Un mois après Alex, Breil s’efforce de reprendre vie
Sévèrement touché par la tempête, bien qu’il ait la particularité d’avoir conservé une liaison routière, le village de la Roya essaie d’aller de l’avant. Entre inquiétudes et efforts de projection
Assis à l’une des petites tables de la Presse de la Roya – devenue l’un des rares points de ralliement dans la commune de Breil, durement touchée par la tempête Alex – un homme s’applique à dévoiler les cases d’un jeu à gratter, ce mardi. Retour de vieilles habitudes, en dépit de tout. Espoir inconscient d’un avenir meilleur. Un mois après la catastrophe, le village s’efforce de sortir du coma. Depuis une semaine, le marché a ainsi repris sur la place Biancheri, totalement couverte de boue il y a peu. Offrant aux habitants – « envers et contre tout », assure l’un d’eux – un repère perdu depuis le 2 octobre. Alors qu’à la gare, un hangar dégueule de victuailles données aux sinistrés, certains s’inquiètent que les commerces restés debout tardent à se relever. Arguant que le bénévolat ne doit pas être un business.
Aider à la relance
Un semblant de retour à la normale se profile, assure Alex, l’un des responsables du Carrefour Contact. « Les débuts ont été difficiles, mais ça se calme. Nous avons passé 48h sans rien, et d’un coup on a reçu trop de choses en même temps. Les gens extérieurs à la vallée ont voulu aider, et c’est touchant. Mais il a fallu un certain temps pour s’adapter », complète-t-il. Précisant que le tiers des clients du magasin vient de la haute vallée, aussi l’absence de liaisons terrestres est-elle préjudiciable.
« Il faudrait plus de navettes du train même si on sait que c’est techniquement compliqué, analyse Alex. On commence malgré tout à revoir des gens des autres villages. Tout est encore assez opaque concernant ce qu’il se passe dans le haut de la vallée. Alors ils nous racontent. C’est comme s’ils étaient encore à J + 4 ». Le Breillois explique que tout le monde, dans le village, fait de son mieux pour aider. Des jeunes n’ont pas hésité à se retrousser les manches pour enlever le sable qui recouvrait les espaces publics. D’anciens concurrents travaillent de concert. Quant à son magasin, il s’attache à privilégier les locaux qui continuent à exercer. « Un de nos producteurs d’oeufs s’est retrouvé coincé avec ses poules. Avant il en vendait aussi ailleurs, mais comme il ne peut plus on essaie de lui acheter pratiquement tout », donne-t-il pour exemple. Conscient que l’aide à la relance passera aussi par la (bonne) volonté des gens à consommer local. L’avenir ? « Cela mettra du temps pour que les gens viennent – et reviennent. Il faudra sûrement une génération, puis une autre qui oubliera ce qu’il s’est passé », résume Alex. Estimant qu’il serait intéressant de saisir la balle au vol pour faire les choses autrement. Peut-être en s’orientant vers les technologies, en faisant de la Roya une terre de télétravail. « On est tous là parce qu’on aime le cadre. Je connais des gens qui travaillent à Sophia qui ne seraient pas contre venir ici. » Restera à trouver des terrains, en dehors des zones inondables. Problème qui ne date pas d’hier quand on sait que l’ancien maire, André Ipert, s’était déjà battu face à la préfecture pour sortir quelques hectares – sur les hauteurs – des zones inconstructibles. Restera à surmonter le trauma, aussi. Sur la place du marché, une femme raconte notamment qu’une amie à elle, relogée à Nice, ne peut plus voir de l’eau. « Même si on lui proposait un appartement avec vue mer elle refuserait… »
Responsables du Garage de la Roya, Danielle et Patrick Ladic ont logiquement vu leur activité freiner brutalement. En raison des routes défoncées, des voitures emportées par la crue. « On ne se plaint pas ,témoignent-ils. Mais on ne retrouvera une vie normale que quand les Italiens sortiront du tunnel de Tende et iront à Vintimille. Déjà il y a trente ans les gens disaient : “Le jour où le tunnel n’est plus là on est mort”. Parce qu’ici, on est une vallée entre l’Italie et l’Italie. Et on travaille avec le passage italien. » Tous deux assurent que les Breillois ont la volonté de rester ici et d’y travailler. « Mais vat-on pouvoir ? L’objectif, aujourd’hui, c’est que l’on puisse revivre sans avoir besoin de dons. Ce sera preuve que l’on avance. » Patrick et Danielle disent avoir le même sentiment que le maire, Sébastien Olharan : l’armée doit revenir aider la vallée de la Roya. Un point de vue partagé par Anne. « En ce moment, il y a tellement d’associations qui interviennent, avec un fonctionnement différent, que tout est très compliqué. La question n’est pas d’être pro ou anti armée mais on sait que dans leur mentalité si on leur dit de faire ça et de passer par là ils le feront. Et bien. »
« Du baume au coeur »
Patrons du camion à crêpes « Esprit Billig », Slim et Hélène n’étaient pas présents au moment de la catastrophe. Mais à leur retour, ils ont immédiatement participé à des chantiers de déblaiement en montagne ou à Piène basse. Repoussant la reprise de leur activité aux 14 et 15 octobre, deux jours durant lesquels ils ont d’abord offert nourriture et réconfort à qui le voulait. « Les gens sont désabusés, tristes. C’est très dur à digérer pour ceux qui ont les dégâts tous les jours devant les yeux. Le fait qu’on soit là, ça leur donne du baume au coeur. Et nous, ça nous pousse à continuer. Ils puisent en eux pour trouver de l’espoir », décrit le couple. Précisant que tout le monde aimerait que les choses reprennent leur cours. « L’important c’est de tenter. Les choses anodines prennent aujourd’hui tout leur sens », complètent-ils. Conscient que l’épreuve à laquelle les habitants sont confrontés force à l’humilité : « Il faut s’adapter à l’environnement, et pas l’inverse. »