Monaco-Matin

« J’aime bien être là où l’on ne m’attend pas »

Grand comédien de théâtre et metteur en scène amoureux du baroque, Michel Fau doit se produire ce soir à Monaco dans un Molière éclatant. Toujours en quête de nouveauté, il a aussi rejoint les Grosses Têtes sur RTL à la rentrée.

- AMÉLIE MAURETTE amaurette@nicematin.fr

On ne compte plus le nombre de pièces dans lesquelles il a joué ou qu’il a mises en scène. Michel Fau, c’est l’un des artistes les plus hyperactif­s du théâtre français. Classiques, boulevards, opéras, tours de chant : à cinquante-six ans, celui qui enseigne également aux apprentis du Cours Florent, «quand il en a le temps », multiplie les projets, pour « compenser son ennui d’enfant ». Cette année, si le contexte sanitaire ne s’imposait pas à son calendrier, il aurait dû être en tournée pour deux pièces, à l’affiche et à la mise en scène. Un classique, Georges Dandin ou le mari confondu de Molière, et un contempora­in, Trahisons d’Harold Pinter. Et entre deux, il s’invite dans l’équipe des Grosses Têtes de Laurent Ruquier, sur RTL, qu’il a rejoint à la rentrée…

Comment vivez-vous l’actualité ?

On a une équipe administra­tive performant­e qui gère ça. Sur Georges Dandin ,ilya neuf musiciens, quatre chanteurs et quatre comédiens, plus les technicien­s, ça fait du monde. On fait comme les autres, au jour le jour. Pour l’instant, on a joué les dates prévues. Pour l’instant…

En tant que comédien, ça vous pose question ?

Non, je suis assez prudent. C’est un fléau mondial, contrairem­ent à ce qu’on dit en France, où tout le monde dit : “C’est la faute de Macron”. Bien sûr, je déplore le fait qu’on ne puisse pas jouer. C’est très difficile pour les salles. En même temps, ce qui est magnifique, c’est que les gens ont continué à venir. C’est pour ça, je crois, qu’il faut plus que jamais des spectacles poétiques, drôles et ambitieux. Je ne crois pas que les gens sortent de chez eux pour qu’on leur parle encore de la Covid ou de la fracture sociale.

Molière avec ces décors, ces costumes signés Christian Lacroix, vous défendez une certaine tradition du spectacle ?

Oui mais ce sont les oeuvres qui me guident. Et surtout, j’essaie de me renouveler, de faire des choses différente­s. Je n’aime pas trop les choses réalistes, j’aime bien que ça soit de l’ordre du rêve ou du cauchemar. Avec Molière, j’essaie de réinventer un théâtre baroque, c’est pour ça que j’ai voulu reprendre la musique de Lully. Les gens ont tellement de choses à voir depuis chez eux que, s’ils font l’effort de sortir, on se doit de leur montrer autre chose.

Qu’a Molière que vous ne trouvez pas ailleurs ?

À chaque fois que je monte un Molière, je suis surpris. Il me remet en question. Georges Dandin, c’est d’une méchanceté et en même temps très drôle. La langue est belle. Ce n’est jamais ennuyeux et jamais prétentieu­x.

Quelle pièce classique aimeriezvo­us monter dans le contexte qui est le nôtre ?

J’aimerais monter L’Avare. Parce que l’argent rend fou. On en est toujours là. Dans Georges Dandin aussi, il en est question, c’est l’histoire d’un bourgeois parvenu, ça annonce que la bourgeoisi­e va prendre le pouvoir dans le siècle d’après… C’est toujours d’actualité. En France, c’est le cas. C’est ce qui est beau dans la pièce, ça parle des niveaux sociaux, les bourgeois, les paysans, les nobles ruinés, la cour. Ces couches qui essaient de communique­r ou se méprisent…

Donc on parle bien de fracture sociale mais avec les formes…

(rires) Absolument ! C’est vrai, les pièces parlent de l’humanité, c’est pour ça que c’est intéressan­t. Mais tout se joue dans l’esthétique. J’ai envie de parler de l’humanité, mais je n’ai pas envie que ça ressemble aux actualités.

Vous êtes hyperactif ?

Oui, parce que je m’ennuie autrement. Et puis, je ne suis pas tout jeune et je n’ai pas fait tout ce que j’avais envie de faire donc… Je vais monter encore des opéras, je vais tourner un film. Quand j’étais enfant, je m’ennuyais beaucoup, j’ai compensé ce vide.

On vous voit peu au cinéma…

On me propose des choses, mais ce n’est pas très excitant, et comme je suis occupé par ailleurs, bon… Il y a des scénarios intéressan­ts mais, souvent, les plus intéressan­ts sont ceux qui ne trouvent pas de budget ! J’y pense depuis longtemps : peut-être que je vais passer à la réalisatio­n. On me l’a proposé alors, pourquoi pas.

Le cinéma français serait-il trop réaliste pour vous ?

Oui, je crois. Soit on me propose des comédies un peu vulgaires, faciles, j’aime l’humour mais pas les choses superficie­lles. Soit on me propose des films réalistes, quotidiens, et alors là, ça me tombe des mains. Mais quand il y a des exceptions, je les fais avec plaisir. Là, j’ai tourné dans le court-métrage d’un jeune homme formidable. L’histoire de Victor Hugo qui revient aujourd’hui, surprenant, insolent…

Surprenant aussi, votre présence aux Grosses Têtes, sur RTL ?

Oui ! Laurent Ruquier me demandait depuis des années, je ne savais pas trop… Mais j’aime bien être là où on ne m’attend pas. Il y a beaucoup de gens qui viennent du one-man-show, qui sont dans l’immédiat, moi c’est tout à fait autre chose mais c’est bien, il y a des gens différents. Arielle Dombasle par exemple, qui est étrange aussi. Que j’aime beaucoup. Sous ses dehors sophistiqu­és, elle est authentiqu­e, cash.

Pourquoi “étrange aussi” ? Vous êtes étrange, vous ?

Je me sens un peu marginal, un peu bizarre, oui. Je ne dis pas que c’est bien, je fais comme je peux, mais je crois qu’on est étrange quand on est honnête avec soimême. On est tous bizarre, on a tous des névroses, des défauts, des qualités, et quand on ne triche pas, c’est là qu’on devient étrange. Je pense que l’artiste doit être comme ça. C’est comme ça qu’on forge sa personnali­té.

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J’aimerais monter Parce que l’argent rend fou. On en est toujours là”

En tant que prof, qu’est-ce que vous dites aux jeunes ?

Qu’il faut travailler. Dévorer des romans, des films, des oeuvres d’art. Et je leur dis qu’ils doivent être honnêtes avec leurs désirs, ne pas se laisser avoir par le goût du jour. C’est ça, le fléau.

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Les scénarios les plus intéressan­ts sont ceux qui ne trouvent pas de budget”

Vous avez été l’élève de Michel Bouquet. Qu’en avez-vous retenu ?

C’était éprouvant. C’était un professeur exigeant, assez misanthrop­e en fait et, en même temps, essentiel. J’ai eu la chance de monter Le Tartuffe avec lui, c’était bouleversa­nt. C’est une rencontre qui a remis beaucoup de choses en question. Je voulais être un clown. Et lui m’a expliqué que le rire n’était intéressan­t que s’il cachait un destin tragique. Que le rire était lié à l’effroi. Il avait raison. Parce que la vie est comme ça. C’est tragique, mais on rit.

Georges Dandin, de Molière, avec Michel Fau. -Aujourd’hui,jeudi 29 octobre,à 18 h.Grimaldi Forum, à Monaco. Tarifs et résa. 00.377.93.25.32.27.

◗ Trahisons. Avec Michel Fau et Roschdy Zem. - Mardi 6 et mercredi 7 avril. Anthéa, à Antibes. Annulés.

- Mardi 18 mai, à 20 h 30. Théâtre Princesse Grace, à Monaco. Tarifs et résa. 00.377.93.25.32.27.

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