Un gendarme au tribunal pour avoir tiré sur un fuyard
Après un refus d’obtempérer pour une fraude au péage et une course-poursuite, le militaire avait tiré à trois reprises sur un automobiliste antibois à le blessant gravement
Sur l’autoroute A8, le 31 janvier 2016, un automobiliste au volant d’une petite Fiat Cinquecento utilisant la technique éprouvée par les resquilleurs, dite du « petit train », passe en fraude à la barrière de péage de Nice Saint-Isidore en direction de Saint-Laurent-du-Var. Aussitôt l’alarme se déclenche, ce qui alerte deux gendarmes du peloton autoroutier stationnés dans leur Peugeot Partner à proximité de la voie nord. Ils rejoignent rapidement le conducteur indélicat, sirène deux tons et clignotants bleus en service. Il fait mine de stopper, sachant qu’il est passible d’une amende de deuxième classe. Mais aussitôt celuici redémarre et file à toute allure pensant semer la maréchaussée. Il effectue alors un véritable rodéo, alternant embardées et tentatives d’envoyer le Partner des gendarmes, lancés à ses trousses, dans le décor.
Trois coups de feu avec son arme de service
Il met sa capuche sur la tête, prend la sortie de l’aéroport en coupant les voies à la dernière seconde. Puis il s’engage à contresens dans un rond-point en chantier près de la zone commerciale de Cap 3000. C’est là qu’il se fait stopper par les militaires qui réussissent à le coincer entre une barrière grillagée et leur véhicule.
Un des deux gendarmes, âgé de 50 ans, sort de son véhicule, se positionne à l’avant gauche et après une succession d’événements qu’il a décrit mercredi à la barre du tribunal judiciaire de Grasse, fait feu à trois reprises avec son arme de service en direction de la petite Fiat dont le hayon arrière s’était ouvert. Les projectiles ont atteint H.T. - un Antibois de 40 ans au moment des faits au visage (mâchoires, gencives, dents fracturées), au thorax et au bras, entraînant une ITT de 30 jours. Condamné à dix-huit mois de prison ferme le 4 avril 2016, H.T sera poursuivi pour différentes infractions relatives à cet incident dont le refus d’obtempérer avec mise en danger de la vie d’autrui.
L’autre gendarme resté dans le véhicule avait tenté de prendre une photo de l’immatriculation et de demander du renfort. Poursuivi pour violences aggravées, le gendarme en complet veston, coupe réglementaire et carrure athlétique, répond sans hésiter aux questions du président Christian Legay.
« Je me suis senti en danger »
Marié et père de famille, le prévenu, qui est titulaire de la médaille de la reconnaissance de la Nation, est actuellement détaché dans un service administratif.
- « Pourquoi sortez-vous votre arme ? », demande le magistrat
- « Le conducteur a soudain accéléré pour se dégager, c’était mon dernier recours. La herse était dans mon véhicule, et le bâton ou la lacrymo peu efficace, je me suis senti en danger lorsque j’ai perçu qu’il se déplaçait, j’avais ma jambe contre le capot », répond le prévenu.
Sur une vidéo parvenue de manière anonyme à la justice, enregistrée sur une clé USB, on voit la scène avec suffisamment de détails pour en tirer un rapport rédigé par un expert. Il décrit le gendarme tenant le pistolet Sig Sauer 9mm à deux mains et effectuant les tirs en moins de trois secondes en direction de la Fiat. De la fumée s’échappe à hauteur des pneus qui crissent, le véhicule se déplaçant à vitesse modérée, en crabe pour tenter de se dégager. Les sons et les voix peu audibles sont masqués par le bruit ambiant.
- « Les tirs étaient-ils espacés ou bien, dans la foulée, simultanés ? » demande le président
- « Oui, très proches, c’était un tir de riposte. Il n’y avait aucune autre solution. Pour moi, je me retrouvais coincé entre deux voitures. Mon but était d’immobiliser le véhicule », répond le gendarme.
« La victime est un miraculé »
À la partie civile Me JeanDenis Flori veut démontrer « qu’il s’agit d’un dossier simple tellement il y a d’éléments incontestables. La victime est un miraculé. À aucun moment le gendarme s’est trouvé en contact, il était sur la gauche, pas de face. On ne lui a pas foncé dessus ».
Le procureur de la République Annabelle Salauze se demande « s’il y avait une absolue nécessité d’arrêter le fuyard ? Le gendarme ne risquait pas de se faire écraser, cela justifiait-il l’usage de l’arme ? À aucun moment vous ne vous êtes jeté en arrière. Cette course-poursuite que l’on peut qualifier de prise en chasse a fait prendre aux différents protagonistes des risques disproportionnés. Il fallait laisser partir le fuyard. Il y a eu un dérapage dès le début. On est allé trop loin dans cette affaire ». Elle requiert deux ans de prison avec sursis.
Aux intérêts de son client Me Lionel Escoffier (Barreau de Draguignan) rappelle le contexte et le climat sécuritaire de l’époque et les consignes qui vont avec. Il avance : « On était après les attentats du Bataclan. C’était une interception dynamique. Le fuyard s’est cagoulé et avait la volonté de percuter les gendarmes. C’était un tir instinctif, intuitif. Mon client a eu la sensation que celui-ci allait foncer dans sa direction. La victime par son comportement est à l’origine, y a contribué, c’est un partage de responsabilité ». Il demande la relaxe du prévenu et la non-inscription au bulletin B2 de son casier judiciaire. Le tribunal rendra son délibéré le mardi 12 janvier.