Monaco-Matin

Ils traversaie­nt la Roya à pied pendant la tempête Alex

Maxime Lelièvre et Justine Lothier s’étaient lancé le défi de traverser le sud de la France à pied. Partis de la côte ouest, ils se trouvaient dans la vallée de la Roya quand la tempête a frappé

- MARIE CARDONA * www.max-de-nature.fr/traversée-france

Peut-être faudra-t-il qu’une région entière soit rayée de la carte pour que les événements climatique­s extrêmes finissent enfin par décroître en fréquence et en intensité. » Après plus de 80 jours de marche à travers le sud de la France, le constat est pénible pour Maxime Lelièvre et Justine Lothier.

Elle est médecin psychiatre. Lui, guide la moitié de l’année en Namibie, forcé au repos par la crise de la Covid-19. Le 12 juillet dernier, le couple de trentenair­es quittait Hendaye, dernière ville côtière avant l’Espagne, en direction de Menton. « Nous voulions rallier à pied les deux extrêmes du sud de la France, de la frontière espagnole à la frontière italienne », explique Maxime Lelièvre.

Une marche de près de 80 jours en totale autonomie, pour se reconnecte­r avec la nature en cette période d’anxiété, marquée par les règles sanitaires.

Bloqués plusieurs jours à La Brigue

« Nous savions qu’en marchant en septembre-octobre, nous serions exposés à des épisodes météorolog­iques. Mais de là à ce que tout soit bloqué comme ça, nous ne nous y attendions pas. Mais les habitants de la vallée non plus. » La veille de la tempête Alex, alors que le départemen­t s’apprêtait à basculer en alerte rouge, Maxime Lelièvre et Justine Lothier se trouvaient non loin de Saint-MartinVésu­bie.

« Nous avons pressé le pas pour arriver à La Brigue, la veille de l’alerte, et nous mettre à l’abri », poursuit Justine.

Les événements qui ont suivi, les habitants de la Roya en subissent encore les conséquenc­es aujourd’hui. D’incroyable­s rafales de vent et des torrents de boue vont s’abattre dans la vallée durant la nuit du 2 au 3 octobre. Au réveil, les communes de Fontan, Saorge, Tende et La Brigue sont coupées du monde.

Sur le blog où ils racontent les

(*) étapes de leur aventure, les trentenair­es écrivent au lendemain de la catastroph­e : « La rivière qui traverse le village, à sec il y a deux jours, impression­ne aujourd’hui par son volume et sa puissance. Toutefois, ce n’est pas elle qui a posé problème à La Brigue, mais plutôt le tout petit cours d’eau qui dévale du Sud. Surnommé par les habitants le “Rio Seco” pour être toujours à sec, le torrent n’a cessé de gonfler pendant les dernières 20 h de pluies diluvienne­s. Sur son passage il a emporté quelques voitures, beaucoup de boue et de nombreux troncs et branches d’arbres qui parsèment ce matin les rues de La Brigue ».

Alors que les habitants leur déconseill­ent de poursuivre leur chemin par les sentiers – «ils étaient certaineme­nt aussi écroulés » –, le couple va rester bloqué trois jours dans un hôtel du village.

Sans électricit­é ni moyen de communicat­ion, les informatio­ns arrivent par bribes. « Nous étions un peu dans une bulle. Le plus dur, c’est quand il y avait des nouvelles de l’extérieur qui passaient. Tout à coup nous prenions conscience de ce qui était arrivé ».

Un « Very Bad Trip » à l’échelle de l’humanité ?

Par « miracle », la télévision « ressuscite » le dimanche en fin d’après-midi, raconte Maxime sur le blog. « Les informatio­ns ne nous apprennent rien de plus, mais ce soir, une chaîne passe “Very Bad Trip”. Le film ne serait-il pas une allégorie de la situation que la vallée de la Roya, et plus largement l’humanité, vit actuelleme­nt ? “Ver y Bad Trip 2”, c’est “Very Bad Trip 1” mais dans une autre ville. Pour trois amis, les mêmes erreurs qu’à Las Vegas mènent aux mêmes conséquenc­es à Bangkok. Des crues et des inondation­s exceptionn­elles, sur tous les continents, on ne voit que ça depuis 20 ans aux infos. L’augmentati­on de la fréquence de tels événements, tous les scientifiq­ues s’accordent à dire que c’est à cause du dérèglemen­t climatique. [...] Nous, Occidentau­x, à l’image des trois contre-héros de “Very Bad Trip”, savons pertinemme­nt que les mêmes erreurs mènent aux mêmes conséquenc­es. »

Loin de vouloir « jeter la pierre aux habitants de la Roya », Maxime et Justine précisent : « Il s’agit plutôt d’une prise de conscience collective. » Et Justine Lothier d’expliquer : « Ce type d’événements là, c’est déjà le changement climatique que nous vivons mais nous n’arrivons pas à prendre la mesure de l’urgence. On se rend compte que même quand ça nous touche, dans nos maisons, nous préférons ne pas trop voir ».

Les deux trentenair­es ont finalement pu regagner Breil-sur-Roya en suivant le chemin de fer. Une marche de 6 heures qui leur a permis de poursuivre leur route jusqu’à Sospel. « Là, nous avons appris que les accès à la montagne étaient fermés par sécurité. Nous venions de traverser toute la France, il ne nous restait plus que 30 km à parcourir. Nous avons finalement longé la route jusqu’à Menton. »

L’aventure finie, elle laisse là des questions restées encore sans réponses : « Qu’attendons-nous, individuel­lement (vous, moi...) comme collective­ment (industriel­s, politiques...) pour changer ? Sommesnous à ce point inconscien­ts pour continuer indéfinime­nt la soirée, en mode “Very Bad Trip” ? »

La vallée de la Roya, frappée de plein fouet, a été obligée malgré elle d’ouvrir les yeux. « Nous avons entendu des habitants se demander si cette vallée pourrait encore exister s’il se produisait encore une catastroph­e comme celle-ci. Espérons qu’elle reste habitée encore longtemps. »

 ??  ??
 ??  ?? Maxime Lelièvre et Justine Lothier voulaient se reconnecte­r à la nature. Ils ont vécu la plus grande catastroph­e naturelle qui a frappé le départemen­t cette année. (Photos DR)
Maxime Lelièvre et Justine Lothier voulaient se reconnecte­r à la nature. Ils ont vécu la plus grande catastroph­e naturelle qui a frappé le départemen­t cette année. (Photos DR)
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Monaco