LE JOUR DU CHAT
Ça y est, les gosses sont surexcités. Comme chaque été, le juin. Il paraît qu’avant, c’était déjà comme ça. Tous les ans, il paraît qu’on sacrifiait des citrouilles pour se faire peur tout en se pourrissant allègrement les dents à coups de caramels et de ces bonbons chimiques dont on sait maintenant qu’ils contribuaient à augmenter le taux de diabète de l’humanité au-delà du raisonnable.
Mon arrière-grand-père me racontait d’ailleurs que la fameuse épidémie du coronavirus en avait un sacré foin dans les médias, mais tellement moins de victimes que l’abus de « junk food ». Mais là, je divague. Je ne sais plus trop bien si la fête avant s’appelait Halloween ou… Jack Lang Day. Si c’était le octobre ou le juin. Nous, aujourd’hui en l’an , c’est bien le soir du solstice d’été qu’on célèbre le Cat Day.
QUAND TON MONDE N’EST PLUS BROADWAY…
Les gosses attendent ça comme on espérait Noël avant le grand effondrement. C’est dire. Le Cat Day, c’est le seul jour de l’année où l’on joue à se faire peur.
La tradition, elle remonte à plus de ans. Plus qu’une fête nationale, c’est devenu la grande fiesta planétaire. On la célèbre en souvenir de ce jour de l’an où, pour la première fois depuis près d’un siècle, les glaciers cessèrent de fondre sur place, les icebergs se remirent à s’agglomérer reformant une banquise dont on avait fait mine d’oublier qu’elle était la seule climatisation tolérable par notre bonne vieille planète Terre et où surtout les marchands du Sentier à Paris durent exhumer de leurs archives les patrons d’anorak, de doudoune, de bonnet et autres polaires qu’on avait cessé de produire pour cause de canicule globale.
Winter was coming back. La renaissance ! Tiens, c’est cette année-là aussi que le professeur Myopor a mis au point ses lunettes universelles qui nous permettent de voir de nuit comme si nous étions des chats. Quand les gouvernements décidèrent de renoncer au luxe presque indécent de l’éclairage public – il paraît pourtant que ça coûtait des milliards d’euros aux humains d’alors et pire que ça contribuait au réchauffement climatique –, des mouvements de révoltes s’étaient multipliés un peu partout.
Mais ça, c’était vite tassé.
Aujourd’hui, tu me dirais de renoncer à mes Myopor, peut-être que j’érigerais une barricade. Quand les rues, les monuments, les routes, les places n’ont plus été illuminées toutes les nuits sur tous les continents comme en plein jour, ça a dû leur faire tout drôle aux anciens… Un peu comme demain quand le Cat Day débutera.
À la tombée de la nuit, les enfants iront sonner aux portes des voisins du quartier pour les terroriser. À côté de ça, je te jure que leurs citrouilles avant, c’était de la gnognote.
Et je fanfaronne pas.
Au fil des ans, avec les Myopor, on s’est tous habitué peu à peu à recouvrer le sens naturel de la vision. Quand ton monde n’est plus un Broadway infernal, tes yeux s’adaptent à la peine ombre ; la lune n’est plus un astre mort, sa lumière redevient un guide… Tes sens s’affinent, gagnent en acuité…
Et là, quand à l’heure H du Cat Day, l’espace d’une demi-heure on rebranchera toutes les lumières urbaines – qu’on entretient depuis des années juste pour cet instant-là –, je te dis pas le flash de terreur brute que tu te prends. C’en est presque douloureux.
Comme j’aimerais être de nouveau un gosse, juste pour vivre ça.