«Sionseprotège,on peut continuer de vivre »
Chef du service d’infectiologie du CHU de Nice, le Pr Michel Carles insiste sur la nécessité du renforcement des mesures barrières pour éviter ce que chacun redoute : le confinement
Le Pr Michel Carles dirige le service d’infectiologie du CHU de Nice. Il rappelle que si on a dû subir le confinement, c’est « parce que les mesures préventives préalables avaient été dépassées ». Un message clair.
Comment décririez-vous la situation actuelle ?
La situation est tendue, sérieuse, les admissions en infectiologie et réanimation progressent. Mais, dire, comme certains, que l’on est au bord du désastre signifierait que l’on a perdu le contrôle de la situation. C’est faux.
Il reste qu’à Marseille, la e vague est déjà plus élevée que la première. Cela pourrait-il être aussi le cas ici ?
Ce qui va se passer dans les deux prochaines semaines est la résultante de la circulation virale au cours des deux semaines passées, on ne peut donc ni la prédire, ni l’éviter. Par contre, ce qui compte, c’est écrêter et ralentir – ce qu’on avait déjà dit lors de la première phase — l’évolution ultérieure de l’épidémie. L’enjeu étant d’éviter le confinement, situation terrible. Et tout ce qui peut mettre en oeuvre, en termes de mesures barrières, pour écrêter la vague, doit être encouragé.
À commencer par la distanciation sociale ?
Oui et non. Le terme est mal choisi : les mesures barrières, ce n’est pas la distanciation sociale, mais physique. Il faut laisser les gens vivre, avoir une vie sociale mais leur rappeler l’importance de respecter une distance d’un mètre dans l’espace public. C’est aussi dans cet espace, au niveau des matériels et supports que l’on est susceptible de « récupérer » et « coller » sur son visage le virus. Dès qu’on touche des supports, une poignée, une porte de supermarché, une barre de tramway etc., on est susceptible de rentrer en contact avec le virus. L’hygiène des mains doit devenir un tic de comportement permanent. Éviter d’attraper le virus par le manuportage est au moins aussi important que porter un masque – correctement — ou rester à un mètre de distance.
Une majorité de Français respectent les consignes, et cela n’empêche pas le virus de circuler et les gens de se contaminer…
C’est vrai qu’on ne peut empêcher totalement une circulation virale. Mais on peut la freiner. Et les conséquences en termes de tension sur le système de soins sont très différentes selon qu’à un temps t, ou personnes sur habitants sont contaminées.
La tension sur le système de soins reste aujourd’hui encore la préoccupation majeure.
C’est en effet, avec la fragilité face au virus des personnes âgées et des immunodéprimés, ce qui nous préoccupe le plus. Si on met le système de soins en état de saturation, on crée une menace grave pour la société en arrêtant les activités économiques.
La crise, aussi révélatrice, de la faiblesse de notre système de soins ?
Notre système de soins n’est pas en capacité de faire face à un niveau d’endémie virale aussi élevé. Il est déjà en tension, rencontre des difficultés de recrutement… On se retrouve aujourd’hui confronté à une double injonction complexe : maintenir les activités programmées et prendre en charge les malades de la Covid-. Si la situation s’aggrave, et compte tenu de la problématique des effectifs - que le Ségur de la santé n’a pas résolue — on va devoir déprogrammer.
D’autres pays sont-ils mieux armés pour affronter la crise ? On pense à l’Allemagne en premier lieu.
Il a été effectivement dit que les Allemands s’en étaient mieux sortis lors de la première vague, parce qu’ils avaient un meilleur système de soins. Ça a été aussi le cas des Grecs, mais les concernant, on n’a pas fait l’apologie de leur système de soins ! Plus sérieusement, l’épidémie n’est pas le reflet principalement du système de soins. Il y a des variations épidémiologiques liées aux facteurs contextuels de l’épidémie virale. La pénétration dans une population donnée n’est pas forcément la même : des critères environnementaux, comportementaux, génétiques… Interviennent.
Peut-on à ce stade craindre un nouveau confinement ?
Si on teste, trace et surtout que tout le monde applique correctement les mesures barrières, on n’aura probablement pas besoin de confiner.
On n’y a pas échappé lors de la première phase…
Toutes les mesures préventives préalables avaient été dépassées ; on n’avait pas les tests pour mesurer la circulation virale, on n’avait pas les masques pour empêcher la transmission, tout ce qui nous restait c’était le confinement. C’est différent aujourd’hui : si on se protège, on peut continuer de vivre.
Alors, oui, c’est vrai qu’au début, avec la covid, on a un peu dit : « arrêtez de vivre ! » Aujourd’hui, le discours est sensiblement différent. On dit : “continuez à vivre, mais protégez-vous, et protégez les personnes fragiles de votre famille !” Quand l’épidémie de sida est arrivée, on n’a pas dit : arrêtez de faire l’amour ! On a dit protégez-vous sinon, vous-même, et la société, allez en payer le prix fort. Pour la Covid c’est pareil.
Connaît-on mieux les sources de contamination ?
Les deux principales sont le lieu de travail et les réunions familiales. En famille, les gens se sentent en confiance, ils ont du mal à imaginer qu’un proche peut représenter un danger et ils baissent la garde. En famille, comme ailleurs, il est important de respecter les mesures barrières, sans s’interdire de se retrouver.
Jusqu’à quand toutes les mesures barrières devrontelles être respectées ?
Jusqu’au moment où on aura une solution : soit sous la forme d’un vaccin – mais aura-t-on un vaccin efficace rapidement, ce n’est pas sûr ? —, soit parce que le virus aura disparu mais avec la possibilité qu’il revienne de façon saisonnière.