Monaco-Matin

« Un clin d’oeil du destin »

Une pole, deux victoires : avec la pépite Oliveira, le team varois Tech3 a tutoyé les étoiles et accéléré l’essor de KTM. Patron comblé, Hervé Poncharal trace le bilan et les perspectiv­es

- PROPOS RECUEILLIS PAR GIL LÉON

Sûr qu’il n’oubliera pas de sitôt cet an II de l’alliance KTM-Tech... S’il est bien rentré au bercail, du côté de Bormes-les-Mimosas, Hervé Poncharal peine à redescendr­e sur terre deux semaines après le weekend de rêve durant lequel Miguel Oliveira, dans son jardin lusitanien (GP du Portugal), a laminé la concurrenc­e pour conclure avec brio la saison MotoGP  et sa tranche de vie au sein du commando varois. À l’heure du bilan, forcément, le compte est bon pour un patron qui a eu le nez creux en choisissan­t d’épouser la trajectoir­e ascendante de la firme autrichien­ne.

Hervé, l’équipe Tech pouvait-elle rêver une apothéose plus étincelant­e pour souffler sa e bougie et célébrer ses  ans de présence dans la catégorie reine ?

Franchemen­t, plus je repense au scénario du Grand Prix du Portugal, plus je me dis que c’était trop beau. Au-delà de ces deux anniversai­res déjà dignement fêtés trois mois plus tôt en remportant le GP de Styrie, à Portimao, il s’agissait de la dernière course de Miguel Oliveira chez Tech. C’était aussi la dernière de Guy Coulon (l’indissocia­ble cofondateu­r et directeur technique de Tech) en tant que chef mécanicien, la première fois qu’un pilote portugais courait à domicile en MotoGP... Bref, j’ai l’impression que ça ressemble à un clin d’oeil du destin. Qu’on a vécu un conte de fées. Chaque jour, tout s’est goupillé parfaiteme­nt. Toucher du doigt le paradis quand vous n’en avez pas l’habitude, c’est jouissif. Toute l’équipe savoure à fond. Nous sommes sur un petit nuage... et on n’a pas envie de le quitter.

Miguel vous avait prévenu qu’il comptait faire cavalier seul en tête à domicile, façon Marc Marquez ?

Non. Comme nous, Miguel ne fanfaronne jamais avant une course. L’humilité fait partie de ses nombreuses qualités. Mais je savais que cette finale chez lui comptait beaucoup à ses yeux. Portimao ne figurait pas au calendrier , initialeme­nt. C’était une épreuve de réserve. Quand le coronaviru­s a tout chamboulé, lui, son père et Jorge Viegas (le président portugais de la Fédération Internatio­nale de Motocyclis­me) se sont

investis pour que l’on achève la saison sur ce tracé jamais visité par le passé. Miguel voulait marquer le coup. « Dans ma tête, il était hors de question que je ne gagne pas ici », m’a-t-il soufflé le dimanche soir, après sa démonstrat­ion magistrale. Ça aurait pu casser. C’est passé !

Quelle a été la clé de sa réussite selon vous ?

D’abord, je pense qu’il a réalisé un super boulot de mise au point avec son équipe technique. Sur le papier, le tracé sinueux et vallonné de Portimao devait mieux convenir aux moteurs  cylindres en ligne des Yamaha et Suzuki qu’aux V des KTM et Ducati. Miguel a trouvé les réglages, l’équilibre, le feeling, les trajectoir­es. La KTM la plus proche, celle de Pol Espargaro, finit e à ’’ ! La motivation n’explique pas tout. La connaissan­ce du circuit non plus car les autres ont pu prendre leurs repères lors d’une journée test organisée avant le GP de France, puis lors des essais libres le vendredi et le samedi. Personne n’a pu le battre en qualificat­ions. Personne n’a pu le suivre durant la course. Parce qu’il s’est transcendé, voilà !

Bien sûr, aujourd’hui, il figure dans le top  des pilotes qui ont forgé l’histoire du team Tech ?

Ah forcément ! Grâce à lui, on décroche nos deux premières victoires dans la catégorie reine. Qui plus est au début, ou presque, de cette aventure avec KTM représenta­nt notre plus gros défi technique. Miguel s’en va en laissant une empreinte indélébile. Vous savez, il aurait pu aussi figurer dans le top  final du championna­t. Il termine e, mais à seulement  points d’Alex Rins (e). C’est peu. Surtout quand on se rappelle qu’il a perdu deux opportunit­és de gros score en se faisant percuter par Brad Binder (GP d’Andalousie) et Pol Espargaro (GP d’Autriche).

Il a l’étoffe d’un futur champion du monde ?

Oui, je le place sans hésiter parmi les quatre ou cinq pilotes capables de décrocher la lune aujourd’hui. Il y a un an, après sa première saison chez nous gâchée par une blessure, je ne vous aurais pas répondu cela. Maintenant, je le sais : il a la pointe de vitesse, mais aussi la force de travail, l’intelligen­ce et la zénitude requises.

Quels ont été vos derniers mots pour lui avant que vos routes ne se séparent ?

Je lui ai juste dit qu’il venait de réussir un chef-d’oeuvre. « Grâce à toi, on se quitte avec des larmes de bonheur. C’est beaucoup mieux qu’avec des larmes de tristesse. » Et puis j’ai ajouté : « Miguel, tu vas nous manquer énormément. » Je le pense !

Il a placé la barre très haut. Son successeur peut-il faire aussi bien ?

L’avenir le dira. Dans le camp KTM, Danilo Petrucci comble en fait le départ de Pol Espargaro (remplacé par Oliveira au sein du team usine de la firme autrichien­ne). Aux côtés de ses trois jeunes loups

(Binder, Oliveira et Lecuona),

KTM voulait un homme expériment­é. Danilo a  ans. Il vient d’enchaîner six saisons en tant que pilote officiel Ducati. Il a gagné deux courses, une sur le sec

(GP d’Italie ), une sous la pluie (GP de France ).

Ce sera intéressan­t de savoir ce qu’il ressent au guidon de la RC. On attend impatiemme­nt ses commentair­es. Il bossera en compagnie d’un compatriot­e, Sergio Verbera, le chef d’équipe de Brad Binder en  nommé à la place de Guy (Coulon) chez nous. Ils se connaissen­t, ils ont déjà fait un bout de chemin ensemble. Donc, ça peut être le début d’une nouvelle expérience durable, fructueuse.

Ou une fin de carrière précipitée si les choses ne se passent pas comme tout le monde l’espère.

Et Iker Lecuona ? Qu’attendez-vous de sa saison  ?

Je regrette qu’il n’ait pas pu concrétise­r sa progressio­n à Valence et à Portimao, deux pistes qu’il aime. Avant que le coronaviru­s le mette sur la touche, Iker commençait à aligner des super chronos, à rivaliser avec des pilotes capés, tels Dovizioso, Petrucci... À  ans, il faut beaucoup rouler pour apprendre. C’est dommage de passer à côté de trois courses comme ça. Maintenant, il a démontré son potentiel. J’espère, et je crois, qu’il peut réussir le même bond en avant que Miguel. Comme Danilo, Iker sait qu’il chevaucher­a une machine capable d’obtenir des pole positions et des victoires. Pour l’avenir de l’un et de l’autre,  sera une saison cruciale.

Pourquoi Guy Coulon a-t-il décidé de passer la main ?

Son choix de prendre un peu de recul ne date pas d’hier. Il m’avait annoncé la couleur fin . Comme prévu, il a tenu la barre durant nos deux premières saisons avec KTM. En , ce championna­t confiné en Europe, sans déplacemen­t lointain, sans décalage horaire, lui a permis de vivre pleinement sa passion. Surtout que les résultats furent au rendezvous. À bientôt  ans, sa flamme brûle plus que jamais. Attention, Guy ne part pas à la retraite, comme certains le disent ou l’écrivent. Guy reste notre pilier technique. Il a réussi sa sortie de chef mécanicien, mais la route va continuer différemme­nt. Chez KTM, on apprécie la pertinence de ses analyses. Il a des idées, il réfléchit. Et puis il aura plus de temps pour se pencher sur nos deux pilotes espoirs engagés en Moto (le Japonais Ayumu Sasaki et le Turc Deniz Öncü) sur les circuits ainsi que pour bichonner les motos anciennes de Tech Classic à Bormes.

Lundi, Tech a annoncé avoir prolongé son contrat avec la Dorna de  à ...

Carmelo Ezpeleta (le promoteur du MotoGP) et son équipe m’ont vraiment bluffé cette saison. Face aux vents et courants contraires, ils sont parvenus à maintenir le plateau à flot. Chapeau bas ! Canal + réalise de bons scores d’audience. Le spectacle plaît, la discipline fonctionne. Donc on signe pour cinq ans supplément­aires. Maintenant, il faut trouver le partenaire technique avec qui nous collaborer­ons durant cette période. KTM, sans doute. Je n’envisage pas d’autre piste.

‘‘ Miguel s’en va en laissant une empreinte indélébile ”

‘‘ On n’entend plus de moqueries sur KTM ”

D’autant plus qu’un accord verbal a été scellé à Portimao, paraît-il. Vous confirmez ?

En effet, Stefan Pierer

(le PDG de KTM) et moi, on s’est tapé dans la main. Reste à parapher les papiers. En , on n’entend plus de moqueries sur KTM. Trois pole positions, trois victoires : ils n’investisse­nt pas pour rien, leur plan de bataille marche. Alors j’espère qu’on avancera encore ensemble longtemps. Et qu’on les aidera à décrocher le titre mondial.

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Hervé Poncharal (à droite) : « Au Portugal, j’ai juste dit à Miguel (Oliveira, ci-dessous) qu’il venait de réussir un chef-d’oeuvre ».
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