La semaine de Claude Weill
Lundi.
Me Henri Leclerc, commentant sur France Inter le débat sur les « violences policières » :
« Autrefois, on les appelait les gardiens de la paix. Aujourd’hui, ce sont les forces de l’ordre. Cela pose un problème. »
La formule est jolie. Est-elle pertinente ? Avec tout le respect dû à l’ancien président de la Ligue des Droits de l’Homme, nous ne sommes plus « autrefois ». Le « problème » ne viendrait-il pas plutôt de la banalisation des violences émeutières ; de l’effondrement du respect de l’uniforme ; de la flambée des cas d’outrage, rébellion, violences contre les représentants de l’autorité publique (+% en vingt ans) ?
Imputer cette évolution à la conduite des forces de l’ordre relève de l’irénisme. On ne brisera pas le cycle de la violence qui depuis cinq ans au moins (loi El-Khomry) pourrit notre vie démocratique sans une réflexion de fond sur les racines et les formes de cette « brutalisation », sans équivalent aujourd’hui en Europe, et sur les complaisances dont elle a bénéficié. Tout le monde devra se remettre en cause. Médias compris.
Mardi.
C’est un peu comme si on vous bâillonnait. Le chroniqueur, un beau soir, découvre soudain que son compte Twitter a été verrouillé pour « conduite haineuse ». Cela pour un tweet qui dénonçait… les haineux précisément : les casseurs du samedi qui invoquent la liberté pour saccager et incendier. Ubuesque !
Dans ce cas, l’utilisateur – votre serviteur – a le choix entre : retirer le tweet incriminé, ce qu’il refuse, ou faire appel (auprès de qui ?, mystère), ce qu’il fait illico. En attendant, l’accès à son compte lui restera interdit.
L’appel a-t-il été entendu ? Vingt heures plus tard, le compte est rétabli. Sans excuses, ni explication. Rien de très grave, ni d’irréparable, donc. Mais une mésaventure désagréable qui appelle réflexion –
puisqu’il est question de libertés, ces temps-ci.
Le chroniqueur n’est pas assez parano pour croire qu’« on » lui en veut ; il a été victime d’un logiciel qui a fait ce pour quoi il est programmé : bloquer lorsqu’il tombe sur certains mots « sensibles ». Manifestement, il y a encore des progrès à faire en matière d’intelligence artificielle. Il est déjà problématique de laisser des robots décider qui a le droit de s’exprimer ou pas. Si au surplus ils laissent passer insultes et menaces et se mêlent de censurer à tort des textes qu’ils ont lus à l’envers, ça ne va plus du tout. Avant que les réseaux sociaux, qui sont la meilleure ou la pire des choses, n’aient irrémédiablement pollué le débat public, il est urgent de mettre en place, comme on l’a fait pour la presse, des systèmes de contrôle humains, efficaces et démocratiques pour civiliser la jungle du Net.
Mercredi.
Valéry Giscard d’Estaing. Anagramme : vertical, sage, dandy, gris. Gris est injuste. Disons, retenu, corseté. Une élégance, un regard, une hauteur naturelle qui
imposent la distance. S’il fallait résumer nos présidents d’un mot, pour de Gaulle, ce serait « grandeur », bien sûr. Pour Mitterrand, « culture ». Pour Chirac, « humanité ». Pour Giscard : « intelligence ».
Intelligence au laser, analytique, froide, dure au besoin. L’intelligence en politique est une vertu précieuse. Elle n’est pas de celles qui vous attachent le coeur des peuples. Ce président-là fut admiré plus que populaire, respecté plus qu’aimé. Plus stable et haut dans les sondages qu’aucun de ses successeurs, il n’en sera pas moins battu, et ce fut pour son orgueil, immense, et sa sensibilité, si bridée, une brûlure inguérissable.
Ce conservateur éclairé fut un novateur. Ce grand bourgeois, un artisan de la démocratisation. Le pays avait soif de liberté, d’émancipation. Il comprit son époque et l’épousa. Avant d’en être à son tour la victime, parce que le temps était venu, décidément, de tourner la page. L’histoire n’est ni juste, ni injuste : elle est.
Reste un bilan, considérable ; des réformes, irréversibles : avortement, droits des femmes, majorité à ans, etc. Les rappeler, c’est souligner combien ces années
soixante-dix furent une bascule. Et Giscard, le fringant président d’une France en transit vers la modernité, pleine encore de foi dans le progrès et de confiance en elle. Une France « d’avant » la déprime des années , et dont la nostalgie ne va cesser de grandir.
Vendredi.
Interrogé sur Brut, Emmanuel Macron ne cache pas son agacement envers les « activistes » qui ont piloté la Convention citoyenne sur le climat et le somment aujourd’hui d’obtempérer «à prendre ou à laisser ».
C’était couru. Laisser monitorer les citoyens de base par des écolo-activistes aguerris, c’était la certitude qu’il sortirait de là un catalogue de mesures radicales, ignorant toute autre considération, économique en particulier. Or la politique, ça consiste à arbitrer entre les contraintes.
Croyant (présomption ou naïveté ?) s’attirer les faveurs de l’écolosphère, qui en France est en gros anticapitaliste et anti-Macron, le chef de l’État s’était engagé à transposer in extenso ,« sans filtre », les propositions de la Convention, à l’exception de trois jokers. Il découvre aujourd’hui que c’est plus facile à dire qu’à faire. Et se voit accusé d’« amnésie »oude« mauvaise foi ».
Il lui faudra beaucoup d’habileté et de persuasion pour désamorcer la mine qu’il a lui-même posée.
« Manifestement, il y a encore des progrès à faire en matière d’intelligence artificielle »