Cancer et personnes âgées
Directeur de l’Institut de cancérologie des Hospices civils de Lyon, le Pr Gilles Freyer préside la 8e édition du Congrès MAO (Monaco Age Oncologie) qui se tiendra du 17 au 19 mars. Une des rencontres les plus importantes dans le champ de l’oncogériatrie francophone.
Qu’est-ce qui détermine le pronostic et l’évolution d’un cancer chez une personne âgée ?
Il y a deux grands prédicteurs : les caractéristiques de la tumeur ellemême (agressivité, biologie, génétique…) et les prédicteurs dits gériatriques (autonomie, nutrition, fonctions intellectuelles, comorbidités...). De façon générale, le cancer a une évolution plus lente chez les personnes âgées mais il n’est pas forcément de meilleur pronostic en raison de leur vulnérabilité. On peut, par ailleurs, diagnostiquer aussi des tumeurs très agressives, associées à un très mauvais pronostic à court terme, chez une personne de ans. Sachant qu’elle peut vivre encore ans au moins, les bénéfices d’un traitement ne font aucun doute.
Traite-t-on toutes les personnes âgées atteintes de cancer de façon équivalente ?
Cette question me donne l’occasion d’en finir avec un dogme. Longtemps, on a classé les personnes âgées dans trois groupes. Les sujets en pleine forme qui, à ans, en paraissent de moins et vis-à-vis desquels la médecine a tendance à être très interventionniste. À l’autre extrême, figurent les personnes âgées extrêmement fragiles, que l’on va retrouver en Ehpad par exemple. Chez elles, le cancer constitue un « épiphénomène », et la prise en charge va avoir comme principal objectif d’améliorer le confort. Entre ces deux populations extrêmes, on trouve la grande majorité des personnes âgées ; elles présentent des fragilités, mais vivent relativement bien. Vis-à-vis d’elles, on a coutume d’adapter le traitement, de le réduire : faire une chimiothérapie avec un seul médicament au lieu de deux par exemple. Mais, aujourd’hui, on s’aperçoit que l’on fait souvent fausse route avec cet a priori.
Que signifiez-vous par là ?
Il faut éviter les a priori, optimistes, comme pessimistes. Ce qui est déterminant chez toutes les personnes âgées, c’est ce que l’on nomme les réserves fonctionnelles. Le vieillissement s’accompagne d’une réduction de ces réserves. Lorsque l’on dit d’une personne âgée qu’elle est en pleine forme, cela signifie que tout « fonctionne » bien, dans des conditions normales. Mais, en cas de pathologie, lorsque ses réserves sont sollicitées, on s’aperçoit qu’elle est plus vulnérable que des personnes plus jeunes vis-à-vis des traitements. Ainsi, considérer que le traitement est sans danger lorsque les personnes âgées sont en pleine forme est une erreur : elles ne le supportent pas nécessairement bien et sont victimes parfois d’effets secondaires que l’on n’attendait pas. À l’opposé, c’est aussi une erreur de proposer systématiquement un traitement « plus léger » à des personnes âgées au prétexte qu’elles sont fragiles.
En a-t-on la preuve scientifique ?
Après le cancer du poumon il y a quelques années, on vient de le démontrer pour le cancer de l’ovaire. Pour la première fois, une étude comparative internationale a été pilotée par des chercheurs français, auprès de femmes âgées et fragiles. Un premier groupe de patientes bénéficiait du traitement standard, le second d’une chimiothérapie plus
« light », qui pouvait sembler mieux adaptée. On s’est aperçu que ce dernier protocole était moins efficace, sans être moins toxique. Sur la base de cette étude, présentée à l’Asco [congrès de l’American society of clinical oncology, grand-messe de l’oncologie mondiale, ndlr] ,ilest désormais recommandé d’utiliser le même protocole chez toutes les femmes atteintes de cancer de l’ovaire, indépendamment de l’âge et des fragilités.
Vous faites référence aux chimiothérapies. Ces hypothèses se vérifient-elles lorsqu’il s’agit de traitements plus ciblés ?
Oui. On découvre que les personnes âgées présentent les mêmes effets secondaires liés aux immunothérapies que les patients plus jeunes, et même plus fréquemment, alors que l’on pensait que leur système immunitaire, plus faible, les « protégerait » de ces effets. On comprend que l’on n’a pas fini de ne pas tout comprendre !
Le traitement du cancer des personnes âgées, sachant justement ces effets secondaires, ne pose-t-il pas des questions éthiques ?
Il est inacceptable de faire preuve de négligence, de laisser des personnes se dégrader et mourir ; la famille, le patient lui-même, réclament des soins. Mais on doit effectivement être attentif au risque de surtraiter, de trop faire preuve d’interventionnisme vis-àvis de patients très âgés… D’où l’importance du dialogue entre oncologues et gériatres pour que chacun comprenne ce que l’autre fait ou pense.
Et la France, de ce point de vue, est un exemple au niveau mondial.