Monaco-Matin

Au coeur d’une maraude sanitaire à la frontière

Tous les jeudis, des bénévoles de l’associatio­n Médecins du monde se rendent à Vintimille pour prodiguer des soins médicaux aux migrants qui en ont besoin. Reportage auprès d’une équipe

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Les visages ne sont pas les mêmes d’une semaine sur l’autre. Mais les chasubles à l’effigie de Médecins du monde les rendent immédiatem­ent identifiab­les. Tous les jeudis, une équipe de bénévoles de l’associatio­n se rend à la frontière pour assurer des soins aux migrants. Généraleme­nt, ils sont entre trois et quatre, présentant des profils différents. Dans un objectif d’efficacité et de complément­arité. Ce jour-là, Sandrine et Anne-Rachel entament leur maraude au-dessus de la frontière du pont Saint-Louis. Là où le collectif Kesha Niya et des alliés ont aménagé un petit espace pour donner à boire et à manger aux migrants refoulés par la police française – à l’embranchem­ent pour monter à Grimaldi Superiore. Là où ces derniers attendent qu’un bus les ramène vers la ville qu’ils pensaient, quelques heures auparavant, avoir quittée. Vintimille.

« Moyens du bord »

Ce jeudi, peu avant 19 h, 70 personnes se sont arrêtées là, à leur sortie transporte­nt des bacs en plastique des préfabriqu­és. Aux quelques migrants remplis d’un large panel de pansements restés sur place, Sandrine et et de comprimés achetés Anne-Rachel demandent s’ils ont en Italie – la distributi­on de médicament­s besoin de médicament­s, si tout va français à l’étranger étant interdite. bien. Quelques-uns montrent leurs « C’est un peu du bricolage, jambes ou leur bras. « On soigne on fait avec les moyens du bord. Au souvent des lésions cutanées. Ils ont début, on venait avec des sacs à dos des plaies, parfois des scarificat­ions et une frontale », expliquent-elles, liées à des attaques de panique », plaçant un carton devant un jeune explique Sandrine. L’infirmière de Afghan pour qu’il puisse y poser sa formation, qui se décrit comme un jambe. Grâce aux indication­s de ses « bébé bénévole », avait intégré la réserve cousins qui l’entourent, Anne-Rachel sanitaire pendant le confinemen­t. comprend que les adolescent­s À son retour de Paris et du – ils ont 16 et 17 ans – sont passés Grand Est, elle a souhaité poursuivre par les Balkans. Ils ont essuyé trois son engagement échecs avant de réussir

‘‘ à l’échelle à entrer en Italie depuis locale. Anne-Rachel, On soigne la Slovénie. À chacune qui travaille des personnes soignées,

souvent pour sa part en les bénévoles psychiatri­e légale, des lésions posent de courtes questions a davantage : âge, origine, depuis

cutanées” d’expérience au combien de temps sein de l’associatio­n. ils sont en route. La plupart De maraude en maraude, elle du temps, les réfugiés ont pris a pu toucher du doigt certaines réalités un an ou deux avant d’arriver à la méconnues. frontière franco-italienne. « Toutes « Les migrants sont dans un modus de ces données servent à l’associatio­n survie. Ils ont pour logique d’avancer pour le plaidoyer », souligne AnneRachel. et la psychologi­e passe derrière. Tant Précisant que leur travail qu’ils marchent, ils ne pensent pas. est tourné vers le soin, mais relève Mais le psychotrau­ma lié à l’exil est aussi de la prévention : les données un fait. » récupérées sur le terrain permettent Faute d’avoir pu venir à bord du d’alerter si un problème venait camion de Médecins du monde, à être détecté. dans lequel se trouve toute une panoplie Une fois tous les soins effectués, de matériel, les deux bénévoles les deux volontaire­s repartent. Direction

le terrain vague au niveau de l’église Sant’Antonio, qui accueillai­t autrefois femmes et enfants. Depuis des années, des maraudes alimentair­es se tiennent sur place. Les carabinier­s sont nombreux à l’entrée. Ce soir-là, ils ne bougeront pas, mais l’ensemble des associatio­ns peut témoigner qu’ils viennent souvent les contrôler.

Au loin, une femme passe de manière fugace avec un bébé entre les bras. « Le petit est âgé de 11 jours, il est né dans le camp juste avant son démantèlem­ent », indiquent les bénévoles. Précisant qu’il est en bonne santé.

De nouveau, Sandrine et Anne-Rachel font un petit tour des groupes de migrants pour savoir si tout va bien. La grande majorité secoue la tête. Remercie. Pour faire respecter la distanciat­ion, les deux femmes distribuen­t un numéro à ceux qui ont besoin de soin pour qu’ils se présentent un à un. En dix minutes, le coffre de leur voiture est aménagé de manière à ce que les exilés puissent s’y asseoir. Pendant que les docteurs du soir s’exécutent, quelques migrants montent un terrain de foot, avec deux sacs pour délimiter les cages de but. À l’entrée du terrain vague, les solidaires continuent, pour leur part, à distribuer des assiettes de nourriture. Un jeune homme dont on soigne les pieds raconte que la police croate l’a frappé. Un autre garçon, dont les boutons se sont infectés au point de saigner, explique avoir couru pendant vingt-cinq jours pour fuir la Croatie. Il n’avait pas vu de médecin depuis. Il repart avec les deux tibias bandés. Un camarade d’infortune, qui maîtrise l’anglais, assure la traduction. « Sur le chemin, on rencontre beaucoup de problèmes : les moustiques, le manque d’eau, les policiers dans les Balkans. Il y a deux jours, des amis m’ont dit qu’ils leur avaient enlevé les chaussures. Et qu’on leur a pris tout leur argent », indique l’interprète du soir, Segid (photo ci-dessus). Avant d’arriver ici, le jeune Afghan a étudié pendant un an au Pakistan. Il souhaite obtenir le statut de réfugié en

France pour continuer ses études. Une partie de sa famille a réussi à obtenir des papiers en Allemagne. « Je veux une vie meilleure », résume-t-il.

À ses côtés, un homme à peine plus âgé insiste pour que Segid traduise son histoire. Il est Kurde, a quitté l’Iran. « S’ils te trouvent avec de l’alcool, ils te tirent dessus ou ils te pendent, glisse-t-il. Les pays où les Kurdes vivent sont gérés par des dictateurs : Syrie, Turquie, Iran. Il n’y a pas de futur pour nous, pas de liberté. » À la nuit tombée, la quasi-totalité des migrants a quitté les lieux. Mais les bénévoles de Médecins du monde le savent : plusieurs d’entre eux seront présents à la prochaine maraude.

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Lors de leur maraude, Sandrine et Anne-Rachel se chargent principale­ment des lésions cutanées.
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