Les Ehpad en vigilance rouge permanente
Les protocoles se sont affinés, mais la pression de l‘équation bénéfice/risque est constante pour les personnels : « Un confinement des Ehpad à Noël serait vécu comme un drame par nos résidents »
On peut bien l’appeler comme on veut, le marketing épidémiologique leur importe peu. Deuxième vague ou pas, les Ehpad sont sur la brèche. Huit mois en alerte maximum, ça use. Et lorsque les signes majeurs d’une nouvelle flambée de la Covid deviennent manifestes, l’anticipation d’une nouvelle crise brûle toutes les énergies. « On est tout le temps dans le bénéfice/risque. C’est notre obsession permanente : protéger au maximum nos résidents que l’on sait fragiles sans les couper du monde. » A Villeneuve-Loubet, l’enthousiasme du Dr Laure-Marie Bertholon ne faiblit pourtant pas. Inquiète, elle avoue l’être. « Il faudrait absolument éviter qu’un confinement de nos établissements tombe pendant les fêtes de Noël. Ce serait vécu comme un drame par nos résidents. »Du coup, ici, comme dans la plupart des Ehpad de la Côte, le mot d’ordre est à la vigilance maximum. Depuis le début de la crise les protocoles ont été affinés, précisés. Comme dans nombre d’établissements, l’Ehpad de l’institut Claude-Pompidou à Nice a dû redistribuer ses locaux : « Le rez-dechaussée est exclusivement dévolu aux visites. Personne ne monte dans les étages. Tant qu’il fait bon, les familles peuvent profiter de leurs parents dans le petit jardin extérieur que l’on a aménagé », raconte le directeur Rémi Marcaillou
Visite d’une heure maximum conditionnée à un protocole particulièrement strict. « Uniquement sur rendez-vous. La mesure est contraignante pour les familles, mais elles jouent le jeu. De notre côté, on sait être souple quitte à accepter des visites tard dans l’aprèsmidi, voire le week-end .»
Des protocoles au cas par cas
Tout doit être sous contrôle. Prise de température, respect absolu des gestes barrières. A l’Ehpad des Figuiers de Villeneuve-Loubet, l’accès des familles fait même l’objet de protocole au cas par cas : « Un résident qui ne peut pas quitter sa chambre, parce qu’il souffre par exemple d’une pneumologie, ne doit pas être isolé, explique le Dr Laure-Marie Bertholon C’est dans ces situations-là qu’ils ont le plus besoin du réconfort d’une visite. On s’est donc mis en capacité de renforcer le protocole : test Covid préalable, obligation de porter tes tenues de protection : blouse, sur blouse, chaussures, etc. »
L’anticipation ressources humaines aussi
Et si la situation devait encore se tendre. A l’institut Claude-Pompidou, « S’ils ferment, on s’y pliera, mais...» Sa phrase reste en suspens dans un soupir d’appréhension angoissée. Comme toutes les semaines, Rosaire Di Grégorio vient visiter sa «maman»à l’institut Claude-Pompidou. Elle à ans, Marie-Louise. Son fils la sait d’autant plus fragile face à la Covid, qu’à son grand âge, s’est adjointe la sournoise maladie d’Alzheimer. Il n’empêche : l’hypothèse d’un reconfinement des Ehpad le terrorise. S’il le faut... il renoncera à cette petite heure avec Marie Louise. Avec sa maman, si loin à cause de sa terrible maladie, si près quand Rosaire parvient furtivement à briser le mur neurologique derrière lequel elle semble recluse : « Communiquer verbalement avec elle, ça fait longtemps que ce n’est plus possible. Tactilement, c’est interdit à cause de ce
« Le reste de leur vie est si court »
Rémi Marcaillou pense avoir tout envisagé : l’ouverture d’une aile Covid d’isolement au cas où. Mais aussi une anticipation ressources humaines pour le personnel : « Nous avons établi une liste de vacataires, intérimaires en capacité de venir suppléer la défaillance des collaborateurs du centre qui seraient contaminés. » Une politique du bénéfice/risque épuisante. Huit mois de vigilance psychologique rouge, ça use. « C’est éprouvant de devoir se remobiliser constamment, mais on fichu virus. Alors je lui passe de la musique, des vieilles choses de son époque. Quand elle entend “J’attendrai” de Rina Ketty, j’ai le sentiment qu’elle s’apaise, qu’on se “parle”. A son grand âge, le temps de vie qu’on a en partage est si court... On a perdu deux mois au printemps. Devoir de nouveau y renoncer serait un déchirement. »
Comme la grande majorité des parents de résidents de maisons de retraite, Rosaire est prêt à s’adapter à tous les protocoles sanitaires qui lui permettraient de continuer à passer un peu de temps avec sa mère : « Je fais confiance à ces personnels qui, pour moi, sont les vrais premiers de cordée depuis des mois. Ils sauvent nos vieux et sont si peu payés de retour pour toute cette abnégation .» tient bon ! », confie le docteur Bertholon, non sans pousser un petit coup de gueule : « Ces dispositifs sont particulièrement chronophages et viennent en sus de nos tâches traditionnelles. Chez nous, au moins un collaborateur s’y consacre à plein temps. A effectif constant c’est souvent compliqué ; et nous avons parfois l‘impression que l’Etat n’en a pas pris la mesure .»