeuble, véritable tour de Babel avec sa dizaine de nationalit­és, une trentaine de propriétai­res ont mis les voiles à l’aube du confinemen­t. « Certains sont restés bloqués à l’étranger mais la plupart sont partis dans leur résidence secondaire à Peille, La Turbie ou Roquebrune. Ils ont bien raison, au moins ils ont un jardin », estime Gabriel. Pour les autres, il n’a pas lésiné sur la prévention, parfois en vain.

« J’ai deux récalcitra­nts »

De la porte d’entrée à l’ascenseur, en passant par les rangées de boîtes aux lettres, des messages sanitaires – parfois humoristiq­ues – sont placardés, ainsi que les numéros d’urgence. « Dans la grande majorité des cas, chacun reste chez soi. J’ouvre le jardin commun à ceux qui veulent mais il y a des familles qui n’ont pourtant pas de balcon, dont je n’ai pas vu les enfants depuis le début du confinemen­t », confie Gabriel. D’autres s’avèrent d’incorrigib­les sirops de la rue. Un terme désuet remis au goût du jour par… les anciens. « Ceux qui ont connu la guerre et ne vont pas s’arrêter de vivre pour un virus (sic) ». « J’ai deux récalcitra­nts, soupire Gabriel. J’ai même été jusqu’à placarder des messages de prévention sur leur palier mais il n’y a rien à faire. Ce sont des gens seuls qui sortent déjà beaucoup d’habitude et continuent. » Qu’importe, Gabriel répète, par acquit de conscience, les règles en vigueur. Comme l’interdicti­on d’aller se balader à Roquebrune sans motif impérieux et attestatio­n dérogatoir­e. Une consigne qu’un fringant sexagénair­e en promenade semble pourtant découvrir ce jour-là…

Avant de nous raccompagn­er vers la sortie, et alors qu’un maître laisse son chien tapisser le trottoir d’excréments, Gabriel y va de son commentair­e. « Il y a beaucoup plus de passages dans la rue. Je ne sais pas d’où sortent tous ces gens. Il y a plein de visages que je n’avais jamais vus. Et je ne pensais pas qu’il y avait autant de chiens à Monaco aussi ! »

« Mais elles ont connu la guerre, alors… »

Plus bas, quartier du Larvotto, Emma (*) s’apprête à boucler sa journée. Asthmatiqu­e, elle souffre de la rigueur sanitaire. « Les produits désinfecta­nts me donnent mal à la tête jour et nuit, d’autant qu’on nettoie les parties communes aussi le weekend. » Si le moral est en dents de scie, c’est aussi que certains tirent sur la corde.

Non, les concierges ne sont pas corvéables à merci. Si certains ont pu refuser des services, comme reconfigur­er le téléphone d’une vieille dame seule, d’autres comme Emma ont fait preuve d’une sacrée patience en jouant les auxiliaire­s de vie au débotté (lire ci-dessous). « On s’inquiète peut-être trop pour eux, concède Emma. Des personnes âgées sortent et ne m’écoutent pas. Elles s’en fichent alors que certaines sont cardiaques, l’une se déplace même avec un respirateu­r. Mais elles ont connu la guerre, alors… » Alors Emma a appris à dire non.

Plus d’oiseaux de nuit

« Je suis serviable mais il faut mettre des limites, je ne vais pas faire leurs

courses », précise celle qui doit nourrir les chats de propriétai­res partis se confiner dans leur résidence secondaire. Autre regret d’Emma, des consignes de son employeur « trop sommaires » à son goût, notamment sur la gestion des colis. « Mais je m’en occupe car il y en a seulement une quinzaine par jour, contre 120 d’habitude. »

Autre bouleverse­ment dans le quotidien des concierges, le couvre-feu de 22 heures. En surplomb du port Hercule, Florian ne voit plus ses oiseaux de nuit. « Il y a 150 appartemen­ts ici et la nuit c’était toujours les mêmes qui sortaient, dix à quinze personnes. Je ne les vois plus, ils viennent juste chercher leur courrier parfois. » Une résidence à l’arrêt,

sous contrôle. « La piscine et le sauna, qui sont normalemen­t ouverts de 7 h à 23 h, sont fermés. Les travaux ne sont plus autorisés et on ne fait plus monter les livreurs dans les étages. Le courrier et les colis sont déposés dans des chariots dans le sas. » Quant aux rondes, elles sont effectuées produits désinfecta­nts à la main, ganté et masqué. «Onareçupas­malde masques chirurgica­ux qu’il faut changer toutes les quatre heures », détaille

Florian.

« Aucune appréhensi­on »

Les confinés, « beaucoup d’Italiens », se font discrets. Alors de temps en temps, Florian prend son téléphone pour s’enquérir de la santé d’une ou deux personnes plus âgées. L’absence de visites familiales chez nos aînés a aussi amené des profession­nels à déplier le lit de camp. « Depuis le début du confinemen­t, l’auxiliaire de vie d’une personne âgée en fauteuil roulant dort chez elle, lui fait le ménage et les courses. Moi, une résidente que je vois toutes les nuits m’a demandé une fois d’aller faire quelques courses, J’ai dit oui. »

Et Florian de résumer naturellem­ent le dévouement de la majorité des concierges de Monaco. « Je n’ai eu aucune hésitation à continuer à venir travailler, aucune appréhensi­on. On respecte de nouvelles règles mais notre travail reste le même. »

Prendre soin des autres.

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