L’amour d’Albert 1er pour la musique de Massenet
« Votre musique baigne les âmes d’une atmosphère de bonté » disait le prince au compositeur de « Thaïs », en lui ouvrant les portes de l’opéra
Sur la place du Casino, les belles allaient sous leurs ombrelles. Elles avaient des robes amples serrées à la poitrine et à la taille et portaient des chapeaux ornés de plumes extravagantes.
Les hommes étaient en frac et haut de forme. On croisait des grands ducs et des comtes avec, à leurs bras, ces courtisanes qu’on appelait « cocottes ».
Les plus célèbres étaient Liane de Pougy, la Belle Otéro et Emilienne d’Alençon. Au Café de Paris, le prince de Galles (futur roi Edouard VII) invitait Suzette et, le serveur ayant maladroitement mis le feu à leur dessert, inventait la « crêpe Suzette ».
Le casino faisait tourner ses roulettes tandis qu’en contrebas, dans les jardins, le tir aux pigeons faisait claquer ses coups de feu. Le prince Albert 1er, admiré pour ses lointaines expéditions scientifiques sur les océans du monde, régnait sur la Principauté. Bref, on était à la Belle Epoque.
La musique était florissante
Deux compositeurs tenaient le haut du pavé, tous deux amis d’Albert 1er : Camille Saint-Saëns dont on célèbre cette année le centenaire de la mort (1) et Jules Massenet. C’est ce dernier qui nous intéresse aujourd’hui, car son opéra Thaïs est représenté en ce moment en la salle Garnier. [Lire ci-dessous]
Albert 1er lui disait : « Votre musique baigne les âmes d’une atmosphère de bonté qui sort de votre coeur : la vie semble plus facile quand on s’en imprègne. »
Auditionné par Albert er
Avant de donner l’autorisation à Massenet de se produire à Monaco pour la première fois, Albert 1er s’était rendu à Paris pour qu’il lui fasse entendre les esquisses de l’opéra qu’il était en train de composer, en l’occurrence le Jongleur de Notre
Dame.
Massenet raconte : « Cette audition eut lieu dans la belle et artistique demeure de mon éditeur, Henri Heugel, avenue du Bois de Boulogne. Elle donna toute satisfaction au prince. » À la suite de cela, Massenet arrive à Monaco en janvier 1902 : « Le rêve commençait. Faut-il dire tout ce qu’eurent de merveilleux ces jours passés comme un songe, dans ce paradis dantesque, au milieu de ce décor splendide, dans ce luxueux et somptueux palais, tout embaumé par la flore des tropiques ? »
L’amitié entre Massenet et Albert 1er allait grandir. Massenet deviendrait le compositeur dont le plus grand nombre d’opéras seraient donnés en création en Principauté : le Jongleur de NotreDame en 1902, Chérubin en
1905, Thérèse en 1907, Don Quichotte en 1910, Roma en 1912, Cléopâtre en 1914, Amadis en 1922. Ces deux derniers opéras étant créés après la mort du compositeur.
Lors la création de Chérubin, l’écrivain Colette était dans la salle. A l’entracte, elle amena aux jeux un jeune homme qui l’accompagnait et n’avait pas 18 ans : le pianiste prodige Arthur Rubinstein.
Le romancier et critique du
Figaro, Emile Blavet, assista aux répétitions de Thérèse : « Massenet passe en une soirée par toutes les phases de la confiance au découragement.
Tantôt il se lève, les cheveux au vent, les mains battantes et crie ‘‘Bravo !’’. Tantôt il s’affaisse en murmurant ‘‘Ah ma pauvre pièce ! Tout est à recommencer ! C’est un assassinat !’’ » (Cité par Daniel Marty dans son Histoire de l’Opéra de Monte-Carlo).
La création de son Don Quichotte se fit avec le plus célèbre chanteur de l’époque, la basse russe Chaliapine. Le succès fut considérable. On en parla dans toute l’Europe. Lors de l’inauguration du musée océanographique, Albert 1er demanda à son ami Massenet de composer une cantate. Il écrivit la
Nef triomphante pour choeur et orchestre. Massenet mourut le 13 août 1912.
Figé dans le marbre
Pour lui rendre hommage, on programma immédiatement pour la saison suivante un de ses opéras encore jamais joué à Monaco. Ce fut
Thaïs (qu’on redonne en ce moment). La mise en scène était du grand directeur de l’opéra de l’époque, Raoul Gunsbourg, nommé par Albert 1er sur demande du tsar Alexandre III.
Le 23 février 1914, un an et demi après la mort de Massenet, le prince Albert 1er inaugura la statue du compositeur que l’on voit toujours au pied de l’escalier qui monte à la salle Garnier :
« Pour nous qui sentons la musique dans les battements de notre coeur plus que dans la substance grise de notre cerveau ; pour ceux que les
harmonies rendues à l'unisson des instruments et des âmes ont bercé dans un monde de joie ; pour ceux qui ont cherché dans la musique l'équilibre perdu de leurs nerfs usés par la vie, la disparition de Massenet fut comme la rupture d'un lien avec un passé lumineux… »
Il est là, désormais, Massenet, figé dans le marbre, avec sa chevelure romantique et sa moustache impériale, là où jadis il aimait se promener sur les terrasses du casino. Il rentrait au crépuscule et disait : « Je me couche avec le soleil… D’ailleurs, à mon âge, avec qui d’autre voulez-vous que je me couche ? »
(1) Conférence organisée par les Amis de l’Orchestre Philharmonique sur « 2021, l’année Saint-Saëns, le compositeur tant admiré à Monaco », par André Peyrègne, jeudi 11 février à 12h15 en l’Auditorium. Tél. 93 10 85 34 - www.aopmc.com