« Leurs carrières seront beaucoup plus développées que ce qu’on a pu connaître »
Richard Marangoni, directeur de la Sûreté publique de Monaco
Cette promotion a effectué une formation condensée dans le temps. Peut-on envisager que cela devienne la norme ?
Non, car c’est difficile pour les formateurs. Même s’il peut y avoir des échecs, ils ont une obligation de résultats et la pression est forte. Les cours se préparent et évoluent chaque année aussi, et c’est très compliqué en termes d’organisation.
C’est une exception car il y avait une vraie problématique d’effectifs et une priorité, la création de l’UPCV (Unité de préservation du cadre de vie, lancée en février ).
Il fallait qu’on apporte une réponse rapide sans négliger la formation. Elle a été plus condensée, en restant centrée sur les fondamentaux, mais il était hors de question de sacrifier la promotion. On a supprimé quelques stages pratiques mais tous les modules théoriques sont restés.
La crise sanitaire a débuté juste après l’affectation des agents et lieutenants stagiaires. Un sacré test. Les retours de terrain de leurs tuteurs ont-ils été bons ?
Oui. Le travail a été fait et j’ai eu de bons retours de la population et des autorités également. On ne travaille jamais pour avoir des remerciements, c’est notre job et notre devoir, mais quand on a un retour positif ça fait plaisir, il ne faut pas se le cacher. Et sur l’aspect pédagogique de leurs interventions, des personnalités de la société civile m’ont dit qu’ils avaient été très corrects et courtois.
Jeunes recrues ou policiers expérimentés, cette crise sans précédent a remis tout le monde au même niveau…
Absolument. Nos conditions de travail ont dû être adaptées tout en ayant une mission essentielle de contrôle. Dès le premier jour, on était dans la rue. Bien sûr, au début il y avait une certaine appréhension face aux contrôles qui n’étaient plus les mêmes.
Il y avait une inquiétude normale et légitime. Les gestes barrières n’étaient pas encore assimilés et il a fallu, au niveau de l’encadrement, faire preuve de beaucoup de pédagogie pour que la mission soit bien faite. Au final, contrôles ont été effectués en près de deux mois.
Beaucoup de prévention et donc d’échanges avec les gens…
On a verbalisé dans un second temps, après quelques semaines, entre-temps il fallait faire preuve de pédagogie et expliquer aux gens pourquoi ils devaient chez eux. Ça nécessitait un contact et donc un risque de contamination. C’était compliqué psychologiquement.
Un agent stagiaire a été «mis sur la touche » pendant un mois et demi car son épouse était enceinte. Des précautions qui ont bénéficié à tous ?
On a pris des mesures sociales pour tous les personnels, soit sur le plan de la santé parce qu’ils pouvaient présenter des risques, soit pour préserver leur famille.
Les stagiaires restaient en poste durant heures, des journées parfois très longues vu le contexte…
Douze heures, c’est long et fatigant physiquement. Certes il y a des pauses mais il y a beaucoup de statique et de position debout. C’est très pesant. En plus, c’était des vacations d’une semaine pour pouvoir faire des rotations et confiner du personnel. C’est très dur et cela nécessite une force psychologique car il faut être vigilant et motivé, même s’il n’y a personne dans la rue. D’où le rôle très important de l’encadrement. Aujourd’hui, plus que jamais, le management, c’est la gestion de l’humain. Il faut être proche des gens, leur expliquer, être disponible, leur faire confiance, déléguer – sans que ça exclue le contrôle. Mais le fil conducteur c’est la proximité. Moi-même, dès que je peux sortir et aller au contact du personnel dans la rue, je le fais. Là, c’est un cas typique, dans des conditions hors norme, sans schémas antérieurs sur lesquels on pouvait s’appuyer. Je remercie les gradés et l’encadrement.
Avec des mesures qui évoluaient et étaient floues parfois…
On a une explication plus directe du gouvernement à notre niveau, mais la transmission d’informations est capitale. Il faut que l’information soit claire jusqu’à la base.
Vous avez insufflé une politique de mobilité interne, qu’en est-il ?
Auparavant, vous pouviez avoir des carrières où vous restiez trente ans à la police judiciaire, par exemple. J’estime que ce n’est pas bon intellectuellement parce qu’il faut se remettre en cause, y compris avec d’autres collègues. Aujourd’hui, c’est un principe acquis, dès qu’on passe un grade, on bouge. Pour exercer son commandement et ses responsabilités ailleurs.
Cette volonté de remise en question n’a jamais été perçue comme une contrainte ?
C’est accepté et même demandé. Prenez l’exemple de la brigade des mineurs, c’est difficile. Vous voyez des enfants en situation de détresse, des personnes vulnérables, etc. Il y a des fonctionnaires qui sont venus me voir après un certain nombre d’années en me disant : “Je n’en peux plus, il faut que je fasse autre chose”. Et je comprends. Tout ça participe au fait qu’il y a un mouvement permanent en interne. Les jeunes découvrent que leurs carrières seront beaucoup plus développées que ce qu’on a pu connaître. Aujourd’hui, dans le privé, un cadre est amené à faire plusieurs entreprises dans sa carrière. Ici, c’est pareil.