Monaco-Matin

Vincent Niclo chante l’Esperanto

Le ténor revient sur la genèse de son nouvel album avec les prêtres orthodoxes russes du groupe Schola fratum. Bonnes vibrations !

- PROPOS RECUEILLIS PAR NATHALIE BRUN nbrun@nicematin.fr

Un ténor atypique et laïc, passionné par le pop opéra et qui collection­ne les disques de platine. Cinq jeunes moines russes orthodoxes qui chantent incognito dans les églises...

Né d’une rencontre improbable, sous le sceau de l’amour du chant et de la musique - – cette langue universell­e – l’album Esperanto, rempli de bonnes vibrations, semble porté par la grâce. Comme la carrière bénie des dieux de Vincent Niclo, qui revient avec spontanéit­é et une grande humilité sur la genèse de ce nouveau disque, et sur quelques-unes des extraordin­aires rencontres humaines qui ont forgé son parcours. Une voix et un coeur d’or qui n’ont pas fini de nous surprendre…

Vous multipliez les expérience­s scéniques et musicales, comment s’est jouée votre rencontre avec les prêtres de Schola Fratum ?

Je n’étais pas du tout parti pour faire cet album ! Courant janvier, j’avais The Voice en fond sonore chez moi. J’ai entendu des voix qui m’ont complèteme­nt scotché. J’ai vu que c’était des prêtres, je ne savais pas si c’était réalisable, et la rencontre a matché ! Nous avions des conditions : qu’ils m’emmènent dans leur univers et que je les emmène dans le mien. On trouve, dans cet album, un titre du répertoire orthodoxe, Sovet prevechnii, qui pour eux est très important. Et qui devient un de mes titres préférés. C’est ce que j’aime : apprendre et aller vers d’autres territoire­s. C’est ce qui s’est passé avec Esperanto. Et c’est pour ça qu’on l’a appelé comme ça. On a besoin de beaucoup d’espoir et l’Esperanto est une langue universell­e qui a été inventée pour que tout le monde puisse la comprendre et la parler. Je crois que la musique fait aussi cet effet. Elle rallie les gens, les cultures, les peuples…

Il y a une dimension sacrée dans cet album. Cette spirituali­té résonne en vous ?

Je n’ai pas de religion à proprement parler. Et ça ne leur a d’ailleurs posé aucun problème. Vous savez, les prêtres orthodoxes sont très ouverts et ils peuvent se marier. Ce n’est pas ça qui était important, ils auraient été garagistes, j’aurais fait le même album avec eux. Ce qui m’a importé, ce n’est pas leur vocation, c’est leur voix. Ils sont très jeunes, ils sont Russes. Trois ont dévoué leur vie à Dieu, les deux autres réfléchiss­ent. Et ils parlent très bien Français. Je me demandais comment, à leur jeune âge, ils pouvaient s’engager comme ça dans la religion. Et en fait, c’est par le biais de la musique. Ils sont tous passés devant une église, chacun dans leur ville respective, et ils ont été attirés par les voix, par la musique qui sortaient de ces églises, et c’est comme ça qu’ils sont arrivés à la religion !

C’est une succession de rencontres, tant humaines que profession­nelles, qui ont forgé votre carrière. Quelles ont été les plus décisives ?

Toutes, à un moment donné, ont été importante­s pour moi à plusieurs niveaux. Vous parliez de rencontres humaines, ce sont des moments qu’on a passés ensemble qui m’ont marqué. Comme quand je me suis enfermé avec Obispo pour faire tout un album. J’ai appris à découvrir l’homme qu’il est. Il a toujours un regard un peu fraternel sur moi. Céline Dion, c’est ma marraine, dans le sens où c’est par elle que tout a démarrée quand j’ai chanté All by myself devant elle. Et après, elle a adoré mon Ameno avec les Choeurs de l’Armée rouge. Et du coup elle m’a proposé de faire la première partie. Ça a été un énorme coup de booster, comme si la reine m’adoubait ! C’était fantastiqu­e et puis on a créé un lien. Par la suite, elle m’a amené voir ses spectacles, elle m’a fait un message pour ma carrière en Angleterre… Ces gens-là ne sont pas obligés de faire ça, je ne sais pas ce qui les motive, il faudrait peut-être leur demander... Avec Charles Aznavour c’est pareil : il refusait de participer aux duos, on l’a jeté comme une bouteille à la mer. On a passé une journée entière à réécrire une de ses chansons, comme si c’était un débutant ! C’est la force des grands en fait, c’est qu’ils se remettent toujours en question. Et lui, avec soixante-dix ans de métier, il réécrivait et il me disait : « Vincent, ça vous plaît ça ? » Je lui disais : « Mais oui, Charles ! Ça me plaît ! »

Il y a eu aussi ce coup de foudre avec Michel Legrand…

Michel Legrand, ça a été la cerise sur le gâteau ! Il m’a sélectionn­é pour le rôle de Guy dans Les parapluies de Cherbourg, mais après, il m’a demandé de faire une tournée avec lui et un big band, et de reprendre tous ses grands succès. Il a travaillé avec Sinatra, Barbra Streisand… Alors pour mois c’était… indescript­ible ! J’ai énormément appris à ses côtés. C’était quelqu’un qui s’ennuyait très vite, un peu comme moi, et qui changeait toujours dans les concerts, les rythmes, les tonalités... Il vous apprend à être réactif, c’est ça le jazz.

Bizarremen­t, vous n’avez toujours pas la grosse tête…

Je me souviens d’où je viens et je sais que ça peut s’arrêter demain. Je profite de la chance inouïe que j’ai de côtoyer des gens si talentueux. C’est mon but. Pour moi, chanter, c’est une cure pour que j’aille mieux. Et en chantant, je vais de mieux en mieux. Je suis toujours en quête d’aller mieux.

Quel conseil donneriez-vous aux jeunes artistes qui galèrent aujourd’hui ?

Je leur dirais que s’ils veulent vraiment aller dans ce genre de métier – en tout cas moi je ne peux parler que de la musique – il faut avoir ça au fond de soi. Il faut se réveiller avec cette chose en soi, se coucher avec. C’est-à-dire que c’est plus qu’une passion, c’est un art de vivre. Et une mission, presque. Si on n’a pas ça, on ne peut pas passer toutes les étapes. Ma vie n’a pas toujours été celle-là. J’ai eu des hauts et des bas comme dans toute carrière, j’imagine. On me dit toujours : « ouah ! Ce que tu as été combatif, t’as rien lâché ! ». Je dis : « Non, ce n’est pas ça ! C’est que pour moi, je n’imaginais pas ma vie autrement ». Sinon je serais passé à côté, et de toute façon, j’aurais chanté. Là, il se trouve que je suis dans la lumière, mais il y a plein de gens qui chantent et qui mériteraie­nt autant. Ce que je conseiller­ais, c’est de ne jamais manquer aucune occasion. Je suis allé à des castings où il n’y avait pas de rôle pour moi, parce que ça permet de rencontrer des gens. Vous ne savez pas, peut-être que dans le jury, il y a des gens qui préparent autre chose et que vous allez correspond­re. Tous les castings m’ont apporté, quelque part. Il ne faut pas rester chez soi à attendre que le téléphone sonne. Il faut vivre pour sa passion.

‘‘ Découvrir d’autres territoire­s”

‘‘ Chanter pour aller mieux”

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