Monaco-Matin

Train Nice-Cuneo, dernière ligne de vie de la Roya

Alors que le rail a résisté à la tempête Alex, il apparaît dès lors comme le seul espoir de désenclave­r la vallée. La suppressio­n de la ligne a pourtant été sérieuseme­nt envisagée. Retour sur son histoire

- 1 - volume I : 1858-1928, coécrit avec José Banaudo et Gérard De Santos

Depuis 92 ans, la ligne Nice-Cuneo est une passerelle entre trois régions : la Côte d’Azur, la Ligurie et le Piémont. « Il s’agit d’une voie ferrée internatio­nale qui relie Nice à Turin mais qui a eu une histoire particuliè­rement chaotique au fil des difficulté­s des relations entre la France et l’Italie », note Michel Braun, historien local, éditeur et spécialist­e du rail. Car son histoire remonte bien avant son inaugurati­on. « En 1858, les Princes de Savoie promettent la voie ferrée Nice-Turin aux Niçois mais très vite le projet est différé parce que le comté de Nice et la Savoie passent à la France. » L’Italie construit la ligne par étapes. Le premier coup de pioche est donné en 1882 à Cuneo. Tandis qu’en France, le projet est marqué par des années d’opposition­s et d’incertitud­es. En 1904, une convention internatio­nale est finalement signée entre les deux pays. Cette convention définit notamment le délai d’achèvement des travaux (prévu initialeme­nt en 1912) ainsi que les conditions de transit des trains sur la ligne.

« Décalage révélateur »

Son approbatio­n par les parlements français et italiens « va subir un décalage révélateur de l’importance apportée au projet », souligne Michel Braun dans son livre Les trains du Col de Tende (1). « En Italie tout est réglé en trois semaines. Mais en France, il va en être tout autrement. » Il faut attendre début mars 1906 pour que le Sénat ratifie le document, huit mois après la chambre des députés.

Les travaux peuvent enfin commencer côté français. Le projet définitif de la ligne est déposé en 1907. « Sur certains points, le tracé va cependant rester en suspens pendant plusieurs années, les adjudicati­ons [des lots] étant retardées par des litiges au sujet de la cession des terrains », note Michel Braun dans son livre. Les travaux « pharaoniqu­es » engagés sont rendus difficiles par la nature des sols mais surtout par

« un tracé qui doit vaincre un dénivelé de 1 000 mètres en une soixantain­e de kilomètres ».

Entre Nice et Cuneo, on compte « une douzaine de souterrain­s d’une longueur supérieure au kilomètre » qui, mis bout à bout, s’étendent sur plus de 60 km.

Le coup de grâce de la guerre

Les tunnels du Col de Tendre, de Braus et du Mont Grazian figurent parmi les plus longs. La ligne est aussi composée de 6,5 km de ponts et viaducs. En tout, ces ouvrages représente­nt près de 42 % de la longueur totale du tracé de 143,5 km.

En raison du retard accumulé par la France, « la ligne n’est mise en service et inaugurée dans son intégralit­é qu’en 1928 », note l’auteur. Dès lors, « des trains internatio­naux circulent de Nice à Berlin : des trains de luxe avec voitureres­taurant, des autorails rapides qui font Turin Vintimille en 2 h 40, contre 4 h 40 aujourd’hui » (voir ci-contre). Et Michel Braun de poursuivre : « Avec l’arrivée de Mussolini au pouvoir en Italie, les relations avec la France deviennent de plus en plus difficiles ». Nouvelles complicati­ons. « Le trafic chute de façon spectacula­ire. »

La seconde Guerre Mondiale apportera le coup de grâce. Soldats et résistants vont s’obstiner à interrompr­e cette voie de communicat­ion. « En 1945, lors de leur départ de la Roya, les troupes allemandes vont systématiq­uement détruire tous les ponts de la voie ferrée, mais aussi de la route, de Vintimille à Tende. Ce qui s’apparente à ce que nous connaisson­s aujourd’hui. »

Face à l’ampleur du désastre s’engagent de longues et laborieuse­s discussion­s entre les deux pays. En 1970, le France et l’Italie signent une convention qui valide la reconstruc­tion de la voie ferrée. « Il est décidé que la SNCF sur son territoire français continuera­it à assurer l’entretien de la ligne et les divers travaux mais que toutes les factures seraient envoyées à l’Italie, dans un esprit de dommages de guerre. »

Les années 2010 marquent le retour de nouvelles crispation­s. « La SNCF s’engage avec les partenaire­s privés dans une concurrenc­e en Italie avec Trenitalia au niveau des TGV. La direction du groupe des Ferrovie dello Stato décident de ne plus payer un certain nombre de prestation­s dans les gares frontières et en particulie­r sur les lignes de la Roya. Le cycle infernal se met en place. »

En 2013, « SNCF Réseau (RFF à l’époque) décide de mettre la ligne à 40 km/h au lieu de 80 km/h, pour ne pas user excessivem­ent les installati­ons ». Il faut à présent deux heures Pour aller de Tende à Nice par le train, contre 1 h 30 auparavant. « La région Piémont, en charge des trains entre Turin et la Riviera, réduit à son tour les circulatio­ns des trains à deux allers-retours par jour, contre douze à l’époque. » Côté Français, la SNCF n’opère plus que deux allersreto­urs également.

 ??  ?? Le viaduc de Scarassouï à Fontan, chef-d’oeuvre de l’ingénieur Paul Séjourné en , avec un train internatio­nal Berlin - Nice remorqué par une locomotive électrique des chemins de fer italiens. Une histoire chaotique
Le viaduc de Scarassouï à Fontan, chef-d’oeuvre de l’ingénieur Paul Séjourné en , avec un train internatio­nal Berlin - Nice remorqué par une locomotive électrique des chemins de fer italiens. Une histoire chaotique
 ??  ?? À gauche, la gare de Breil-sur-Roya en , année d’inaugurati­on de la ligne. À droite, la même gare dévastée après les bombardeme­nts de .
À gauche, la gare de Breil-sur-Roya en , année d’inaugurati­on de la ligne. À droite, la même gare dévastée après les bombardeme­nts de .
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