Monaco-Matin

Tereza Lochmann Mémoires gravées

Lauréate de la résidence d’artiste du musée Picasso, la jeune créatrice a choisi de rester confinée à Antibes. De ce temps long sont nées des oeuvres imprégnées d’imaginaire et de réel

- PROPOS RECUEILLIS PAR M.-C. A mabalain@nicematin.fr

En février, Tereza Lochmann s’est installé Villa Fontaine, dans le Vieil-Antibes, avec un programme bien tracé. Lauréate de la résidence d’artiste organisée par le musée Picasso, la jeune créatrice d’origine tchèque, qui vit à Paris, allait mettre ses pas dans ceux de son prédécesse­ur. Vivre dans la « maison de poupée » qui domine le Safranier, propriété de la Ville, travailler, animer des ateliers, donner une conférence, exposer... Mais la pandémie a tout bouleversé. Tereza Lochmann a choisi d’être confinée à Antibes. Pour continuer à créer. Une chance pour la cité qui expose aujourd’hui ses oeuvres, gravures sur bois, dessins et céramiques nées de ce temps imposé, étrange mais propice au recul et à la réflexion : « Graver dans la mémoire. Tereza Lochmann, voir la mer ».

Vous êtes nostalgiqu­e de cette période ?

Je ne connaissai­s pas Antibes auparavant, ni la Côte d’Azur. Quand je suis arrivée en février, il n’y avait dans la vieille ville que les habitants. C’était calme. Puis, le confinemen­t a amplifié ce calme de façon inouïe. Les rues étaient désertes. Depuis, je suis repartie à Paris et là, en revenant, je retrouve une ville si différente. C’est un peu étrange pour moi. Je ne suis pas nostalgiqu­e mais l’Antibes que j’ai connu me semble une autre ville. Surtout le Vieil-Antibes ! C’est un sentiment difficile à exprimer, le postconfin­ement...

Comment avez-vous continué à travailler ?

J’ai eu le temps d’observer et dessiner dans mes carnets ce que je voyais depuis la terrasse de la maison. Des arbres, des palmiers, des animaux... Les rues étaient à eux. La nature continuait sans nous. Le monde sauvage qui rôde toujours dans notre monde moderne et « civilisé » m’interpelle. Comme l’image du chien dans la mythologie, l’un de mes thèmes favoris. Pendant le confinemen­t, les goélands étaient les rois. Beaux, fiers et féroces. L’un a volé le poisson que j’avais laissé dans une assiette sur la terrasse (N.D.L.R. : plusieurs dessins et gravures, les représente­nt).

Comme je n’avais plus accès au grand atelier mis à dispositio­n, j’ai dû adapter mon travail aux dimensions de la petite maison (rires). J’ai pu achever les grandes gravures en bois que j’avais commencé pendant la résidence avant confinemen­t. Pour les impression­s, je travaille avec une petite presse, d’ailleurs inventé par un Tchèque ! J’appelle cela la gravure nomade.

Au final, ce confinemen­t pour l’artiste est une chance ?

Oui. Cette période a incité au recul et à la réflexion. Un temps plus long. Plus calme. Toutes les sensations étaient plus profondes : le bruit de la mer, les sons dans la rue, les parfums. Je m’en suis nourrie, imprégnée. La réalité du monde de tous les jours, mais qui n’était plus le même qu’avant, a alimenté mon imaginaire.

La réutilisat­ion fait partie de votre oeuvre ?

Je n’aime pas acheter du neuf, du propre pour mes supports. Pour la gravure, je récupère des planches en bois, des bouts de meubles... À Antibes, j’ai ramassé du bois flotté. J’adore. J’imprime aussi des empreintes d’objets ou de têtes de poisson, sur papier japon ou d’autres supports comme des cartes de marine qu’on m’a donnée. J’ai aussi récupéré des bouts de filets de pêche. Le travail des pêcheurs, la vente des poissons sur le port, les goélands m’ont beaucoup inspirée (N.D.L.R. : notamment pour les trois grands formats gravure sur bois et monotype sur papier japon « Montagne sacrée »).

Autorisati­ons de sorties, masques... vous ont inspiré ?

C’était l’évidence. Comme je n’avais pas d’imprimante, je remplissai­s chaque jour, à la main, une autorisati­on de sortie. Je trouvais ça fatiguant. Et puis, j’ai eu l’idée de les garder et de les intégrer, comme support.

Vous avez pu découvrir d’autres moyens d’expression ?

Cette expérience m’a permis d’oser employer d’autres supports pour lesquels je pensais n’être pas faite, comme la vidéo. Cela a été un bonheur de travailler la céramique et le plâtre. J’ai appris avec l’artiste Ho Lui qui travaille dans le Vieil-Antibes. C’est le moulage de n’importe quel objet ou presque. Ce qui est intéressan­t c’est l’empreinte que laisse la réalité. Pour la céramique, j’ai travaillé au musée Picasso. Un grand bonheur.

‘‘

J’appelle cela de la gravure nomade”

‘‘ L’empreinte que laisse la réalité”

Vous avez un autre atelier qui a dû être suspendu...

Je vais bientôt le poursuivre en septembre. C’est un projet avec une école, à Sainte-Foy-la-grande, près de Bordeaux : « Les géographes de l’imaginaire ». C’est la création d’un monde réinventé, avec une carte géante qui le représente. « Graver dans la mémoire. Terez a Lochmann, voir la mer ». Jusqu’au 20 septembre, du mardi au samedi.. Espace d’exposition « Les Arcades, 18 boulevard d’Aguillon à Antibes. Entrée libre.

Tél. 04.92.90.91.00. www.antibes-juanlespin­s.com

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