Chernobyl
Pas besoin de faire long pour marquer les esprits. En cinq épisodes, Chernobyl a gagné le respect sur un sujet pourtant loin de faire travailler les zygomatiques. Sur le papier, la mini-série de HBO est entièrement dédiée à la catastrophe nucléaire survenue en Ukraine, sur la centrale de Tchernobyl, dans la nuit du 25 au 26 avril 1986. Pas de quoi franchement se marrer sur son canapé... Pourtant, la série va rapidement caracoler en tête, notamment sur la plateforme mondiale IMDB, référence en la matière, avec une note globale de 9.7 sur 10. De quoi mettre dans le rétroviseur des monstres comme Breaking Bad (9.5), Game of Thrones (9.3) ou The Wire (9.3). Un succès tel que les demandes touristiques pour aller visiter la partie décontaminée du site ukrainien ont bondi de 35 % dans la foulée des diffusions. Surréaliste et qui démontre aussi, un peu, la folie de notre époque.
Car raconter la catastrophe de Tchernobyl c’est bien, la montrer c’est mieux. D’une qualité esthétique au-dessus de la moyenne, la création de Craig Mazin glace le sang. Jusqu’ici, l’imaginaire comprenait assez aisément ce que voulait dire le terme « irradier ». Avec Chernobyl, on visualise. Froidement. Durement. Violemment.
Mensonges d’État
Et la manière dont la série est filmée rend hommage à cette atmosphère, c’est glaçant, à la limite du sépia, comme si une fine pellicule invisible s’était déposée devant nos yeux. Bien évidemment, Chernobyl ne se borne pas seulement à raconter ce qui s’est passé au sein du réacteur 4 en cette fin avril 1986. L’idée, et le parti pris des créateurs, est de pointer les mensonges d’État qui ont pris le relais. Car il s’agit d’une série produite par l’Ouest sur une tragédie survenue à l’Est et forcément les relents de la Guerre Froide ressurgissent rapidement. Ainsi, en Russie et en Ukraine les critiques ne se sont pas fait attendre puisque la télévision d’état russe a parlé d’un « mensonge brillamment tourné » à propos de la série. Pourtant, Chernobyl trouve le moyen de nous scotcher d’entrée avec cette introduction – six minutes suffocantes – qui place les téléspectateurs en 1988, soit deux ans après le drame. Là, un survivant, haut placé, se confie à un magnétophone puis dépose la cassette dans une cache à l’extérieur de son domicile avant de se donner la mort. Dans la foulée l’histoire revient deux ans et six minutes en arrière. Au coeur de la nuit du 25 avril 1986. À 1 h 23, l’un des réacteurs de la centrale nucléaire ukrainienne explose. Pourquoi ? Comment ? Quelles conséquences pour l’Europe ? Des questions auxquelles le gouvernement de l’URSS et l’appareil étatique ne voudront jamais répondre, laissant ses propres hommes aller se sacrifier sur l’autel de la raison d’État. L’URSS ne pouvait pas admettre publiquement son erreur. Officiellement, il n’y a pas eu de faille et il n’est pas concevable de révéler au monde cette incapacité à gérer un problème si grand.
Toute une génération sacrifiée
Alors le gouvernement soviétique va s’enfoncer dans le mensonge et sacrifier toute une génération. Des pompiers, des civils, des militaires, des scientifiques. Il y a dans cette forme de déni étatique un terrible écho à la gestion chinoise de la pandémie du Covid-19. Tout est sous contrôle, ne vous inquiétez pas en quelque sorte. Mais derrière le discours officiel, il y a cette centrale et ce noyau atomique qui se consument à ciel ouvert, libérant dans l’air des particules radioactives. En 1986, la censure existe et les réseaux sociaux ne sont pas de ce monde, il est donc plus « facile » de garder un secret, même le plus effroyable.
Dans ce labyrinthe de non-dits, il y a pourtant des hommes qui tentent de s’élever, des personnages ayant vraiment existé comme Valeri Legassov (Jared Harris) et Boris Shcherbina (Stellan Skarsgard) ou encore le personnage fictif campé par Emily Watson.
La frontière entre la loyauté aveugle et le déni est mince dans l’URSS de 1986. Alors certains ont obéi tout en remettant en cause le discours officiel mais, à cette époque, Moscou voulait des coupables. Il y aura d’ailleurs un procès, que la série aborde de manière romancée. La série se sert de cette tribune pour mettre en cause la conception des réacteurs soviétiques et expliquer que la faille initiale est le résultat terrible d’une volonté permanente de réduire les coûts. Pointer du doigt un problème de conception revient à pointer le régime. Et ça, c’est dangereux. Mais dans les faits, le procès avait surtout pour but de trouver des coupables. Des boucs émissaires. C’est ainsi que les trois responsables de la centrale ont payé pour les autres. Car si défaillance il y a eu, elle ne pouvait être qu’humaine. Bienvenue en URSS, camarade.
MATHIEU FAURE mfaure@nicematin.fr
Une brutalité fidèle aux faits pour l’Ouest, un mensonge bien habillé pour l’Est