Monaco-Matin

Laurent Voulzy

- JIMMY BOURSICOT jboursicot@nicematin.fr

Laurent Voulzy file sur ses soixante-douze ans. Mais lorsqu’il est question de musique, l’artiste retrouve vite une âme d’enfant.

Quand Columbia, sa maison de disques, lui a rappelé qu’il n’avait plus sorti de compilatio­n depuis un bail, le natif du XVIIIe arrondisse­ment de Paris s’est vite pris au jeu. « C’était amusant de replonger dans tous ces albums. Même si ça fait un peu prétentieu­x, ce n’est pas toujours facile d’éliminer des titres. Cette fois, je n’ai pas voulu appeler ça best-of », nous explique-t-il au téléphone.

Allons donc pour Florilège. Grâce à cette pirouette sémantique, Laurent Voulzy a pu sortir des sentiers battus. Bien sûr, parmi les trente-six morceaux réunis, on retrouve Rockollect­ion, Karin Redinger, La Fille d’avril, Le Coeur grenadine ou encore Belle-Île-en-Mer Marie-Galante.

Mais ce qui attise particuliè­rement notre curiosité, ce sont ces pistes auxquelles il a souhaité offrir un nouvel éclairage. Pendant trois quarts d’heure, le musicien nous a livré son ressenti et ses anecdotes sur ces petites perles, parfois renvoyées dans l’ombre par des tubes tonitruant­s qui se trouvaient sur le même disque qu’elles. Laurent Voulzy nous a aussi raconté la naissance de Loreley Loreley, l’inédit ajouté à cette tracklist généreuse.

Cocktail chez mademoisel­le (, Le Coeur grenadine)

« Elle est un peu planante, relax, avec des sonorités californie­nnes. Comme souvent, c’est autobiogra­phique. Je décris une soirée, avec des gens qui se saoulent plus vite que d’autres, qui roulent sous la table... Je me retrouve là pour voir celle qui invitait tout le monde, mais elle s’en foutait. Je persévère. Il ne reste plus grand monde et ça termine quand même par une happy end .»

« Je me rappelle très bien du moment où on a fait cette chanson avec Alain [Souchon, ndlr] .On avait fini une maquette avant de dîner. Sur mon magnéto quatre pistes, je m’étais enregistré, j’étais à la limite de l’extinction de voix. J’ai beaucoup aimé le résultat. Des mois après, quand il a fallu aller au studio pour enregistre­r, j’ai essayé de hurler pour me casser la voix, mais je n’ai pas réussi. J’aurais rêvé de retrouver ce timbre éraillé ! »

Flirt (, Bopper en larmes)

« La couleur ressemble à celle de Cocktail chez mademoisel­le . Peu de gens la connaissen­t. La chanson commence par : ‘‘Merde, encore un slow qui passe.’’ Ado, j’allais assez rarement en boîte. Quand c’était le cas, je restais dans mon fauteuil, je dansais un truc qui bougeait de temps en temps. Et puis quand la série de slows arrivait, c’était terrible. Je n’osais jamais inviter quelqu’un à danser. Je pouvais fanfaronne­r avec les copains parfois, mais j’étais extrêmemen­t timide. J’écrivais des chansons pour des filles qui me faisaient battre le coeur. Mais en aucun cas, elles ne le savaient. »

Caché derrière (, Caché derrière)

« On travaillai­t sur les arrangemen­ts d’une autre chanson avec Michel Coeuriot. Il a trouvé un gimmick de vibraphone qui m’a inspiré quelque chose d’autre. Au départ, je comptais appeler la chanson Stonehenge. C’est sans doute l’une des premières chansons où j’évoque ces éléments qui me captivent, le côté caché des choses, quoi. Je suis à la recherche de l’invisible, du mystère. Depuis, j’ai abordé cela souvent dans mes titres. »

Mary Quant (, Avril)

« Alain m’a donné l’idée de parler de la créatrice de la minijupe, qui a ensuite été décorée par la reine d’Angleterre. Moi, j’ai connu l’arrivée de la minijupe. Pour les filles, c’était révolution­naire. Pour les garçons aussi, d’ailleurs. Ce titre me permet de parler encore de mon adolescenc­e. D’un coup, le regard sur les filles changeait, il y avait encore plus de sensualité. Ce n’était pas plus facile de les aborder, mais je les regardais encore plus. »

Acte II - Jelly Bean (, Recollecti­on)

« C’est un peu un aperçu sur tout ce qu’il y a eu avant Rockollect­ion. Comme si c’était la version longue du couplet sur mon enfance dans ce morceau. Sur l’album où figure Jelly Bean, il n’y a pas d’arrêt. C’est presque comme une bande dessinée qui raconte ma vie, de mes premières années à l’homme que j’étais quand le disque est sorti. Je parle de l’endroit où j’habitais avec ma mère, je parle des pantalons en laine qui grattaient que j’étais obligé de mettre pour aller à la messe... Cette chanson, je l’ai écrite très longtemps après cette période d’enfance. Mais les images sont venues naturellem­ent quand j’ai décidé de m’y replonger. C’était très agréable. »

C’était déjà toi (, Lys and Love)

« Je voulais faire une chanson où je retrouvais une fille à la gare de Waterloo, à Londres. Elle disparaiss­ait puis je me rendais compte que je l’avais connue à différente­s époques, dans plusieurs vies. Du temps de l’Antiquité, au Moyen Âge, à la cour des Tudor... J’ai raconté mon histoire à Alain, il était moyennemen­t emballé. On a vraiment lutté, parce que j’y croyais. Finalement, on est allé plutôt dans son sens. On dit que lorsque je découvre l’amour, je m’aperçois que toutes les histoires d’avant étaient du vide. Et ce vide que j’avais, ‘‘c’était déjà toi’’. Celle que j’attendais, donc. On a trouvé une sorte de compromis sur ce coup. Peut-être que j’utiliserai­s mon idée un jour. Mais dans les paroles, j’ai réussi à glisser subreptice­ment quelques mots qui m’offrent une porte de sortie ! »

Rio (, Belem)

« J’ai commencé la guitare à 15 ans. J’ai été très marqué par tous les univers de cet instrument. Que ce soit Georges Brassens, les Beatles, du classique, etc. J’écoutais aussi beaucoup de musique brésilienn­e. J’apprenais à jouer de la bossanova, j’adorais Baden Powell et j’étais assez amoureux d’une chanteuse qui s’appelait Astrud Gilberto. Le Brésil m’a toujours attiré. Mais il a fallu que j’aie plus de 60 ans pour découvrir ce pays. La vie est comme ça. J’arrive à Rio pour tourner le clip de Spirit of Samba. J’étais émerveillé. Sauf que mon coeur était pris par l’amour à ce moment-là. La chanson raconte ça : je suis à Rio, c’est l’un des rêves de ma vie qui se réalise. Mais je ne peux pas le partager avec la personne que j’aime. »

Loreley Loreley ()

« J’ai pensé à La Loreley, un poème d’Apollinair­e qu’Alain m’a souvent récité. Le prénom est beau, la légende aussi. Elle a été modifiée souvent par les auteurs au fil du temps, je l’ai fait aussi. Le chant de Loreley attire les marins et ils finissent par se vautrer sur les rochers en l’écoutant. Elle est sur un rocher et je lui dis : ‘‘Ne vois-tu rien venir ?’’ C’est une manière de se demander si des jours meilleurs se profilent. C’est banal de le dire, mais quelle absurdité de voir des gens être méprisants avec les autres, se faire la guerre. Alors qu’on n’est que de passage sur cette Terre… La musique m’a été inspirée par la tournée que je faisais jusqu’à présent dans les églises et les cathédrale­s. Le titre est pop, mais il sonne un peu comme un cantique. »

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