Le rapport Stora à l’Elysée
Commandé en juillet dernier par le président de la République, le document rédigé par l’historien Benjamin Stora propose toute une série de mesures visant à réconcilier les mémoires...
Le rapport de Benjamin Stora sur la colonisation a été remis hier soir au président de la République. Il est riche de plusieurs préconisations et l’idée, a-t-il été précisé en conférence de presse, « est que bon nombre d’entre-elles soient retenues. » L’historien présidera désormais une commission chargée d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie.
Pourquoi ce rapport ?
C’est le président de la République qui a confié en juillet dernier la mission de rédiger ce document sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie à Benjamin Stora. Emmanuel Macron souhaitait ainsi s’inscrire « dans une volonté nouvelle de réconciliation des peuples français et algérien. »
Qui est Benjamin Stora ?
Historien français (né à Constantine en 1950), professeur d’université, celui qui fut inspecteur général de l’Éducation nationale entre 2013 et 2018 est connu pour ses recherches sur l’histoire de l’Algérie, et notamment la guerre d’Algérie. Il est l’auteur de très nombreux ouvrages sur ces thématiques. Politiquement, il a soutenu la candidature de Ségolène Royal en 2007 puis celle de François Hollande en 2012.
Pas d’excuses ni de repentance
Lors du briefing off tenu hier matin à l’attention de la presse en présence de plusieurs conseillers du Président, Bruno Roger-Petit, conseiller mémoire, a précisé qu’il n’était question ni « d’excuses ni de repentance ». Benjamin Stora revient longuement sur cette question
en rappelant que « plusieurs Présidents français ont déjà condamné les massacres commis pendant la colonisation. Et de très nombreux travaux de chercheurs en France ont bien documenté cette séquence d’histoire, avec une grande publication d’ouvrages. Je ne sais pas, écrit-il, si un nouveau discours d’excuses officielles suffira à apaiser les mémoires blessées, à combler le fossé mémoriel qui existe entre les deux pays. À mes yeux, il importe surtout de poursuivre la connaissance de ce que fut le système colonial », commente l’historien en rappelant à titre d’exemple que les excuses japonaises à l’endroit de la Corée et de la Chine n’ont jamais suffi.
Les préconisations
Benjamin Stora formule un certain nombre de propositions, plus d’une vingtaine en tout, certaines symboliques, d’autres beaucoup plus fortes.
Il souhaite par exemple accorder davantage de place dans les programmes scolaires à l’histoire de la France en Algérie et « généraliser cet enseignement à l’ensemble des élèves, y compris dans les lycées professionnels. »
Parmi les autres préconisations, on note l’entrée au Panthéon de Gisèle Halimi, grande figure féminine d’opposition à la guerre d’Algérie ; donner à des rues de communes françaises le nom de Français méritants issus de territoires « antérieurement placés sous la souveraineté de la France » ; encourager la préservation des cimetières européens et juifs en Algérie, mais aussi financer l’entretien des tombes des soldats algériens musulmans morts pour la France entre 1954 et 1962 ; voir avec les autorités algériennes comment faciliter le déplacement des harkis et de leurs enfants entre la France et l’Algérie.
Autre piste pour l’historien : la constitution d’une commission « Mémoires et vérité » chargée d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie sur les questions de mémoires, laquelle commission pourrait notamment proposer la poursuite ou l’initiation de commémorations. Benjamin Stora parle encore de construire une stèle à Amboise pour le 60ème anniversaire de l’indépendance de l’Algérie (2022), montrant le portrait de l’Émir Abdelkader ; de poursuivre le travail conjoint sur les lieux des essais nucléaires en Algérie et leurs conséquences ; de mettre en place une commission mixte d’historiens français et algériens pour faire la lumière sur les enlèvements et assassinats d’Européens à Oran en juillet 1962.
La question des archives
Le rapport enfin insiste sur la nécessité d’une coopération universitaire entre les deux pays et surtout, sur la reprise des travaux du groupe de travail conjoint sur les archives qui devra faire le point sur celles qui ont été emmenées par la France et celles qui ont été laissées en Algérie.
« Sur la base de ce travail d’inventaire, préconise Benjamin Stora, certains documents originaux seraient récupérés par l’Algérie et les archives laissées en Algérie pourraient être consultées par les chercheurs des deux pays. » À ses yeux, l’urgence est « de revenir à la pratique consistant en une déclassification des documents secrets antérieurs à 1970, étant entendu qu’il revient à l’administration de déclassifier ceux qui sont postérieurs à cette date. »