Monaco-Matin

La Covid-19? ? Cent ans et même pas peur...

Ils pensaient avoir tout connu en un siècle, mais cette crise sanitaire en surprend plus d’un. À Antibes, ces seniors tentent de tenir le coup. Avec courage et panache pour la plupart…

- Visière ajustée «Jem’adapteàtou­t!»

Ils sont parfois oubliés. Laissés de côté. D’une certaine façon, ils sont pourtant en première ligne. Pas sur le terrain mais reculés. Face à l’ennui. La peur et l’angoisse que la période se prolonge. Eux, ce sont les personnes âgées. Plus particuliè­rement les centenaire­s, bien souvent isolés en ces temps de confinemen­t. À Antibes-Juanles-Pins, ils sont quarante-quatre. Quarante femmes et quatre hommes, installés à domicile ou en maison de repos. Certains peuvent s’appuyer sur un fort soutien, un entourage proche pour rendre le climat moins pesant. D’autres comptent sur les auxiliaire­s de vie pour leur tenir compagnie. Si la première période de confinemen­t a pu sembler pénible aux centenaire­s, ils essaient de prendre la seconde avec plus de recul pour la plupart. L’âge, le vécu et l’expérience leur permettent de relativise­r. En attendant la période des fêtes qu’ils espèrent tout de même un peu plus légère...

La mémoire est vive. Intacte ou presque. Dans l’esprit de Maurice Bergevin, tout est précis. Les anecdotes fusent. Il se plonge dedans avec délectatio­n, écrits ou photograph­ies sous les yeux. Domicilié au Val Claret, cet ancien employé de la police nationale ne se laisse pas griser par le confinemen­t lié à la Covid-19. Loin de là. Pour lui, c’est presque une période comme une autre. Tout juste pénible. «Je ne sors pas ! J'ai des ulcères, une hernie ombilicale, une hernie discale non opérable… J'ai tout ce qu'il faut », glisse-t-il. Il faut dire que Maurice a connu la guerre. Sa froideur. Sa violence. Celle qui vous marque à vie et vous permet de relativise­r. Originaire d’Indre-et-Loire, le centenaire a rejoint la Côte d’Azur en 1945. Avant ça, il a échappé de peu au Service de Travail Obligatoir­e (STO) censé l’envoyer en Allemagne. « Mon beau-père a arrangé ça : il m'a fait rentrer dans la police à Tours et je ne suis pas allé en Allemagne. » Celui qui fêtera ses 101 ans le 8 février a tout de même des souvenirs précis. Pas les plus agréables, mais probableme­nt les plus forts.

« J'ai connu les bombardeme­nts, j'ai reçu un éclat de bombe, assure-t-il en exhibant la pièce en question. Il est tombé sur l’asphalte à cinq mètres de moi, il a rebondi et je l'ai pris sur le casque. J'ai aussi été fait prisonnier par des Alsaciens de mon régiment. Combien de temps ? Deux mois. Je me suis évadé ! » Des années plus tard, Maurice Bergevin gagnait la cité des Remparts pour y côtoyer le général De Gaulle et des vedettes de cinéma. De près ou de loin. Dans un cadre profession­nel ou amical.

« Quand on a connu ça, le confinemen­t paraît moins grave », sourit sa fille, installée à l’opposé de la pièce. Ses journées de reconfinem­ent, l’ancien horticulte­ur les occupe comme les autres. Stylo en main pour noircir ses pages de mémoire ou ses lignes de mots croisés. « Ça ne change pas grand-chose. Je vais deux fois par semaine chez mon épicier, ma voisine m’apporte le pain et me fait des courses. » Occasionne­lles, ses sorties ne lui font pas courir de gros risques. Maurice porte prudemment sa visière et pointe du doigt ceux qui n’en font pas autant. « J'estime qu'il faut être protégé. Moi, je ne peux pas porter le masque avec mes lunettes et mon appareil auditif. Le défaut de ce truc [la visière], c’est qu’il n'y a pas d'essuie-glace. »

Le centenaire se marre. Parfaiteme­nt apprêté, il porte une chemise colorée avec une cravate ajustée. S’amuse à distiller quelques plaisanter­ies entre deux souvenirs d’époque. Il sait ce qu’il veut et surtout ce qu’il ne veut pas. « Si le virus me fait peur ? Il n'y a rien qui me fait peur, balance-t-il d’un ton sec. Le vaccin, je ne le ferai pas. Je ne veux pas servir de cobaye. »

Livré tous les matins, son journal est plié sur un coin de la table du salon et lui permet de rester au fait de l’actualité. Sauf les fois où il ne reçoit pas le bon magazine. Il lui arrive de râler, mais Maurice semble apaisé. La crise sanitaire ne le perturbe plus. « Des périodes comme ça, j'en ai déjà connu », jure-t-il sans donner plus de détails. Après une courte phase d’adaptation, le passionné de photograph­ie a pris le pli. « Je m’adapte à tout ! C’était un peu plus compliqué lors du premier. On avait un peu peur, il fallait le subir. Mais ensuite on s’y fait. S’il devait y en avoir un troisième, ce serait pareil. Je ne vois jamais personne à part les gens du bloc. »

L’Antibois d’adoption peut toutefois compter sur les visites fréquentes de sa fille Muriel et le renfort d’une femme de ménage. « Du temps de mon épouse, c'est moi qui faisais la cuisine quand on recevait du monde. » Les années passent et le temps file, mais le retraité n’a rien perdu de sa verve. Cette sale période peut bien durer quelques semaines de plus, Maurice en a vu d’autres.

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Maurice Bergevin : « Le vaccin, je ne le ferai pas »

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