Monaco-Matin

Un professeur menacé raconte sa descente aux enfers

Charles, un jeune professeur au lycée Apollinair­e, avait été menacé de mort sur les réseaux sociaux le 15 novembre, près d’un mois après l’assassinat de Samuel Paty. Il revient sur ce cauchemar, dix jours après la condamnati­on de son agresseur

- RECUEILLI PAR VÉRONIQUE MARS vmars@nicematin.fr

Dix jours après la condamnati­on de son agresseur à dix-huit mois de prison pour « apologie publique en ligne d’un acte de terrorisme et de menace de mort », nous avons rencontré, hier, Charles, ce jeune prof menacé de mort sur les réseaux sociaux au cabinet de son avocat,

(1)

Me Julien Darras.

À 25 ans, ce professeur en sciences de l’ingénieur au lycée Apollinair­e se remet peu à peu de ce cauchemar.

L’audience au tribunal correction­nel de Nice, la confrontat­ion avec son agresseur, un jeune extérieur au lycée, a été pour Charles «le pire jour de (sa) vie. »

« À la barre, j’ai tout revécu. Au niveau émotionnel, cela a été intense et j’ai craqué. »

Accompagné de Fabienne Langoureau, secrétaire académique du SNES-FSU qui l’épaule, Charles s’est confié pour que « quelque chose d’utile sorte de cette histoire. Pour servir la profession ».

Comment allez-vous ?

J’ai l’impression de vivre dans un film, comme détaché. Je suis sous cachets pour me relaxer. Deux fois par semaine, je vais à l’hôpital Pasteur où je suis suivi par la cellule psychotrau­ma, celle créée après les attentats du -Juillet. J’essaye de me remettre de tout ça.

Cette histoire vous a traumatisé ?

Aucun prof ne s’attend à vivre ça. Dès le début, les policiers ont pris l’affaire très au sérieux. Ils m’ont demandé de rester chez moi, d’enlever mon nom sur la boîte aux lettres. De ne rien dire à mes collègues pour ne pas gêner l’enquête. Pendant deux semaines, j’ai vécu dans la peur. Peur de sortir dans la rue, peur d’aller chez mon avocat...

Tout cela pour une affaire de triche lors d’un bac blanc ?

Six ou sept de mes élèves avaient triché, et pour l’une d’eux ce n’était pas la première fois. Je l’ai avertie par mail, que je voulais voir ses parents. Par un effet d’enchaîneme­nt, cette liste d’élèves qui avaient triché s’est retrouvée, le  novembre, sur le réseau social Snapchat. Le soir, durant plus de trois heures, de  heures à  h , j’ai reçu sur ma messagerie personnell­e, des dizaines de mails me menaçant de mort.

Me Darras (en ouvrant son dossier) : « Ces messages sont salés : “Tu vas pas dire qu’elle triche, je te tue” (...) “Je viens avec mes collègues, je t’arrache la tête” (...) “Pédé, tu vas subir comme Samuel Paty” (...). »

Avez-vous été soutenu ?

Dans la foulée, j’ai averti par mail ma hiérarchie et le lendemain à

 h , tout le monde était là. J’ai été soutenu de façon incroyable. Le lycée m’a accompagné pour porter plainte, le rectorat l’a fait de son côté. Une psychologu­e m’a téléphoné tous les jours, tout comme un médecin. J’ai reçu un message de soutien du recteur de l’académie de Nice. Le syndicat (SNES-FSU) m’a soutenu et accompagné. Je n’ai pas vu une personne contre moi. J’ai senti que je n’étais pas seul. Mes élèves se sont mobilisés aussi pour tenter de trouver qui m’avait envoyé ces menaces de mort. Les policiers m’ont dit que je pouvais être fier d’eux car ils les avaient beaucoup aidés.

Où en êtes-vous profession­nellement ?

Je suis en arrêt de maladie, plus exactement en accident de travail. On me dit de prendre mon temps pour me remettre de tout ça. Mais j’ai envie de retrouver ma vie d’avant, de reprendre les cours. Je suis déjà allé au lycée Apollinair­e pour rencontrer des collègues et j’y ai croisé certains de mes élèves.

Après ce que vous avez vécu, vous voulez toujours être prof ?

C’est mon rêve depuis tout petit. Mes élèves n’y sont pour rien. Le lycée non plus. J’espère y rester, que mon poste sera conservé. J’aime bien les élèves d’Apollinair­e même s’ils ne sont pas parfaits. J’ai le sentiment d’être utile.

Comment envisagez-vous votre retour ?

Je sais que la première heure de cours va être difficile. La direction du lycée m’a déjà dit qu’elle serait présente à mes côtés, en classe. Cette histoire est tombée sur moi. Une malchance. Je vais l’utiliser pour faire de la pédagogie à mes élèves, leur parler des réseaux sociaux. Je suis pressé de les revoir pour que l’on passe à autre chose. Pour les préparer au bac, à Parcoursup. Pour tout reprendre, comme il le faut.

1. Voir nos éditions du 29 novembre.

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(Photo Éric Ottino) Dans le cabinet de son avocat Me Darras et accompagné par Fabienne Langoureau, secrétaire académique du SNES-FSU, Charles a hâte de retrouver sa vie d’avant, au lycée Apollinair­e.
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 ?? (Photo Éric Ottino) ?? Le lycée Apollinair­e, où Charles enseigne, avec « le sentiment d’être utile ».
(Photo Éric Ottino) Le lycée Apollinair­e, où Charles enseigne, avec « le sentiment d’être utile ».

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