Monaco-Matin

Bernard Deloupy Plume et premier de cordée

Auteur d’une dizaine d’ouvrages, Bernard Deloupy signe, avec Une pente ,« une ode lumineuse à la vie », dixit Frédéric Lenoir... Une étincelle bienvenue en cette période sombre.

- PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENCE LUCCHESI llucchesi@nicematin.fr

Ex-rédacteur en chef adjoint au Figaro magazine Provence-Alpes Côte d’Azur età l’Express Méditerran­ée, Bernard Deloupy, né à Oran, est aujourd’hui coach en accompagne­ment littéraire, animateurs d’ateliers d’écriture et écrivain. Un auteur de polars de plus en plus tourné vers « l’accoucheme­nt des esprits », à l’instar de Socrate, le père de la maïeutique, depuis qu’il a rencontré un jeune homme, Vincent Capolino, violemment cabossé par la vie, et dont les bleus à l’âme l’ont profondéme­nt remué. Avec Une pente, Bernard Deloupy retrace de sa plume sensible le chemin parcouru par cet être à fleur d’émotions. Un chemin jalonné de rencontres avec des personnes bienveilla­ntes, qui l’accompagne­ront dans les étapes de sa résilience. Une magnifique leçon d’espoir, de simplicité, d’entraide et de bonheur, particuliè­rement utile en cette période délicate à vivre pour nombre d’entre nous...

Avant que nous n’évoquions votre livre Une pente, que vous inspire la fermeture des librairies ?

Je suis vent debout contre cette mesure parce que la meilleure façon de lutter contre le terrorisme aveugle, imbécile et borné, c’est justement la culture, j’en suis intimement persuadé. Je plains ces gens-là, qui sont nés dans un état d’assèchemen­t intellectu­el. Le seul corpus de textes auquel ils peuvent se référer, pour se donner une colonne vertébrale, c’est une mauvaise lecture du Coran, interprété par des prédicateu­rs qui ont des visions politiques. Donc c’est d’une tristesse absolue, et ce ne sont pas eux que je brocarde. Je pense que ce sont des enfants qui ont été mal aimés, et qui sont manipulés. Visà-vis de cet illettrism­e, les livres sont le seul rempart et les librairies un commerce essentiel.

Après avoir signé six romans policiers à couleur locale chez Giletta, Une pente marque... un tournant dans votre carrière ?

Oui. À l’époque où je faisais les dossiers de presse des congrès de Marion Kaplan [bio-nutritionn­iste spécialisé­e en médecines énergétiqu­e, ndlr], qui voulait amener les profession­s de santé à un nouveau regard sur les médecines complément­aires, j’ai eu l’envie d’écrire un livre sur la résilience. Un récit basé sur un personnage qui, à un moment donné, croise sur son parcours des spécialist­es qui l’aident à se remettre debout. Avec un chapitre sur l’EMI [expérience de mort imminente, ndlr] ,unsurla méditation transcenda­ntale, un sur le jeûne et ainsi de suite. Mais je craignais que cela ne soit mal compris, perçu comme un catalogue. Il manquait une incarnatio­n, un vibrato.

Quel a été cet élément déclencheu­r ?

Le jour où Denis Fétisson, chef étoilé Michelin à L’Amandier de Mougins, m’a appelé en me disant : ‘‘J’ai un ami très proche qui a perdu toute sa famille très jeune, et sa petite amie, Tiphaine, est morte dans un accident le lendemain du jour où elle avait accepté de l’épouser. Il est au trente-sixième dessous, il se drogue, il se shoote, il a une sexualité compulsive et destructri­ce, il a essayé de se suicider... Et je me suis permis de lui dire qu’il fallait qu’il écrive son histoire. Mais il n’a pas la plume pour, est-ce que ça te dirait de le faire pour lui ?’’

Et vous avez accepté ?

Je me suis dit : ‘‘Pourquoi pas, puisque j’ai ce personnage en tête. Mais au lieu de l’inventer, je vais partir sur une histoire réelle.’’ J’ai donc rencontré Vincent, ce gros nounours qui tient La Bodega des Palets à Saint-Julien-LeMontagni­er.

Il m’a raconté son histoire et on est tombés en pleurs dans les bras l’un de l’autre. J’ai modifié un peu les dates de manière à ce que ce soit plus romanesque, inventé le fait qu’il a essayé de sauter du pont pour permettre la rencontre avec ce personnage qui allait impacter sa vie. Dès que j’ai vu ce garçon imposant, j’ai senti que je pouvais vraiment l’accompagne­r, même si je n’ai aucune légitimité. Simplement en l’écoutant. J’ai été une oreille et je lui ai prêté ma plume.

Lui aussi vous a apporté ?

Il m’a donné une crédibilit­é en me permettant de me mettre dans sa peau. C’est grâce à cela que le message recelé par la seconde partie, avec toutes les béquilles, tous les outils, les rencontres et la solidarité, sonne juste. Des médicament­s au coach sportif, en passant par une médium bidon, un psychiatre, une sophrologu­e et des séances d’EMDR [thérapie psychoneur­obiologiqu­e basée sur la stimulatio­n sensoriell­e, ndlr], tout n’a pas eu la même efficacité sur lui. Car remonter une pente ne se fait pas de la même façon que l’on gravit un escalier, marche après marche. C’est beaucoup plus subtil. Et, au-delà de toutes les aides nécessaire­s à un moment donné, la réussite de cette ascension tient à ce petit supplément d’âme qui s’appelle la volonté.

Après avoir exploré les tréfonds de la souffrance, comment Vincent a-t-il trouvé la volonté d’amorcer sa renaissanc­e ?

Dans la réalité, il a eu la chance d’avoir une famille autour de lui, et une famille de paysans. Des ‘‘taiseux’’, qui ne transmette­nt pas leurs émotions, mais très soudés. La difficulté était de trouver une passerelle pour le remettre sur le chemin de la remontée qui parle à quelqu’un qui n’a pas cette chance. En le faisant quitter son village, à la suite des médisances.

‘‘

J’ai été une oreille et je lui ai prêté ma plume”

‘‘

Remonter une pente se fait de manière très subtile”

Comment va-t-il aujourd’hui ?

Très bien. Il a réuni tout son petit monde autour de lui dans sa Bodega des Palets pour le lancement du livre et, pour la première fois de leur vie, ils se sont tous dit “je t’aime”. C’était magnifique. Et ce qui était encore plus fort, c’est qu’Océane, la jeune fille qu’il a rencontrée depuis, a été invitée à la table des parents de Tiphaine. Comme si cette dernière lui avait fait ce cadeau d’adieu, par-delà la mort...

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