Monaco-Matin

L’amour d’Albert 1er pour la musique de Massenet

« Votre musique baigne les âmes d’une atmosphère de bonté » disait le prince au compositeu­r de « Thaïs », en lui ouvrant les portes de l’opéra

- ANDRÉ PEYREGNE

Sur la place du Casino, les belles allaient sous leurs ombrelles. Elles avaient des robes amples serrées à la poitrine et à la taille et portaient des chapeaux ornés de plumes extravagan­tes.

Les hommes étaient en frac et haut de forme. On croisait des grands ducs et des comtes avec, à leurs bras, ces courtisane­s qu’on appelait « cocottes ».

Les plus célèbres étaient Liane de Pougy, la Belle Otéro et Emilienne d’Alençon. Au Café de Paris, le prince de Galles (futur roi Edouard VII) invitait Suzette et, le serveur ayant maladroite­ment mis le feu à leur dessert, inventait la « crêpe Suzette ».

Le casino faisait tourner ses roulettes tandis qu’en contrebas, dans les jardins, le tir aux pigeons faisait claquer ses coups de feu. Le prince Albert 1er, admiré pour ses lointaines expédition­s scientifiq­ues sur les océans du monde, régnait sur la Principaut­é. Bref, on était à la Belle Epoque.

La musique était florissant­e

Deux compositeu­rs tenaient le haut du pavé, tous deux amis d’Albert 1er : Camille Saint-Saëns dont on célèbre cette année le centenaire de la mort (1) et Jules Massenet. C’est ce dernier qui nous intéresse aujourd’hui, car son opéra Thaïs est représenté en ce moment en la salle Garnier. [Lire ci-dessous]

Albert 1er lui disait : « Votre musique baigne les âmes d’une atmosphère de bonté qui sort de votre coeur : la vie semble plus facile quand on s’en imprègne. »

Auditionné par Albert er

Avant de donner l’autorisati­on à Massenet de se produire à Monaco pour la première fois, Albert 1er s’était rendu à Paris pour qu’il lui fasse entendre les esquisses de l’opéra qu’il était en train de composer, en l’occurrence le Jongleur de Notre

Dame.

Massenet raconte : « Cette audition eut lieu dans la belle et artistique demeure de mon éditeur, Henri Heugel, avenue du Bois de Boulogne. Elle donna toute satisfacti­on au prince. » À la suite de cela, Massenet arrive à Monaco en janvier 1902 : « Le rêve commençait. Faut-il dire tout ce qu’eurent de merveilleu­x ces jours passés comme un songe, dans ce paradis dantesque, au milieu de ce décor splendide, dans ce luxueux et somptueux palais, tout embaumé par la flore des tropiques ? »

L’amitié entre Massenet et Albert 1er allait grandir. Massenet deviendrai­t le compositeu­r dont le plus grand nombre d’opéras seraient donnés en création en Principaut­é : le Jongleur de NotreDame en 1902, Chérubin en

1905, Thérèse en 1907, Don Quichotte en 1910, Roma en 1912, Cléopâtre en 1914, Amadis en 1922. Ces deux derniers opéras étant créés après la mort du compositeu­r.

Lors la création de Chérubin, l’écrivain Colette était dans la salle. A l’entracte, elle amena aux jeux un jeune homme qui l’accompagna­it et n’avait pas 18 ans : le pianiste prodige Arthur Rubinstein.

Le romancier et critique du

Figaro, Emile Blavet, assista aux répétition­s de Thérèse : « Massenet passe en une soirée par toutes les phases de la confiance au découragem­ent.

Tantôt il se lève, les cheveux au vent, les mains battantes et crie ‘‘Bravo !’’. Tantôt il s’affaisse en murmurant ‘‘Ah ma pauvre pièce ! Tout est à recommence­r ! C’est un assassinat !’’ » (Cité par Daniel Marty dans son Histoire de l’Opéra de Monte-Carlo).

La création de son Don Quichotte se fit avec le plus célèbre chanteur de l’époque, la basse russe Chaliapine. Le succès fut considérab­le. On en parla dans toute l’Europe. Lors de l’inaugurati­on du musée océanograp­hique, Albert 1er demanda à son ami Massenet de composer une cantate. Il écrivit la

Nef triomphant­e pour choeur et orchestre. Massenet mourut le 13 août 1912.

Figé dans le marbre

Pour lui rendre hommage, on programma immédiatem­ent pour la saison suivante un de ses opéras encore jamais joué à Monaco. Ce fut

Thaïs (qu’on redonne en ce moment). La mise en scène était du grand directeur de l’opéra de l’époque, Raoul Gunsbourg, nommé par Albert 1er sur demande du tsar Alexandre III.

Le 23 février 1914, un an et demi après la mort de Massenet, le prince Albert 1er inaugura la statue du compositeu­r que l’on voit toujours au pied de l’escalier qui monte à la salle Garnier :

« Pour nous qui sentons la musique dans les battements de notre coeur plus que dans la substance grise de notre cerveau ; pour ceux que les

harmonies rendues à l'unisson des instrument­s et des âmes ont bercé dans un monde de joie ; pour ceux qui ont cherché dans la musique l'équilibre perdu de leurs nerfs usés par la vie, la disparitio­n de Massenet fut comme la rupture d'un lien avec un passé lumineux… »

Il est là, désormais, Massenet, figé dans le marbre, avec sa chevelure romantique et sa moustache impériale, là où jadis il aimait se promener sur les terrasses du casino. Il rentrait au crépuscule et disait : « Je me couche avec le soleil… D’ailleurs, à mon âge, avec qui d’autre voulez-vous que je me couche ? »

(1) Conférence organisée par les Amis de l’Orchestre Philharmon­ique sur « 2021, l’année Saint-Saëns, le compositeu­r tant admiré à Monaco », par André Peyrègne, jeudi 11 février à 12h15 en l’Auditorium. Tél. 93 10 85 34 - www.aopmc.com

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(DR) Le prince Albert er, sensible aux arts et à la musique.
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(DR) Massenet et Albert er. »

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