Braquage à Nice : des vies gâchées pour 6000 €
L’attaque à main armée subie par les employées du Carrefour market de Gorbella en 2018 a été jugée cette semaine et les auteurs condamnés. Les victimes, très marquées, vont pouvoir tourner la page
Dans la salle de repos du supermarché Carrefour market du boulevard Gorbella à Nice, des employées, s’accordent une pause. Il est 13 heures, le 24 juillet 2018. Le moment de détente est brutalement interrompu. Deux hommes armés, visages dissimulés, vêtus de teeshirts aux couleurs de l’enseigne, leur intiment l’ordre de s’allonger, mains sur la tête.
Elles pensent à leurs enfants, voient leur vie défiler. « Qui est Alexandra ? », demande l’un des malfaiteurs. La question sonne comme un ultimatum. Alexandra se lève. Elle détient la clef du coffre du supermarché.
« J’avais tellement peur que je tremblais comme une feuille, rappelle Alexandra. Je ne devais pas travailler ce jour-là. Une collègue était malade. » La veille, 12 000 euros avaient été placés dans le distributeur automatique de billets.
Le braqueur lui met la main sur l’épaule et la rassure : « Tout se passera bien. » Quand Alexandra ouvre la porte du coffre, l’individu s’énerve : « Où sont les chaussettes ? » Dans le jargon du magasin, ce sont des enveloppes où le cash est stocké. Il n’y a que 6 000 euros. Il s’énerve. Il exige l’ouverture du gros coffre, « la tirelire ». Seule la Brink’s y a accès. « Là, j’ai vraiment cru qu’il allait me tuer et je suis tombée. » Les jurés sont suspendus au récit d’Alexandra qui a insisté pour que cette affaire ne soit pas « correctionnalisée » mais jugée par une cour d’assises. Son émotion reste intacte malgré des mois de psychothérapie.
Trois minutes, une éternité
« On ne voit ça que dans les films ou les séries », ajoute, la voix tremblante, Laura, 49 ans, hôtesse de caisse depuis dix-huit ans. Audrey, 42 ans, se souvient à son tour d’une « situation dantesque » : « On a les mains sur la tête. On laisse partir Alexandra. Je ne sais pas si c’est un pistolet russe ou un jouet. Ça dure… Je pense à mes enfants de 3 et 9 ans, j’ai peur de mourir. On n’entend plus rien. J’essaye de rassurer Laura. Mouna se lève et part en courant. J’ai peur qu’ils tirent. »
L’attaque a duré précisément trois minutes. Une éternité pour les employées du supermarché. À écouter les quatre victimes soutenues par Mes Laetita Germanetto et Nicolas Drujon d’Astrosi, il y a un avant et un après cette attaque. À l’euphorie de s’en sortir vivante, succède la difficulté du quotidien, l’angoisse insidieuse qui surgit à tout moment. Hantée par cette scène, Audrey a changé de métier. Les autres, également en arrêt maladie plusieurs mois, attendent impatiemment le déménagement du supermarché qui doit marquer, espèrent-elles, un nouveau départ.
La « taupe » rapidement démasquée
Toutes en veulent beaucoup à Emir Abdelaoui, leur jeune collègue qui les a trahies. Une « taupe », rapidement identifiée par les policiers de la Sûreté départementale. C’est lui qui a fourni les précieuses indications et donné le top départ de l’attaque. L’avocat général Ludovic Manteufel, réclame contre cet homme de 25 ans, inconnu de la justice, cinq ans de prison dont deux ans avec sursis. Défendu par Me Louis Bensa, le jeune homme n’a cessé de demander pardon. Il était en contrat à durée indéterminée. Il dit avoir agi pour effacer une dette de… 250 euros. Les deux accusés dans le box vitré sont d’un tout autre calibre. Douze ans sont requis contre eux. Toufik Staifi, vingt-six condamnations pour un cumul de dix-neuf ans de prison, encourt la perpétuité. Dimitri Pellegrino compte vingt-quatre condamnations. Le magistrat de l’accusation abandonne la circonstance aggravante de bande organisée à la satisfaction des défenseurs, Mes Santini, Ollie et Paganini. «Il n’y a pas, fait valoir le magistrat, une organisation criminelle pérenne, ni une répétition de faits. »
La cour d’assises a partagé cette analyse. Elle a infligé dix ans de réclusion aux deux braqueurs. Emir Abdelaoui, qui comparaissait libre après un an de détention, les a rejoints mercredi soir en détention. Il a été condamné à cinq ans de prison dont trois avec sursis.