Les éleveurs veulent que leur réalité soit (re)connue
Éleveur d’ovins dans la Roya, Mickaël Viale est l’un de ceux qui ont manifesté leur mécontentement au cinéma Le Bégo. « Ce film n’avait pas à passer à Tende. C’était une manière un peu forte de l’arrêter mais il fallait qu’on se fasse entendre, explique-t-il. Pendant quelques années, on a su souffrir en silence. On n’a pas fait de scandale. Mais le 2 août, ces braves gens sont venus présenter leur film. Sauf que c’est de la fiction, pas un documentaire. » Et c’est là que le bât blesse. Du point de vue de l’éleveur et de ses acolytes, les images montrées sont trop éloignées de la réalité. De leur réalité.
« Le loup déjoue tout »
« Moi, ça fait longtemps que je vis avec la présence du loup, j’ai eu énormément de pertes. Pas autant qu’en 2014, ces dernières années, mais la peur reste. J’ai dormi beaucoup de nuit avec mes brebis, j’ai dû installer des toilettes dans la cabane pour que mes enfants n’aient pas à sortir la nuit. On essaie de s’adapter mais le loup déjoue tout. »
Mickaël indique avoir notamment diminué la taille de son troupeau, pris plus de chiens – il a désormais 11 patous –, avoir fait appel à un berger pour augmenter la présence humaine. Mais rien n’y fait. « J’ai connu la liberté avec mes bêtes. Jusqu’en 2000, il y avait beaucoup d’endroits où le loup ne se trouvait pas. Maintenant, où que j’aille il y a une meute. On a beau envoyer nos agneaux à l’abattoir, jusqu’au bout on ne veut pas qu’ils stressent. »
Cohabitation impossible L’éleveur le reconnaît : les aides apportées par l’État et l’Europe sont précieuses. « On est tous passionnés, mais on ne pourrait pas vivre de notre métier autrement. » De même, l’autorisation de tirer le loup pour se défendre – en dehors de la zone coeur du Parc – leur a permis de retrouver le sommeil. Reste que, d’après lui, la cohabitation avec le loup est impossible. « On ne demande pas l’extermination, mais que les pro loups trouvent des moyens pour qu’ils ne mangent pas nos brebis. On s’est bien rendu compte avec le confinement que les gens avaient besoin de nous : quand les frontières ferment, la production française est nécessaire. » De son point de vue, les choses n’ont pas suffisamment avancé à ce jour pour qu’un débat sur le loup ait un sens. « Des gens qui sont pour sa présence, j’en connais plein, on évite simplement d’en parler. Le loup, nous, on le subit. C’est un sujet sur lequel on ne veut pas discuter. »
Présidente de l’association des éleveurs de la Roya – et conseillère municipale déléguée au développement agricole à Breil –, Julia Bonnet a également assisté à la scène. Sans y prendre part, précise-t-elle. Venue avant tout soutenir le pastoralisme au regard de ses fonctions, elle reproche au film de Jean-Michel Bertrand de ne montrer que de « belles images ». Sans le revers de la médaille.
« Colère mal exprimée »
« Il n’y a rien sur les conditions difficiles de la vie en montagne : pas d’eau, pas d’électricité, des bêtes tuées et éventrées… Les éleveurs subissent régulièrement des attaques de loup, cela crée une fatigue morale. Quand je faisais mon bac pro dans le centre de la France, ma première jument – que j’avais mis des années à dresser – a été tuée. C’est quelque chose qui marque à vie », assure-t-elle. Consciente que la projection n’aurait pas dû se passer ainsi, qu’il s’agissait de « colère mal exprimée ». Au sein de l’association qu’elle dirige, Julia Bonnet entend recréer un lien en valorisant la viande de la vallée. Inciter à travailler de manière collective.
Réunion le septembre Dans cette logique, elle souhaiterait que tous les acteurs parviennent à une entente. « J’oeuvre pour qu’il y ait une discussion, pour une nouvelle approche. L’objectif serait de parvenir à utiliser les connaissances de chacun pour régler au mieux le problème », analyse-t-elle. Le 2 septembre, une grande réunion est programmée avec tous les acteurs – le Parc, les élus, les éleveurs. Elle espère que l’occasion se présentera de discuter. Et d’écouter.
« Personne n’a d’intérêt à ce qu’on se divise dans la vallée… »