« Cette affaire est un labyrinthe, un puzzle »
Pierre Boisson est l’un des auteurs de l’enquête phénomène parue cet été dans le magazine Society, intégralement republiée sous la forme d’un livre ce mercredi
Comment a germé l’idée de republier l’enquête de Society sous la forme d’un livre ?
Cet été on a vendu quasiment exemplaires des deux numéros (on a dû les réimprimer cinq fois). Des gens l’ont lu au bord de la piscine, d’autres l’ont passé à cinq personnes… Soit leurs exemplaires sont en mauvais état, soit ils ne l’ont plus. Ce livre, c’est un peu pour avoir un objet à garder. Il a une existence un peu différente que celle d’un magazine.
Comment expliquez-vous l’engouement autour de cette histoire ?
Je l’explique par deux choses. La première, c’est l’absence de réponses, c’est le mystère autour de l’affaire Ligonnès qui en fait un objet qui intrigue les Français. Dans les autres grands faits divers, c’est toujours comme ça : dans l’affaire du petit Gregory, il n’y a pas de coupable ; dans l’affaire Estelle Mouzin, même s’il y a Fourniret, à partir du moment où il n’y a pas de corps, ça reste un mystère. Ligonnès, c’est l’affaire « parfaite » en termes de mystère. Elle pose une multitude de questions, c’est une affaire très complexe, labyrinthique, c’est un puzzle.
Et la seconde explication…
La seconde chose, c’est que les faits divers sont quelque chose de très démocratique dans le sens où ils s’intéressent à la vie des gens. Ce que l’on découvre dans l’affaire Ligonnès, c’est le carcan moral et religieux dans lequel grandissent les enfants de familles versaillaises, c’est la fascination pour les USA, pour l’argent et les belles voitures dans les années , ce sont les spirales d’endettement dans lesquelles des Français se sont enfermés au tournant des années , ce sont les petits secrets des familles et les grands mensonges qui ont un poids qui se transmet souvent de génération en génération… Les faits divers permettent de parler de sujets de société souvent invisibles.
Votre enquête est présentée comme « la plus aboutie » sur cette affaire. Qu’est-ce que ça fait d’être devenu un « expert en Ligonnès » ?
(Rires) J’aimerais bien ne pas devenir un expert en Ligonnès ! On a essayé de comprendre les moindres ressorts de cette affaire. Une fois que notre travail est terminé, notre objectif n’est pas d’avoir des théories, des hypothèses ou des commentaires que l’on partagerait sur des plateaux télé. C’est même le contraire de ce que l’on a voulu faire dans notre enquête. On a voulu rester collés aux faits avec un récit le plus fidèle et le plus complet possible. Tout ce que l’on y met, même dans la tête des personnages, ce sont des choses qui ont été vérifiées, rien n’est inventé.
Comment avez-vous vécu le fiasco de l’annonce de l’arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès (XDDL) en Écosse ?
J’étais au Canada, j’ai reçu des centaines de messages, je suis directement monté dans un avion pour retourner au bureau, il fallait que l’on fasse quelque chose… Dans l’avion, je me suis dit que tout notre travail – pratiquement trois ans d’enquête – allait partir en fumée, c’était frustrant. Je me suis aussi aperçu que les gens autour de moi dans l’avion, essentiellement des Français, parlaient de ça. Ça m’a conforté dans l’idée que ça captivait toute la société française. Finalement à Society, on a eu la chance d’avoir de la distance parce qu’on n’est pas sorti le lendemain. On a fait un petit article sur l’impact que cette fausse arrestation avait eu sur les proches. Et on s’est dit que pour les six mois à venir, on s’y consacrerait à plein temps… Ça nous a mis un coup de pied aux fesses !
Vous avez le sentiment d’avoir fait oeuvre de rédemption pour la presse ébranlée par le fiasco ?
On ne s’est pas posé la question. Notre enquête a montré que les gens – alors que l’on n’arrête pas de dire qu’ils ne lisent plus – sont capables d’acheter des magazines quand on leur propose de la qualité. Ça me rend fier pour notre travail et je trouve que c’est un signe très positif, très encourageant pour toute la profession.
Votre enquête lève le voile sur de nombreux détails et révélations. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?
Ce sont toutes les impasses dans lesquelles est tombée la police. Ilyades coïncidences incroyables. Par exemple, quand les policiers arrivent au Formule où Ligonnès a passé sa dernière nuit connue, dans la nuit du au avril, ils se rendent compte que dans le même hôtel, le avril, il y a eu une personne qui s’est enregistrée avec le même nom d’emprunt utilisé par Ligonnès dix jours plus tard. Quand les policiers voient ça, ils se disent qu’il y a un lien, ils trouvent cette personne, et en fait non : c’était une coïncidence totale. À plusieurs reprises dans l’enquête, les policiers se retrouvent dans cette situation, où ils pensent qu’ils ont enfin mis la main sur la clé, et quand ils arrivent, c’est du vent. C’est terrible, abyssal, ça fait perdre du temps, de l’énergie de l’espoir.
Le département du Var est incontournable de la biographie de XDDL, quel sens donnez-vous au choix de disparaître à Roquebrune-sur-Argens ?
Quand les enquêteurs se rendent compte que la derrière trace de Ligonnès est dans le Var et qu’il a une relation à la région qui est ancienne, profonde (il a vécu à Draguignan, Lorgues, etc.), ils se posent logiquement des questions. La première chose qu’ils font, c’est de fouiller partout, d’interroger tous les gens, ils font des trucs incroyables ; ils vérifient tous les appels téléphoniques passés depuis des cabines téléphoniques de Roquebrune-sur-Argens, ils vont interroger tous les chauffeurs de bus de Roquebrune, ils fouillent les bâtiments abandonnés… Ils ne trouvent rien, alors ils se disent “bon, il y a peut-être un lien avec son passé”. Ils vont voir ses anciennes habitations, là où il est passé. Rien non plus. Du coup, si ça n’est pas ça, est-ce qu’il est allé chercher dans le Sud une complicité logistique ou financière pour permettre sa cavale ? C’est là où les policiers en viennent à chercher un complice. Ils cherchent alors tous les gens qui étaient dans l’entourage de Ligonnès et qui étaient à ce moment-là dans le Var. Et tout le monde a des alibis assez solides. Alors pourquoi le Var ? C’est une des questions énormes qui continuent de planer sur cette enquête.
Il y a aussi la piste des monastères à l’échelle de la région…
Une piste considérable. Les enquêteurs se sont demandé si Ligonnès n’était pas allé dans le Sud justement pour aller se cacher dans un monastère. Historiquement, ces lieux ont pu être des refuges pour des criminels, ce sont des lieux de silence et en plus on sait que Ligonnès avaient des connexions religieuses très fortes via sa famille. Il y a eu plusieurs inspections mais, petit à petits, les enquêteurs se sont rendu compte qu’il y avait dans la région, non pas des dizaines mais des centaines de lieux – pas forcément des monastères – à connotations religieuses. Par
L’enquête fleuve de Society sur l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès va faire l’objet d’une adaptation sous la forme d’une série télévisée. C’est ce que viennent d’annoncer le groupe So Press (Society, Sofoot, etc.) et la société de production Federation Entertainment (Le Bureau des Légendes, etc.) qui ont conclu un partenariat « en vue de prolonger dans le champ audiovisuel, les enquêtes et portraits exclusifs développés par le groupe de presse ».
‘‘ Ilyades coïncidences incroyables”
L’enquête sera adaptée en série
exemple des petites fermes où cinq personnes vivent avec des codes monastiques et qui sont autant de lieux en lien les uns avec les autres. S’il fallait tous les perquisitionner en même temps, ça demanderait d’envoyer des forces policières énormes… En fait, ce n’est pas réalisable logistiquement.
Des pistes ont-elles été inexploitées ou mal explorées ?
Elles ont été exploitées dans les possibilités imparties à la police, je ne considère pas qu’elle a raté son enquête. Les policiers se sont tués à la tâche avec une enquête minutieuse et précise mais ils ont manqué de chance – parce qu’il en faut aussi – et ils sont partis avec un retard initial. Ligonnès tue son dernier enfant le avril, il ne disparaît que le , la police (qui a découvert les corps de avril , Ndlr) aurait eu le temps de le poursuivre et de le retrouver dans sa cavale.
Avez-vous prévu une suite à votre enquête ?
Pas nécessairement, mais potentiellement. Le succès de notre enquête a fait que l’on reçoit beaucoup de signalements, des témoignages de gens qui veulent nous apporter des infos complémentaires, ces gens-là on les écoute… Il y a plein de fausses pistes et on se dit, on espère, qu’un jour il y en aura peut-être une bonne.
Xavier Dupont de Ligonnès, L’enquête. Éd. So Lonely et Marabout, p., , €