Monaco-Matin

Le récit poignant de la nuit où leur maison a disparu

Les photos de sa maison disparue à Breil ont fait le tour des réseaux sociaux dans la Roya. Une semaine après la tempête qui a ravagé la vallée, André Metzger se confie sur cette nuit d’angoisse

- MARIE CARDONA mcardona@nicematin.fr

Je suis heureux de te revoir. » Attablé devant la Presse de la Roya, à quelques pas de la gare de Breil, André Metzger ne compte plus les sourires sur les visages des Breillois qui viennent le saluer. « On a cru que…, s’interrompt une connaissan­ce. Il y avait des rumeurs au village. Et tes parents, où sontils ? » André Metzger est soulagé de pouvoir les rassurer : sa soeur, son neveu, ses nièces et ses parents vont bien.

Le Breillois de 41 ans est encore marqué par la nuit de vendredi dernier, où la tempête Alex s’est abattue sur la vallée de la Roya. « Si on avait suivi la consigne de rester chez nous, on serait partis avec la maison », souffle-t-il. La maison, dans laquelle la famille vivait depuis 1988, se trouvait en contrebas de la gare du hameau de Piène Basse, au bord de la route départemen­tale 6204. Aujourd’hui, elle n’existe plus. Rasée. Engloutie par les eaux de la Roya en furie. Il ne reste plus rien, « seulement quelques morceaux des fondations ». Un « désastre ». Et une nuit chaotique dont il tente de témoigner malgré l’émotion.

« L’eau a submergé la Départemen­tale »

« La tempête frappait depuis le matin mais ce n’est que vers 20 heures que l’électricit­é a été coupée » , se rappelle André Metzger. Depuis plusieurs heures, avec sa soeur Olivia, ils surveillen­t le niveau de la Roya qui s’agite sous leur maison. « Quand nous nous sommes retrouvés dans le noir, nous avons voulu anticiper. À l’initiative de ma soeur, nous avons évacué pour nous réfugier dans nos voitures qui étaient stationnée­s de l’autre côté de la route, sur un chemin en hauteur. » En une heure, leur cave est déjà inondée. Puis, le réseau téléphoniq­ue se coupe à son tour. « Vers 23 heures, l’eau montait de plus en plus. Un poteau électrique a cassé et un câble haute tension est tombé sur la route. Presque en même temps, l’eau a submergé la Départemen­tale par le nord. Nous nous sommes retrouvés bloqués des deux côtés, incapables de partir par la route. »

La seule issue, c’est le chemin sur lequel ils se sont mis en sécurité et qui mène à la voie de chemin de fer. À pied, André Metzger part seul en éclaireur. « J’ai suivi les rails, le long de la gare de Piène Basse, en direction du nord. Avec la tempête, je ne voyais rien. » De loin, il distingue la faible lumière d’une lampe. C’est celle d’un voisin, Francis, qui venait d’accueillir d’autres habitants en détresse.

« J’ai eu très peur »

« On est repartis en sens inverse, chercher ma famille. » Avec sa soeur, ses quatre neveux et nièces âgés de 2 à 13 ans, ses parents, les chiens et les chats, ils longent à nouveau les rails. « Au bout de 800 mètres, il a fallu quitter la voie ferrée pour rejoindre la départemen­tale. L’eau était tellement forte qu’elle arrivait par vagues, parfois jusqu’à nos genoux », revit André Metzger. Il s’arrête. « J’ai eu très peur. C’était le seul chemin empruntabl­e mais c’était mon choix de les faire passer par là. On avait les enfants dans les bras. J’avais peur de les mettre en danger. C’était un pari dans le vide. » Ils finiront par regagner la maison de Francis, en hauteur, pour y passer la nuit. « Le lendemain, il y avait un grand beau temps aussi incroyable qu’ironique. »

Un coup de chance

Sans réseau, incapables de prévenir qui que ce soit pour demander de l’aide, André Metzger et sa soeur partent explorer les environs. « Nous ne nous faisions pas beaucoup d’illusions. » Tout avait disparu. Autour d’eux, des maisons détruites, des routes emportées. Et personne. Ils seront rejoints par des pompiers, partis à pied en reconnaiss­ance, dans la matinée. «Ils ont fait un recensemen­t des gens qui étaient là. Mais, même avec leurs talkies-walkies, ils n’arrivaient pas à capter de signal pour prévenir des renforts. »

Alors André Metzger continue d’explorer les alentours. « Je marchais en direction du pont de Pertus, pour voir dans quel état il était, quand tout d’un coup mon téléphone a sonné. Je captais une barre du réseau Vodafone et c’était ma messagerie SFR qui rappelait. J’ai écouté un message de ma cheffe de service et appuyé sur la touche pour rappeler automatiqu­ement. Elle a décroché. C’était mon premier contact avec “l’extérieur”. »

Il est 16 heures. Depuis 22 heures la veille, la famille n’a plus de contact avec ses proches. Dix-huit heures sans donner signe de vie. «Les gens ont vu les images de la vallée dévastée à la TV. Ils ont cru que nous étions morts. »

Il poursuit : « J’ai continué à marcher et j’ai pu capter suffisamme­nt de réseau pour appeler. » Un coup de chance qui va lui permettre de rassurer sa copine et à sa soeur de faire de même avec son mari. Famille et voisins seront finalement évacués vers 19 heures par les secours. « Mes parents ont dû repasser devant la maison. Ça a été un choc pour eux. On dirait qu’elle n’a jamais existé. » Ils passeront leur première nuit au gymnase de Sospel, avec d’autres sinistrés. Rapidement la solidarité se met en place dans la vallée. Les dons de vêtements et de nourriture ont afflué. « C’est réconforta­nt de voir cette générosité. Nous sommes partis sans rien. À ce moment-là, nous pensions que nous allions revenir. »

Encore marqué émotionnel­lement, André Metzger insiste : « Nous ne sommes pas des miraculés, nous avons juste fait le bon choix. Nous savons que nous ne sommes pas les plus à plaindre car nous avons même pu sauver les chats et les chiens ».

Une semaine après cette nuit d’angoisse, sa famille et lui avaient retrouvé un logement à Sospel. Avant-hier, lorsque nous l’avons rencontré, André Metzger avait déjà repris le travail. Employé de la Communauté d’agglomérat­ion de la Riviera française, il oeuvre au sein du service de valorisati­on et éliminatio­n des déchets. Une « mission absolument essentiell­e face au risque sanitaire », alors que tous les accès routiers vers la Haute-Roya sont toujours coupés. «Ça m’aide. Je sais que je fais quelque chose pour faire avancer la situation. »

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Il y a une dizaine de jours, avant la tempête Alex, la maison de la famille Metzger se tenait encore en contrebas de la gare de Piène Basse, au bord de la route départemen­tale . (Photos Thibaut Parat et Florent Adamo/Cerema Méditerran­ée)
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(Photos André Metzger et Google Street View) Le virage où se trouvait la maison, avant et après la tempête.
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