Dr Faredj Cherikh : « Une augmentation de la nervosité »
Quelles différences voyez-vous entre le premier et le deuxième confinement ?
Le contexte était très particulier lors de la première vague de l’épidémie de Covid-. Lorsque le confinement a été décidé au mois de mars, tout était fermé. La population est restée chez elle. La peur était palpable. Partout. A l’extérieur, dans les hôpitaux, chez les gens, chez les soignants. Aujourd’hui, on a davantage de recul et surtout on connaît mieux la maladie. Mais aussi, on sait comment se protéger, on dispose d’équipement de protection : de masques, de gel hydroalcoolique, etc.
Pour les professionnels de santé, psychiatres, ce contexte de crise sanitaire est inédit... De ce fait, il est aussi propice aux études.
Oui, de nombreuses recherches ont été menées dans le monde sur des thématiques très variées. Et le mot qui revient le plus, ce n’est pas « Covid » mais « lockdown » – confinement en anglais. Car c’est cela qui marque le plus les esprits. Ce n’est pas tant la maladie en elle-même que la privation de liberté qui en résulte.
Quelle a été la conséquence majeure, d’un point de vue psychologique, de cette privation de liberté ?
Beaucoup d’études mettent en évidence une augmentation de la nervosité et de l’irritabilité. Et ce, chez tout le monde ! Parce que nous avons été plongés du jour au lendemain dans l’incertitude. Progressivement, les choses se sont arrangées. Toutefois chez certains, cela n’a pas été le cas. Des personnes très angoissées se sont retrouvées accrochées à leur télévision, regardant toute la journée les chaînes d’information en continu, de peur de rater une info. Ce comportement n’est autre qu’une vaine tentative de maîtrise. Mais cela ne fait que majorer les problèmes parce que ça maintient dans une forme d’hypervigilance. C’est épuisant à la longue.
Le reconfinement fin octobre a-t-il été plus facile à gérer ?
La réponse n’est pas évidente. Paradoxalement, dans les esprits, ce reconfinement a été plus contraignant parce que le risque de contamination était bien réel : plus encore qu’au printemps quand les gens ne sortaient pas et ne voyaient personne. En ce moment, force est de constater qu’il y a du monde dehors et donc qu’il y a plus de risques d’attraper la Covid. Nous faisons tous beaucoup de choses, davantage d’activités continuent, parfois dans la contrainte (parce qu’il faut sortir faire des courses, emmener les enfants à l’école, travailler, etc.) ce qui a forcément un effet sur le mental. Surtout, cela engendre une grande fatigue.
Sommes-nous toujours dans la crainte et l’anxiété ?
En réalité, cela dépend. D’un point de vue sanitaire, on a globalement moins peur parce qu’on a le recul du début d’année, on connaît davantage de choses sur la Covid et parce qu’on a su s’adapter. Dans les esprits, les gens se disent que les hôpitaux arrivent mieux à prendre en charge les patients. Mais si nous sommes moins dans la crainte vis-à-vis du virus, on l’est beaucoup plus s’agissant d’autres domaines de la vie. Pour beaucoup, les conséquences économiques sont importantes et engendrent de ce fait beaucoup d’inquiétude. Nombreux sont ceux qui craignent de perdre leur emploi – ou qui l’ont déjà perdu. A la peur d’être malade s’ajoute celle de sombrer économiquement.
Redoutez-vous des conséquences d’ordre psychologique ou psychiatrique sur le long terme ?
Oui, c’est évident. Actuellement, beaucoup de personnes tiennent grâce au fait qu’elles sont dans cet état d’hypervigilance. Mais lorsque nous serons à nouveau déconfinés ou quand la maladie régressera significativement, ils risquent de relâcher la pression d’un coup et de décompenser. Beaucoup de spécialistes pensent que la troisième vague sera psychiatrique.
D’où vient ce risque de décompensation ?
Eh bien, la crise sanitaire, les confinements nous ont tous bouleversés.
Beaucoup ont été capables de s’adapter. Mais certains, non. De ce fait, ils s’épuisent à tenter de lutter. Et c’est lorsque la situation s’améliore, le fait justement de relâcher un peu la bride expose au risque de perdre pied. La situation a fragilisé des individus ou a mis au jour des failles préexistantes dont on ne soupçonnait pas toujours l’existence. Le doute, l’anxiété se sont immiscés au plus profond de chacun, y compris et surtout jusque dans ces failles. Il faut bien comprendre que cela peut toucher absolument tout le monde !
Que conseillez-vous ?
Il ne faut pas attendre d’être mal pour consulter. Dès qu’une personne ne se sent pas très bien, qu’elle est anxieuse, elle peut s’adresser à un spécialiste : psychologue, psychiatre, ou même en parler avec son généraliste. Parfois une ou deux séances suffisent pour aller mieux. D’autres fois, cela va permettre de travailler sur des problèmes qu’elle avait occultés mais qui sont réapparus avec la crise sanitaire. Une consultation n’est jamais une perte de temps !