IL Y A 150 ANS MEURT MÉRIMÉE
En créant les « Monuments historiques », il est à l’origine de ce qu’on célèbre ce week-end – et chaque année – : le patrimoine.
« Je me plais à croire qu’après ma mort je serai changé en lézard. »
Les choses allaient mal. Au début du mois de septembre 1870, l’Empire s’était effondré. La IIIe République avait été instaurée. La guerre contre la Prusse continuait. Paris était assiégée. Dans ce contexte, la mort de Prosper Mérimée, à Cannes, le 23 septembre de cette même année, passa inaperçue. Mérimée était pourtant un personnage important. Il avait brillé au coeur du IIe Empire. Il en était l’un des écrivains favoris. Il avait amusé la cour en proposant sa célèbre dictée : « Pour parler sans ambiguïté, ce dîner à Sainte-Adresse, près du Havre, malgré les effluves embaumés de la mer, malgré les vins de très bons crus, les cuisseaux de veau et les cuissots de chevreuil fut un vrai guêpier... »
Napoléon III avait fait 75 fautes, l’impératrice 62, Alexandre Dumas 24, et l’ambassadeur d’Autriche, Metternich… trois ! Mérimée était aussi l’auteur de Carmen, que le compositeur Bizet transformera en opéra. Il était également le créateur d’une institution considérable : les « Monuments historiques », qui ont abouti à ce que l’on célèbre ce week-end : le patrimoine.
Vieux et affaibli – il a 66 ans –, à la chute de l’Empire il vient se réfugier à Cannes, qui était sa ville d’adoption.
Sur les conseils de son médecin
Il avait connu Cannes en 1858 en venant y soigner ses poumons. Il avait d’abord logé à l’hôtel de la Poste puis au premier étage de la maison Sicard (aujourd’hui au 3, square Mérimée) qu’il occupa jusqu’à sa mort. Il y vivait avec ses dames de compagnie – deux soeurs anglaises, Frances Lagden et Emma Evers, qui avaient été des élèves de sa mère en dessin.
À Cannes, comme à Paris, il rencontrait le monde. Il fréquentait les princes russes et les aristocrates anglais. Il dénonçait l’aspect des demeures de ces derniers, les trouvant sans rapport avec l’architecture méridionale. Il estimait qu’elles « ressemblaient à des sucreries » et avait envie « d’y mettre le feu ».
Mérimée aimait se promener dans les bois. Coiffé d’un chapeau de paille, on le voyait tirer à l’arc sur les pommes de pin. Ses deux dames de compagnie le suivaient, courbées comme des esclaves, l’une portant son carquois l’autre son matériel à peinture.
Il paressait au soleil : « Je me plais à croire ,disait-il, qu’après ma mort, je serai changé en lézard. »
Il souffre de troubles circulatoires, ses jambes sont « aussi enflées que les pattes d’un éléphant ».
Lorsqu’il arrive en gare de Cannes le 11 septembre, ayant passé la nuit dans le train, il semble à bout de forces, miné par la maladie, effondré par la chute de l’Empire. Il descend en pantoufles et robe de chambre, lui, l’ancienne gloire des salons impériaux. Il pose sur le quai un pied maladroit. Le docteur Maure l’attend. Il l’aidera à gagner son appartement où l’attendent les soeurs Lagden. Il ne quittera guère plus son lit jusqu’à sa mort. Le 23 septembre 1870, alors qu’une brise d’automne fait trembler les persiennes, il écrit à l’écrivain russe Tourgueniev ainsi qu’à une amie parisienne à qui il demande « de lui faire parvenir les Lettres de Madame de Sévigné et un Shakespeare ». Peine perdue : il mourra le soir-même.
Inhumation provisoire
Les obsèques furent organisées par Frances Lagden, légataire universelle. Elles eurent lieu le 25 septembre au cimetière du Grand Jas. Selon la Revue de Cannes, le cortège fut abondamment suivi. Mais ni officiels, ni personnalités parisiennes. Seul, l’ancien maire de Cannes, Marius Barbe, prononça l’éloge funèbre. Il mit en évidence le rôle qu’avait eu Mérimée pour faire connaître Cannes à Paris. Dans sa tombe, devenue elle-même Monument historique (voir encadré), Frances Lagden l’a rejoint en 1879.
Mérimée a trouvé là le silence éternel, lui autour de qui, naguère, bruissaient à Paris les mondanités de la cour impériale. Peut-être le fantôme de Carmen vient-il, de temps à autre, lui rendre visite. Ou bien celui des courtisans qu’il avait humiliés avec sa célèbre dictée...