Monaco-Matin

Des Liserons à Bon Voyage :

Après la guerre des gangs, la paix est revenue. Les checkpoint­s dissuasifs de la police ne seront pas éternels. Visite façon TripAdviso­r des cités de l’est de Nice malade du trafic de drogue

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C’est une cité HLM ocre accrochée à la colline. On ne peut n’y venir qu’ à pied. Ceux qui vivent là ne veulent surtout pas jeter les clés. Un mois après les scènes de guerre dont les Liserons et au-delà les cités de l’est de Nice ont été le théâtre, la paix est revenue. Presque irréelle. Si fragile cependant.

Au rond-point de la bretelle d’accès à l’A8, les contrôles de police ont longtemps été permanents. Difficile de faire plus dissuasif. Aux quatre coins du quartier, de vrais checkpoint­s étaient installés par la police nationale. Là, ou les dealers « tenaient le mur » depuis les postes avancés du « chouf » – deux chaises, une paire de jumelles, deux guetteurs qui font les trois huit –, un fourgon de la Nationale est garé. Tout est bleu. Empêcheurs de dealer en rond ! Mais jusqu’à quand ?

Une semaine ? Dix jours ? Un mois ? La soixantain­e rigolarde, Khaled ne se berce d’aucune illusion : « On est en sursis. Le jour où les flics vont lever le camp, et les rois de la poudre et du H seront illico libérés, délivrés ». Au-dessus du masque anticovid qu’elle ne quitte jamais, le regard de Fatima se brouille : «Ce calme-là, il fait presque du mal… Ça nous renvoie à quatre cinq ans en arrière. C’était pas le Pérou ici, mais c’était notre chez-nous. Tu avais toujours une cinquantai­ne de voyous qui foutaient le bordel, mais pas cette guerre. Il y avait encore du respect. »

En déambulant, sous un soleil de plomb dans la cité des Liserons, Fatima s’improvise guide touristiqu­e d’une cité en danger.

Ici, montre-t-elle du doigt, il y avait des dizaines de voitures ventouses. «Il n’y a pas que le shit ici. Ça trafique grave les voitures. C’est le truc des Géorgiens, ça ! Si tu n’es pas branché voiture, tu me donnes 30 vrais euros, je reviens dans une demiheure avec un billet de 50 aussi faux que le meilleur des vrais ».

Salle de shoot à l’ombre des figuiers

Là, elle pousse le portail qui mène au site de la Colle du Mont Gros. Un sentier qui grimpe à flanc de colline. De gros investisse­ments ont été consentis en 2010 pour transforme­r ce coin de paradis à un jet de pierre de la cité en parcours botanique. Des jardins familiaux ont même été ouverts. Sous les fragrances crémeuses qu’exsude la petite forêt de figuiers sauvages, l’envers du décor bucolique est celui d’une salle de shoot à ciel ouvert. Il y a un mois avant la guerre des gangs de la drogue, les toxicos y avaient érigé des tentes de fortune pour se shooter à l’ombre des figuiers et des regards : « Plus personne n’emmène ses gosses se balader ici. C’est pourtant sublime non ?... si tu fermes les yeux pour ne pas voir les seringues partout, tous les restes de la petite cuisine de la défonce qu’ils laissent derrière eux. »

Un peu plus loin, Fatima sonne au parlophone de l’ultime immeuble de cette cité cul-de-sac. Elle marmonne quelque chose dans son masque :

« Quand tu vois ce quartier, tu te dis que l’architecte qui l’a construit, il ne s’est pas un seul instant projeté locataire de cette impasse ». On lui ouvre. Une volée d’escaliers. Puanteur âcre et étouffante. Toxique. Une dernière marche… Ravagé, dévasté, tapissé d’une couche graisseuse de suie, calciné de fond en comble, le palier du 1er étage est dans cet état… depuis qu’un incendie s’est propagé un soir de décembre dans les parties communes. Retour dans la cité, Fatima s’arrête. Une pause pour reprendre son souffle empêché par son masque anticovid ? Non, elle termine sa visite par le local à poubelles : « Il est propre comme jamais. C’est par sorcier à comprendre : les entreprise­s peuvent venir faire leur boulot sans flipper… Ce sursis, il faut qu’on en profite. Regarde, avec toute cette police dans la cité, les agents de la ville ou je ne sais pas ont pu faire un grand ménage. Les épaves, elles ont été toutes enlevées. »

Le voilà, le « I have a dream » des vrais gens des quartiers est de Nice. « Ne plus avoir la trouille de vivre là où on se sent bien ». Un rêve d’autant plus douloureux qu’il ne se paye d’aucune illusion. La pandémie des trafics est vécue comme une fatalité. Mohamed, 35 ans, est né ici. Ses études, il les a faites au collège Bon Voyage : «Jeme rappelle le principal. Il était juif et je peux te dire qu’avec les pères de mes potes, tous très musulmans pourtant, ils étaient sacrément de connivence pour nous faire la misère quand on sortait des clous ». Sous couvert d’anonymat absolu, il raconte l’envers du décor de son quartier. D’abord, la révolution digitale du deal qui a tout changé. Puis la nouvelle stratégie RH des gros bonnets du trafic.

Le « New Deal » venu d’ailleurs

A lui seul, il est le TripAdviso­r vivant de l’économie souterrain­e. Il sort son smartphone, ouvre l’applicatio­n Snapshat et déroule la story d’un dealer du coin qui vante ses produits à coups de posts scénarisés, en mode marketing digital, punchlines et émoji : «Aun moment, ils collaient des affiches dans le quartier. Depuis quelques mois, et encore plus avec le confinemen­t, ils sont passés à Instagram et Snapshat. Tu prends rendez-vous

‘‘ avec eux en les suivant sur les réseaux sociaux. Ils te donnent une heure, un lieu, pas toujours le même. Ensuite c’est le principe du drive, comme chez Leclerc… Plus de deal à la sauvette, C’est super cadré. Ils ont besoin de moins de personnel, du coup c’est encore plus tendu. »

Les DRH de la Cannabis company niçoise ont du coup adapté leurs organigram­mes à cette nouvelle donne. Fini l’artisanat local.

De nouvelles têtes sont apparues dans le quartier. Longtemps tenu par les minots des Liserons ou de Bon Voyage, payés entre 50 et 200 euros la journée de guet aux abords des lieux de vente, le « chouf » - NDLR : système d’alerte en cas d’opération de police – s’est « industrial­isé ».

Les minots ont perdu leur job, remplacés par des soldats du deal – entre 15 et 18 ans – venus de Dijon, Toulouse parfois, mais essentiell­ement de la région parisienne et de la SeineSaint-Denis. Le 93 règne sur le trafic du 06, notamment dans les quartiers est de Nice ? Mohamed ne s’aventure par sur ce terrain-là : « Il est clair que les gros bonnets du coin ne sont que les petites mains aux ordres de gros réseaux qui dirigent ça de loin. Il se dit que c’est dans le quartier Las Planas à Nice Nord que tout se décide. D’autres assurent que les vrais boss sont dans le 93. En vrai, tout est possible… » Sauf que le lien entre ce « New Deal » avec la guerre qui a secoué le quartier, Mohamed le fait aisément. «Le minot du quartier qui faisait le chouf, il vivait là. C’était un voyou en herbe, mais il

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Plus personne n’emmène ses gosses se balader ici”

Les vrais boss sont dans le ”

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(Photo L. B.) Après les scènes de guerre du mois dernier, un calme précaire règne aux Liserons.
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Le site de la Colle du Mont Gros... on y voit des seringues au milieu d’un sentier emprunté par les habitants. (Photo J.-F.R.)

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