Monaco-Matin

Le témoignage fort du frère d’Agnès Le Roux

Jean-Charles Le Roux, frère de la riche héritière disparue en 1977, réagit à la mort de Maurice Agnelet, condamné pour son assassinat en 2014. Pour lui, ce procès avait clos l’affaire

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Renée Le Roux s’est éteinte en 2016, après une vie de combat pour connaître la vérité sur la mort de sa fille Agnès. Ce sont donc les soeurs et frère de la riche héritière niçoise, disparue en 1977, qui ont appris la nouvelle. La mort de Maurice Agnelet, l’amant d’Agnès, condamné pour son assassinat.

L’ancien avocat a écopé de 20 ans de réclusion criminelle au terme de son troisième procès, en 2014. Très affaibli, il venait d’être libéré pour raisons médicales. Le 12 janvier, un malaise cardiaque l’a emporté chez son fils Thomas, à Nouméa en Nouvelle-Calédonie, où il avait trouvé refuge. Il avait 82 ans. La fin d’une vie gravée dans les annales judiciaire­s de la Côte d’Azur. Jean-Charles Le Roux, 63 ans, livre son sentiment sur la disparitio­n de l’assassin de sa soeur. Pour lui, l’affaire Agnelet était déjà close.

Comment avez-vous réagi à la mort de Maurice Agnelet ?

On n’attendait pas grand-chose de son vivant. Donc sa mort ne nous touche pas. On savait qu’il resterait bloqué dans son déni, et qu’on ne saurait jamais où est le corps d’Agnès. En fait, pour nous, c’est un peu un non-événement...

Vous aviez dit en  : « C’est le point final de cette effroyable histoire. » C’était donc bien le cas à l’époque, et non maintenant ?

Absolument. L’essentiel s’est joué à Rennes en . À partir du moment où il a été condamné de manière définitive, on avait obtenu ce qu’on voulait. C’était conforme à nos conviction­s. Pour nous, l’affaire était terminée. Le décès de Maurice Agnelet ne nous émeut pas. On ne va pas non plus se réjouir de la mort d’un homme. Mais ça ne change rien.

Que vous a inspiré sa libération en décembre dernier ?

C’est une libération pour raisons médicales. Le parquet a fait appel.

Jean-Charles Le Roux avec sa mère Renée, en , lors du procès en appel à Aix.

Maurice Agnelet étant un grand dissimulat­eur, il aurait pu simuler. Visiblemen­t, ce n’était pas le cas. Il n’était pas en bonne santé. Mais après , c’est un problème entre Agnelet et la justice ; nous, on n’a plus rien à voir dedans.

Son avocat, Me François SaintPierr­e, estime que sa libération était une question de dignité...

Là, non, je ne le comprends pas ! Me Saint-Pierre dit qu’il est indigne de le garder si longtemps. Mais si Maurice Agnelet avait reconnu sa condamnati­on, il aurait pu sortir bien plus tôt. C’est son acharnemen­t à nier la réalité qui l’a maintenu en prison, pas la justice ! Par ailleurs, Me Saint-Pierre parle de la « lenteur de la justice ». C’est faux ! La longueur de cette affaire

– dont on s’est plaint, évidemment – n’a été due qu’à la faculté d’Agnelet à se jouer de la justice. Il a tout contesté pour gagner du temps, il a menti sur son alibi, est parti au Canada, puis au Panama... Tout cela fait que ça a duré très longtemps. Une fois qu’il a été renvoyé devant la justice, on peut considérer que c’est allé relativeme­nt vite.

L’avocat flamboyant et séducteur a fini ses jours affaibli, à l’autre bout du monde, avec pour seul soutien l’un de ses fils.

Que vous inspire cette fin ?

Chacun son destin. Celui de Maurice Agnelet est terrible. Il est libéré de prison, il part en Nouvelle-Calédonie, est confiné pendant deux semaines et décède trois jours après. C’est à l’image de sa vie. C’est un immense gâchis. Pour lui, pour sa famille, et bien sûr pour la nôtre.

Il laisse derrière lui un champ de ruines...

Oui, c’est un véritable champ de ruines. Un de ses fils qui vient l’accuser devant une cour d’assises d’avoir assassiné ma soeur Agnès [son fils aîné Guillaume, en , ndlr], c’était une scène absolument hallucinan­te ! C’est dingue d’en arriver à ça...

Avez-vous déjà eu un contact avec Guillaume Agnelet ?

Aucun, jamais. Guillaume Agnelet a agi seul pour se libérer d’un poids, d’un secret qui le rongeait. Mais on n’a pas de remercieme­nt à lui faire. D’ailleurs, avant cela, Guillaume n’a pas été tendre avec nous. On considère que [son père] aurait été condamné avec ou sans son témoignage. Cette déposition n’a fait qu’enfoncer les clous qui étaient déjà posés.

Me Versini-Campinchi, son ancien avocat, a écrit : « Maurice Agnelet, en matière criminelle, c’est l’erreur judiciaire de cent dernières années. » Que vous inspire sa version ?

Je connais les théories de Me Versini-Campinchi. Je l’ai vu il y a quelques mois sur un plateau de télévision. Il m’a dit : « Agnelet, on voyait dans ses yeux que ce n’était pas un assassin. » Avec ce genre de raisonneme­nt, on peut aller très loin...

Il pointe les faiblesses de la motivation du jugement.

La Cour européenne des droits de l’homme a considéré qu’il y avait une faiblesse, illusoire, dans le deuxième procès. Mais dans le troisième, il y a des motivation­s sur cinq pages, extrêmemen­t précises, qui montrent que les jurés n’ont eu aucun doute sur la culpabilit­é d’Agnelet ! La grosse difficulté de ce dossier, c’est qu’il n’y a pas de corps. Mais le mobile est évident : ma soeur disparaît, il vide son compte trois jours après et met tout sur le sien. Si ça, ce n’est pas un mobile... Il n’a pas touché à ce compte ? Evidemment puisqu’on l’a fait saisir ! Peut-être que Me Versini-Campinchi se prend pour Zola. Mais Agnelet, ce n’est pas Dreyfus.

Vous n’avez jamais douté de sa culpabilit­é. Mais ce processus judiciaire vous laisse-t-il un goût d’inachevé ?

Jamais douté, pas exactement. Au début de l’affaire, on est resté très ouvert, sans viser Agnelet. Notre conviction s’est faite en fonction du dossier. Je l’ai même rencontré pour savoir s’il avait des infos. Il me disait : « T’inquiète pas. Avec l’ambiance familiale, elle s’est mise au vert. » J’ai eu une conversati­on téléphoniq­ue avec lui environ trois mois après la disparitio­n d’Agnès,

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Agnelet, ce n’est pas Dreyfus !”

‘‘

Il ne voyait en elle que l’argent”

au quai des Orfèvres à Paris. Il l’a enregistré­e. Elle est au dossier. Et elle est absolument accablante. Les jurés ne se sont pas basés sur rien ! Beaucoup d’éléments amènent à une seule certitude : le seul qui avait intérêt à ce qu’elle disparaiss­e, c’est Maurice Agnelet. Et le seul qui en a profité, c’est Maurice Agnelet.

Espérez-vous encore une révélation ou une découverte ?

Pas du tout. Il a eu trois mois pour faire disparaîtr­e le corps et la voiture. Sincèremen­t, ça fait très longtemps qu’on n’a plus aucun espoir de retrouver le corps d’Agnès. On a renoncé.

Vous restez convaincu qu’il l’a tuée, et ne l’a pas fait tuer ?

J’en suis absolument convaincu. Tout ce qu’il a montré aux procès n’a pas fait dévier cette conviction.

Cette affaire a marqué les esprits depuis . Que voudriez-vous que l’on en retienne ?

Je voudrais que l’on se souvienne de la personnali­té de ma soeur, une fille assez extraordin­aire, pleine de vie. Cette vie lui a été retirée par un individu qui ne voyait en elle que l’argent qu’elle représenta­it. Et je voudrais que l’on retienne l’extraordin­aire travail et obstinatio­n de ma mère. Sans elle, cette affaire se serait terminée il y a bien longtemps. C’est elle qui a fait tout le boulot, et qui a permis qu’il soit renvoyé aux assises. Personne n’y croyait, personne ! Elle y a consacré  ans de sa vie. Ça l’a tuée, d’ailleurs. On ne voulait pas être victimes d’une injustice. Et la justice a été rendue.

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(Photo doc Félix Golesi)

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