Automne : une nouvelle gare pour Monaco
Inaugurée le 18 octobre 1868, la ligne Nice-Monaco apporte chaque jour sa foule d’élégants visiteurs en Principauté
Papa, où allons-nous nous promener aujourd’hui ?» « Les enfants, je vous amène à la gare ! Nous n’y sommes pas encore allés depuis qu’elle a été ouverte. Le spectacle de l’arrivée des trains est, paraît-il, impressionnant… »
En cet automne 1868, la grande distraction à Monaco est, en effet, de se rendre à la gare. Elle a été ouverte le 19 octobre, se trouve située sur un terrain surélevé, au pied du Rocher, à l’écart de la ville. Ah, le frisson que l’on ressent lorsqu’on aperçoit, au loin, le panache de fumée de la locomotive ! Jamais on n’avait vu un tel spectacle auparavant. On entend peu à peu le souffle haletant de la machine. Son arrivée s’effectue au milieu de jets de vapeur et de bruits métalliques de roues qui freinent. Les parents ont du rêve plein les yeux, les enfants battent des mains. Les portes des wagons s’ouvrent de chaque compartiment vers l’extérieur. Des passagers élégamment vêtus en descendent, aidés par les porteurs de bagages.
Un premier train pour Charles III
Le projet de construction d’un chemin de fer remontait à 1856. Nous avons déjà raconté comment des pétitionnaires avaient modifié, en 1862, le trajet du train au sein de la Principauté (voir MonacoMatin du 8 août 2020 « Monsieur Briguiboul ne voulait pas de train devant chez lui »). Avant l’ouverture du chemin de fer au public, il y eut un premier train privé, le 9 juin 1868, qui fut réservé au prince Charles III et à sa mère la princesse Caroline. Tous deux se rendirent pour la première fois en chemin de fer à Paris. Le train comportait un wagon-salon et de deux wagons destinés à la suite princière. Le 1er octobre, une commission administrative émanant du ministère français des Travaux publics réceptionne la ligne NiceMonaco. Le Journal de Monaco relate l’événement : « La première locomotive a jeté son premier panache ! Qui aime Monaco le suive ! Le train est arrivé à 5 heures et demie et l’on a dîné à 6 heures, la fête était charmante. Pas de bruit, de joyeuses conversations entre les invités et les membres des commissions, la plupart officiers ou chevaliers de la Légion d’honneur, tous gens aussi distingués que modestes. »
Ouverture sous la pluie
Dix-huit jours plus tard, la gare est ouverte au public. Le Journal de Monaco est à nouveau présent : « Malgré une pluie diluvienne, cette première journée amena dans la Principauté 346 voyageurs. Le lendemain et les jours suivants, le nombre de visiteurs s’est encore accru. Les trains, pris d’assaut à la gare de Nice, déposent quatre fois par jour à Monaco des foules de visiteurs attirés par le désir de parcourir cette voie nouvelle, si pittoresque, que le génie de l’homme a si ardemment conquise sur un sol abrupt, semé d’obstacles qui au premier abord pouvaient paraître insurmontables ; tout a été victorieusement franchi par la locomotive. »
Bancs de bois en e classe
La gare est un petit bâtiment aux portes surmontées d’un auvent. Des aboyeurs annoncent sur le quai les départs et les arrivées des trains. L’élégance est de mise dans les wagons de première classe : «Depuis le 19 octobre, rapporte le Journal de Monaco, cinq ou six wagons de première classe renferment ce que l’on est convenu d’appeler la haute société aristocratique et financière. Ce sont des familles aisées, qui tous les ans, à l’approche des grands froids, cherchant des climats tempérés, viennent se réfugier dans les stations hivernales du littoral… Cette catégorie d’émigrants, dont la majeure partie appartient au beau sexe, se fait remarquer par son luxe et son extrême élégance. »
Le trajet entre Nice et Monaco dure trente-cinq minutes et coûte 1,80 franc en première classe, 1,35 franc en deuxième, 1 franc en troisième.
Si la première classe est luxueuse, la troisième laisse à désirer, constate le Journal de Monaco : « Ces voitures dans lesquelles on entasse les voyageurs ne sont garnies que de bancs de bois, fort étroits, et n’ont aucune planchette pour les petits bagages… alors que les compagnies prodiguent à leurs voitures privilégiées toutes les améliorations susceptibles de rendre la circulation douce et agréable, depuis le fauteuil capitonné jusqu’au coupé-lit et au wagonsalon. »
Le journaliste se demande malicieusement si on ne veut pas, ainsi, dissuader les voyageurs de troisième classe de se rendre à Monaco !
Brassage de population
Désormais, la Principauté va connaître un brassage de population. L’historien Thomas Fouilleron commente : « Si l’ensemble de la population bénéficie du miracle économique engendré entre autres par l’arrivée du train, elle se sent parfois menacée d’envahissement réel ou imaginaire. Plusieurs mondes vont cohabiter dans la Principauté, le “beau monde” du tourisme cosmopolite, les natifs monégasques, et le “prolétariat” des petits employés et des ouvriers, souvent d’origine italienne. »
Sur la place de la gare, des voitures à chevaux attendent les voyageurs. Sept omnibus tirés par des chevaux appartenant à la SBM transportent les clients vers les hôtels. Les chauffeurs sont en livrée jaune.
Tout cela fait rêver.
« Dis, papa, nous aussi, un jour, nous prendrons le train ?... »