Des renforts policiers
Patrouilles renforcées, arrivée imminente d’une unité de force mobile (60 agents) : l’Etat réagit après la troisième fusillade consécutive aux Moulins, après celles des Liserons. Est-ce suffisant ?
Une dizaine d’individus masqués, armés et vêtus en mode commando, poursuivent leur proie jusque devant un supermarché, au son de tirs d’arme de guerre. Cette scène surréaliste s’est jouée à Nice-Ouest, dans le quartier de Moulins, lundi à h . La victime, blessée au pied, a déguerpi sans attendre la police. Les assaillants étaient hier soir en fuite, eux aussi. Selon nos informations, quinze douilles ont été retrouvées. L’enquête pour tentative de meurtre confiée à la PJ de Nice s’ajoute à une inquiétante pile de dossiers. Deux scènes similaires ont déjà marqué les esprits aux Moulins ces dernières semaines. À l’autre extrémité de la ville, plusieurs fusillades ont glacé les Liserons. Les renforts policiers annoncés par l’Etat suffiront-ils à stopper l’escalade des quartiers niçois ?
« Le renfort des 60 policiers sur ce quartier va donner une bouffée d’oxygène aux collègues qui travaillent toute l’année là-bas. » Nicolas Vincent, secrétaire départemental adjoint du syndicat Alliance-police nationale, salue la décision du ministre de l’Intérieur. Lundi soir, le cabinet de Gérald Darmanin annonçait à Nice-Matin l’envoi d’une unité de force mobile de 60 agents (CRS ou gendarmes mobiles) de Paris vers Nice. De son côté, la préfecture mettait en place sept patrouilles nocturnes aux Moulins. Double réponse face à l’urgence. Mais dans certains quartiers niçois, le mal est profond.
« Triste habitude »
« C’est de plus en plus terrible. Cela fait un mois que ça dure, avec des coups de feu tirés quasiment chaque semaine », soupire Nicolas Vincent. « On tombe dans une espèce de triste habitude », acquiesce Laurent Martin de Frémont, secrétaire départemental d’Unité-SGP FO. Ces derniers mois, les Moulins avaient déjà défrayé la chronique avec des heurts au début du confinement, l’agression d’une infirmière, ou celle d’un policier au nez fracturé par un poing américain.
Police non grata
Par ces temps d’alerte sanitaire, ce quartier classé en zone de sécurité prioritaire souffre d’un mal plus ancien : le trafic de drogue. Pour les policiers, il ne fait aucun doute que ces fusillades à répétition en sont un symptôme aigu. Bien au-delà des barres HLM récemment reconstruites des Moulins.
« Les collègues sont attendus à chaque fois qu’ils rentrent dans la cité, témoigne Nicolas Vincent. Les cités s’organisent pour éviter de voir traîner la police dans le quartier, avec des choufs [guetteurs] partout, des trafics de plus en plus importants. On ne peut pas dire que ce sont les quartiers Nord de Marseille, mais on s’en rapproche de plus en plus... »
Un policier azuréen, familier des quartiers sensibles, confirme en off: « Ils se sont adaptés. Quand on entre dans la cité, ils crient «À l’affût ». Quand on s’approche d’un point deal, c’est «Ara!Ara!» À l’entrée d’un parking, il y a un « portier ». Si la police arrive, ils bloquent l’accès avec des poubelles, des matériaux de chantier... »
Les de la drogue
Halls d’immeubles, porches, jardin public à proximité d’une église... Les points de deal sont partout. Et mouvants, à la faveur des réseaux sociaux. « Ça s’appelle des points de drive, explique ce policier familier de la technique. Les mecs ont des sacoches, se filment en voiture, montrent où aller et le balancent sur Instagram ou Snapchat. Quand le client vient, le charbonneur [dealer] ouvre sa sacoche et montre son matos. Avantage : les gens n’ont plus besoin de sortir de voiture. Et ils sont mobiles. Pour fidéliser le client, ils font parfois des promos, des cadeaux... »
Plus jeunes et violents
Dans les territoires de la drogue, les frontières bougent, elles aussi. Au risque de provoquer un choc des plaques tectoniques, lorsque les business plans de deux clans se télescopent. « C’est à celui qui restera le plus longtemps pour avoir la totalité du marché, constate Nicolas Vincent. On peut parler d’escalade. On arrive à des scènes de guérilla urbaine : tirs, jets de grenade... » Violence no limit. D’autant que «la délinquance du quartier se rajeunit de plus en plus », observe ce syndicaliste. « En ce moment, les plus violents, ce sont des minots, atteste notre témoin off. Les grands ne se mouillent plus les mains. Ils ont trouvé de la bonne matière première – des gamins livrés à eux-mêmes, en échec scolaire, qui veulent s’acheter un iPad ou des Nike. Les grands les briefent, leur donnent les plaques d’immat’, les photos des collègues... » Résultat : une violence désinhibée, en mode jeu vidéo. « Et ça se passe à 100 mètres d’un commissariat... »
Sa part du gâteau
Charbonneurs, choufs, livreurs, nourrices... Les rouages du marché des stups sont multiples, remarque Nicolas Vincent. «Ilyade plus en plus de monde impliqué, et qui gagne de l’argent avec ce trafic.
Petit à petit, ça se développe et tout le monde veut croquer. » Tout le monde ? Plus exactement, une minorité qui grossit et répand la loi du silence. Au détriment de tous ceux qui n’aspirent qu’à vivre en paix. « C’est difficile de faire une enquête dans ces cités, où une peur s’installe : personne ne voit rien, personne veut rien dire... »
« On a laissé faire »
Laurent Martin de Frémont soupire. Il renvoie la balle dans le camp des gouvernements successifs. « On a laissé faire. Les flics ne demandent qu’à faire leur job dans ces quartiers. Mais depuis vingt ans, les gouvernements n’ont pas eu le courage politique de nous dire d’y aller. Ils ont peur que les cités s’embrasent, peur de revivre Villiers-leBel. » Le spectre des émeutes de 2005 rôde encore. Pour notre policier off, l’équation est « insoluble. On a laissé pourrir tout ça. Depuis quinze ans, je n’ai jamais vu autant de points de deal et de quantités ».