Monaco-Matin

Une pluie d’enfer

Une première étape dantesque au coeur de la course sur une moto, ça se raconte

- MATHIEU FAURE

Quand on a vu le jour en Seine-Saint-Denis dans les années 80, rien ne nous prédestine à vivre un grand départ de Tour de France depuis Nice sur une moto. Hier, ma naïveté s’est donc confiée à Romain Champion, 35 ans, pilote chevronné de l’organisate­ur ASO. Electricie­n au civil, Romain vient de faire le Dauphiné et adore le vélo. Il habite à Vichy, en Auvergne, où le Tour passera d’ici une dizaine de jours. C’est surtout un sacré pilote. Clairement, Romain porte très bien son nom de famille parce qu’hier, quand le ciel balançait des hallebarde­s sur le peloton, on était au coeur de l’apocalypse et il n’a jamais tangué. Tout avait pourtant bien commencé. 13h15, rendez-vous sur la ligne de départ, il faisait encore beau. Romain : « Salut, tu as déjà fait de la moto ? » - «Non».

- «Ah» . Silence. Ça commence bien. Mais Romain n’est pas un champion pour rien. Pédagogue, il délivre les principale­s consignes de sécurité. Sur la moto, pas de téléphone dans les mains, port du masque obligatoir­e et on part à l’aventure. On prend la montée de Cimiez, le public est là, partout, masqué en permanence. « On va monter tranquille­ment jusqu’au départ réel, ensuite ça va accélérer un peu », prévient Romain.

A ce moment, on a du mal à interpréte­r le « accélérer un peu » .On voulait voir. On a vu. Comme Tom Cruise dans Top Gun, on est rapidement happé par le rythme de la course. Sur la première accélérati­on, on va être totalement transparen­t avec vous, l’estomac a fait du yoyo entre la bouche et le fondement. Mais on gère. Tête haute.

Dans la roue de Thomas Voeckler

La première traversée d’Aspremont est dantesque, on se croirait dans l’Alpe d’Huez avec une foule à tous les coins de rue et un village qui s’offre au Tour de France. Place à la première descente... En vélo, on dit que ça frotte. Et effectivem­ent ça frotte. Une cinquantai­ne de motos, près d’une centaine de voitures, 176 coureurs et tout se monde se croise au millimètre. Ça klaxonne, encore et toujours, on entend des pneus qui crissent mais cette noria de suiveurs obéit surtout à un régulateur de course - manteau et casque rouge - qui gère tout ce petit monde tel un chef d’orchestre. Il y a un peu d’Amadeus de Milos Forman dans sa manière d’être debout, sur sa moto, pour délivrer les permission­s de sortie. Car même si la course est en mouvement, tout est régi et carré. Bien placé, Romain nous amène derrière les trois échappés dans la plaine du Var au coeur de la 202 bis. On est pile dans le sillage de la moto de France TV sur laquelle

Thomas Voeckler a pris place. Ouais, on a pris la roue de Voeckler sur plusieurs kilomètres sur la route du Tour. Dans le plus grand des calmes. Cette première descente, nerveuse, sera finalement la plus cool de la journée car la pluie s’invite rapidement dans la course. Enfin la pluie, des seaux d’eau pendant plus de deux heures. Et une deuxième course commence. On est trempé. Rincé. Mouillé. Frigorifié. Pour vous donner une idée c’est comme piquer une tête, habillé, dans une piscine avant de filer s’asseoir à son poste de travail sans se sécher. Alors quand la roue arrière chasse plusieurs fois dans la descente sur la route humide, on essaie de se la jouer détendu. «Çava?» demande Romain. « Tranquille ». Mensonge honteux mais assumé. Malgré la pluie et le port du masque obligatoir­e, les Azuréens sont là. Partout. Ils attendent le Tour comme une offrande. Un cadeau au coeur d’une année difficile. Tout le monde s’est donné rendez-vous sur la route, sur des sièges pliables, un muret, un talus, un trottoir ou un cadre de vélo. Il y a des enfants, des grands-parents, des chiens, des jeunes, un peu ronds, des gens déguisés, des familles, des voisins.

Brice de Nice, Jojo le clown et « Tonton pastis »

La route du Tour a quelque chose d’unique. Comme un carnaval à ciel ouvert. On remarque Brice de Nice à Levens, Jojo le clown et El Diablo à La Roquette-sur-Var, mais aussi Iron Man, une famille qui a sorti une immense bouée Licorne dans la descente de Castagnier­s, une pancarte saluant « Tonton pastis », une autre « Yates you can » ou ce sénior, maillot Mercier sur le dos, qui ressemble à feu Raymond Poulidor dans la plaine du Var. La pluie n’a jamais chassé ces amoureux du Tour de France qui avaient pris place depuis le matin. Il fallait être là, malgré le contexte, pour faire de ce grand rendez-vous une fête. Voir passer le tour n’est pas qu’une simple expression, c’est un rite. Un pèlerinage. Etre témoin de tout ça est un cadeau. Là, dans ce corridor officiel sur l’asphalte, on se balade au coeur de la course. On remonte les files de voitures, on double des coureurs et puis, surtout, on traverse les Alpes-Maritimes autrement. Sur chaque passage la même rengaine. Les gens sont heureux de nous voir, que ce soit la caravane du Tour, une voiture de l’organisati­on ou une simple moto de la presse. Alors on se prend au jeu, on salue les enfants aux sourires coquins. On distribue de la sympathie à gauche, à droite, tel Jacques Chirac au salon de l’Agricultur­e. La France, c’est ça au fond. Même sous la pluie, même dans un virage en épingle où un couple d’amoureux a garé son camping-car et regarde passer le Tour avec une télévision satellite de fortune installée dans le coffre, la magie opère. C’est inexplicab­le car le peloton passe tel une fusée mais tout le monde dégaine son portable sur son passage. On est juché à l’arrière de notre moto. Le paysage défile. Un masque. Un téléphone. Un autre masque. Un autre téléphone. Un masque. Encore un masque. Un téléphone. Encore un téléphone. Et ce décor, somptueux, sur les hauteurs de Levens.

Du monde partout, toujours

Et puis il y a cette arrivée sur la Promenade des Anglais. Comme un goulot qui se resserre pour nous amener sur la ligne d’arrivée noire de monde. Une ligne que l’on va franchir à trois reprises avec ce système de boucles. Ce public, qui a répondu en masse sur tout le parcours, est la preuve irréfutabl­e que rendre le Tour de France à huis clos est impossible. Le Tour c’est le public. Le Tour c’est la vie. Quelque part, on n’a jamais été aussi proche de ressentir ce que traversent les coureurs sur leur vélo. Là, au milieu de cette marée humaine qui n’a d’yeux que pour eux. C’est vivifiant. Prenant. Impression­nant. On redoute les sensations fortes, on est plutôt voie de droite sur l’autoroute, Christophe Maé en fond sonore avec l’héritier qui compte les pâquerette­s. Alors, on a beau terminer cette aventure trempé, grelottant comme jamais avec une odeur de chien mouillé, on peut remercier Romain, notre ange gardien, de ce numéro d’équilibris­te permanent car oui, on s’est fait secouer. Alors que la suite de l’aventure risque d’être plus calme, on va se concentrer sur un autre objectif, tout aussi vital : récupérer un bob Cochonou.

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(Photo Sébastien Botella) Nice-Matin a embarqué avec Romain Champion, un sacré motard sous la pluie.

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