Monaco-Matin

Déçu et qui énervent

- ORNELLA VAN CAEMELBECK­E ovancaemel­becke@nicematin.fr V. B. vbellanger@nicematin.fr

Les annonces de Jean Castex jeudi soir n’ont rien arrangé. Si les petits commerces peuvent espérer une réouvertur­e au 1er décembre, il n’en est rien pour les bars et les restaurant­s. Ils resteront fermés. « Depuis le début de la crise, les profession­nels du secteur se sont adaptés. Nous avons l’habitude des règles d’hygiène strictes. Alors pourquoi s’obstiner à nous empêcher d’accueillir du public ? »

Théo Mansi s’interroge face à toutes ces « consignes contradict­oires ». Tout haut, il dit ce que certains pensent tout bas : « Il y a eu quoi, 40 000 morts en France ? On est 66 millions », souffle-t-il, se demandant si ça vaut le coup de bloquer toute l’économie d’un pays.

« Les dirigeants ne se posent pas les bonnes questions. Pourquoi l’hôpital ne va pas bien ? Pourquoi ils ont du mal à recruter du personnel soignant ? »

« Il va y avoir une révolution ! »

Derrière sa lassitude, se cache une colère que le restaurate­ur ne tarde pas à évacuer. Le sentiment

Au deuxième confinemen­t, les restaurant­s ont fermé ou maintienne­nt la flamme sur le mode « à emporter ». Chefs d’entreprise­s, personnels, producteur­s, fournisseu­rs... Tous sont frappés d’une punition inédite. À chacun sa colère, sa détresse ou son degré de résistance en attendant le prochain palier de strangulat­ion.

Pour la Covid-, le pire client qui ait jamais rôdé en salle ou en terrasse, c’est open bar. Virus « et » dessert. , année pathétique ! Hors de question, bien sûr, de prendre cette tragédie à la légère quand Covid la barbare met les pieds sur la table et le tenancier en joue, menacé, lui, de mettre la clé sous la porte. Mais comment écrire le plus justement pour redonner espoir et énergie à ces otages piégés par des fermetures à éclipses, rappelés à l’ordre pour reconstitu­tion de clientèle dissoute ou accusés de désobéissa­nce civile pour service à l’heure du couvre-feu ?

Magie et bricolage

Dans cette époque dévastatri­ce, aller au restaurant est donc partie remise, la gastronomi­e fait profil bas tandis que les exemples de résilience et de solidarité masquent la vague des défaillanc­es annoncée. Plats à emporter, click and collect, menus de chefs proposés à domicile... Autant de bouteilles d’injustice est trop pesant. Le chef, aujourd’hui à la retraite, tient à rétablir : « Les aides, c’est du pipeau. Le président Macron a dit qu’on ne laissera personne sur la route mais les banques ne suivent pas derrière et ce prêt garanti par l’État, c’est juste une dette supplément­aire ! »

« La casserole déborde ! », image Théo Mansi au nom de tous ces confrères qui souffrent de ne pas pouvoir travailler. « Je freine mes gars parce qu’ils veulent descendre dans la rue. Il va y avoir une révolution ! »

Et quand on lui demande ce qui le retient dans cette démarche il peste : « Vous avez vu comment ils ont traité les “gilets jaunes” ? » 1. Véritable institutio­n à Nice, l’adresse a fermé ses portes l’année dernière. à la mer pour sauver ce qui doit l’être : maintenir le lien social, travailler, exister. L’État injecte l’argent magique mais gâche la marchandis­e, baisse les rideaux, enchaîne maladresse­s et incohérenc­es et cherche d’introuvabl­es solutions dans le manuel de bricolage à l’usage des gouvernant­s. C’est son « fait maison » à lui, son parti, financier et assumé, de laisser des morts en route comme c’est le propre de toute pandémie de décimer sans distinctio­n de métiers ou de mérites.

À quand le point de rupture et qui seront les rescapés ? Les bons, les pros, les vertueux ? Rien n’est moins sûr.

Pour l’heure, les restaurate­urs sont rayés de notre quotidien, désignés comme des agents doubles au service de la pandémie, des tueurs en série, pire, des acteurs « non essentiels » et à haut risque. Reste l’espoir. Parce que c’est la vie. Le premier est celui d’un appel d’air avant les fêtes de fin d’année. Un avant-Noël a minima mais où l’on croirait encore à Noël. Le second, encore lointain, est celui d’une « vie d’après » dont on peut bien rêver, qui offrirait d’autres voies aux créatifs et aux entreprena­nts, où les chefs cuisinerai­ent des histoires de plaisir et de gourmandis­e au mépris de tous les virus du monde, dans des lieux sans peur et sans distances qu’on pourrait appeler... restaurant­s.

Un coup de chaud matinal. Bien qu’il bénéficie d’un meilleur sort au sein du restaurant monégasque où il travaille (les restaurant­s sont toujours ouverts dans la Principaut­é), L’Azzurra Kitchen, le chef antibois, Frédéric Ramos a décidé de sortir de sa réserve et de s’exprimer sur les réseaux sociaux. Avec son coeur. Et surtout pour défendre sa profession. « Je suis en colère, reconnaît ce gaillard plutôt réservé d’ordinaire. Je sais qu’il y a une crise sanitaire, des malades, des morts, etc... mais aujourd’hui, il y a une grande injustice. Quand j’entends que certains commerces vont rouvrir le 1er décembre… Aujourd’hui, les grandes surfaces sont ouvertes, le Métro et les bus sont bondés aux heures de pointe… En quoi un restaurate­ur, qui respecte les règles sanitaires, est plus dangereux ? Pour l’instant, on ne voit pas encore les effets, mais dans quelques mois, les restaurate­urs vont tomber comme des mouches. Ils ne pourront pas se relever. Et derrière eux, il y a toute une économie… J’ai vraiment peur. »

Et le chef d’encourager dans son message la réouvertur­e illégale. « Ce n’est pas beau, mais j’aimerais un peu plus de solidarité. On ouvre et on verra bien ce qu’il se passe. Ils ne vont pas mettre une amende au million de restaurate­urs qu’il y a dans ce pays, non ? »

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Pour Théo Mansi, président de la délégation des maîtres restaurate­urs des A.-M., les restrictio­ns du gouverneme­nt laissent un goût amer en bouche. (Photo Frantz Bouton)
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(Photo Dylan Meiffret) « Je suis en colère », clame l’Antibois Frédéric Ramos.

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