Jean Dellamonica : « Plutôt qu’inquiet, je suis prudent »
Qu’est-ce qui a été modifié dans la prise en charge des malades en réanimation ? Le profil des patients a-t-il changé ? Quelle est la place des corticoïdes ? Le chef de la réa de l’Archet 1 à Nice répond
Le Pr Jean Dellamonica est chef du service de médecine intensive réanimation dédiée au Covid-19 à l’Hôpital l’Archet 1 (service du Pr Bernardin) à Nice.
Le nombre de cas positifs progresse à grande vitesse. Y a-t-il de nouveau une hausse des cas graves en réanimation ?
Les cas positifs se comptent surtout parmi les patients jeunes, âgés de à ans, beaucoup moins vulnérables ; jusqu’à récemment, on recensait ainsi peu de cas très graves. Les patients que l’on accueillait arrivaient assez tôt pour bénéficier du traitement par corticoïdes et de l’oxygène à haut débit [lire ci-dessous] ,en évitant l’intubation. Mais les choses se sont dégradées ces derniers jours.
Comment expliquer ce revirement de situation ?
C’est mécanique : avec l’augmentation globale du nombre de contaminations, on assiste à une hausse proportionnelle des cas graves.
Quel est le profil des patients atteints de formes très sévères ?
Il est sensiblement le même depuis le début de l’épidémie. On retrouve en réanimation des personnes âgées de plus de ans présentant souvent des comorbidités (hypertension, diabète, surpoids, etc.) plus ou moins importantes.
Beaucoup s’étonnent que la progression accélérée du nombre de cas ne s’accompagne pas d’un véritable tsunami de cas sévères, notamment parmi les personnes âgées en Ehpad. Est-il possible que le Sars-Cov- soit moins virulent qu’il ne l’était lorsde la première vague ?
Personnellement, je ne crois pas à cette hypothèse. L’avenir nous dira si j’ai tort ou raison. Mais, quoi qu’il en soit, il ne faut surtout pas baisser la garde, en se disant que le Sars-Cov- est moins virulent. D’autant plus que l’on sait que les virus peuvent muter. Observons ce qu’il se passe avec la grippe : chaque année, on est obligé d’élaborer un nouveau vaccin. Avec le coronavirus, qui se multiplie à grande vitesse, c’est un pari risqué de dire qu’il est moins virulent.
En voyant le nombre de cas positifs augmenter autant êtes-vous inquiet ?
On se trouve, aujourd’hui, dans la situation à laquelle on aspirait au début de l’épidémie : identifier, grâce aux tests, les porteurs pour pouvoir les isoler et rompre ainsi la chaîne de contamination. Plutôt qu’inquiet, je dirais que je suis prudent.
La crainte de voir les services de réanimation débordés est-elle toujours fondée ?
Difficile de répondre. Tout ce que l’on peut dire, c’est que l’on connaît mieux la maladie, on sait mieux la prendre en charge. Mais tout dépend encore une fois de la progression de l’épidémie.
Des services comme le vôtre doivent-ils néanmoins s’organiser d’ores et déjà pour faire face à un afflux éventuel de malades de la Covid- ?
Aujourd’hui, on ne doit plus réfléchir sous l’angle Covid versus non-Covid, mais sur la base de la sévérité de l’état de santé. On ne peut consacrer % de l’activité à la Covid. Il est très important que l’on ne retarde pas les autres diagnostics, les prises en charge de cancer, de maladies immunitaires… La volonté de la direction générale – et je partage cette position – est de pouvoir prendre en charge, dans notre service comme en infectiologie ou ailleurs, à la fois les patients Covid et les autres.
La vie continue, on doit, aujourd’hui, apprendre à vivre avec cette nouvelle maladie – je doute que l’épisode coronavirus soit clos dans quelques mois.
Mais les lits de réanimation sont-ils en nombre suffisant pour accueillir tous les patients, Covid et autres ?
Nous ferons le maximum pour prendre en charge tous les patients. Nous discutons actuellement la possibilité d’ouvrir des lits supplémentaires.
Les risques de contamination n’imposent-ils pas de dédier des services entiers de réanimation aux patients Covid- ?
Classiquement, le risque d’infections nosocomiales dans les services de réanimation est le plus élevé de l’hôpital (compte tenu des techniques invasives utilisées). Aussi, prendon toujours d’infinies précautions pour éviter les transmissions entre patients. Avec la Covid-, on en prend encore plus pour éviter aussi les transmissions de patients à soignants et inversement. Par ailleurs, le service dispose de chambres individuelles, et il n’a pas été observé de transmission de patients Covid à patients non-Covid.
L’exercice doit être très compliqué et stressant !
Non, détrompez-vous. C’est notre job : on ne travaille pas dans la peur mais dans la prudence.