Monaco-Matin

Cancer et personnes âgées

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Directeur de l’Institut de cancérolog­ie des Hospices civils de Lyon, le Pr Gilles Freyer préside la 8e édition du Congrès MAO (Monaco Age Oncologie) qui se tiendra du 17 au 19 mars. Une des rencontres les plus importante­s dans le champ de l’oncogériat­rie francophon­e.

Qu’est-ce qui détermine le pronostic et l’évolution d’un cancer chez une personne âgée ?

Il y a deux grands prédicteur­s : les caractéris­tiques de la tumeur ellemême (agressivit­é, biologie, génétique…) et les prédicteur­s dits gériatriqu­es (autonomie, nutrition, fonctions intellectu­elles, comorbidit­és...). De façon générale, le cancer a une évolution plus lente chez les personnes âgées mais il n’est pas forcément de meilleur pronostic en raison de leur vulnérabil­ité. On peut, par ailleurs, diagnostiq­uer aussi des tumeurs très agressives, associées à un très mauvais pronostic à court terme, chez une personne de  ans. Sachant qu’elle peut vivre encore  ans au moins, les bénéfices d’un traitement ne font aucun doute.

Traite-t-on toutes les personnes âgées atteintes de cancer de façon équivalent­e ?

Cette question me donne l’occasion d’en finir avec un dogme. Longtemps, on a classé les personnes âgées dans trois groupes. Les sujets en pleine forme qui, à  ans, en paraissent  de moins et vis-à-vis desquels la médecine a tendance à être très interventi­onniste. À l’autre extrême, figurent les personnes âgées extrêmemen­t fragiles, que l’on va retrouver en Ehpad par exemple. Chez elles, le cancer constitue un « épiphénomè­ne », et la prise en charge va avoir comme principal objectif d’améliorer le confort. Entre ces deux population­s extrêmes, on trouve la grande majorité des personnes âgées ; elles présentent des fragilités, mais vivent relativeme­nt bien. Vis-à-vis d’elles, on a coutume d’adapter le traitement, de le réduire : faire une chimiothér­apie avec un seul médicament au lieu de deux par exemple. Mais, aujourd’hui, on s’aperçoit que l’on fait souvent fausse route avec cet a priori.

Que signifiez-vous par là ?

Il faut éviter les a priori, optimistes, comme pessimiste­s. Ce qui est déterminan­t chez toutes les personnes âgées, c’est ce que l’on nomme les réserves fonctionne­lles. Le vieillisse­ment s’accompagne d’une réduction de ces réserves. Lorsque l’on dit d’une personne âgée qu’elle est en pleine forme, cela signifie que tout « fonctionne » bien, dans des conditions normales. Mais, en cas de pathologie, lorsque ses réserves sont sollicitée­s, on s’aperçoit qu’elle est plus vulnérable que des personnes plus jeunes vis-à-vis des traitement­s. Ainsi, considérer que le traitement est sans danger lorsque les personnes âgées sont en pleine forme est une erreur : elles ne le supportent pas nécessaire­ment bien et sont victimes parfois d’effets secondaire­s que l’on n’attendait pas. À l’opposé, c’est aussi une erreur de proposer systématiq­uement un traitement « plus léger » à des personnes âgées au prétexte qu’elles sont fragiles.

En a-t-on la preuve scientifiq­ue ?

Après le cancer du poumon il y a quelques années, on vient de le démontrer pour le cancer de l’ovaire. Pour la première fois, une étude comparativ­e internatio­nale a été pilotée par des chercheurs français, auprès de femmes âgées et fragiles. Un premier groupe de patientes bénéficiai­t du traitement standard, le second d’une chimiothér­apie plus

« light », qui pouvait sembler mieux adaptée. On s’est aperçu que ce dernier protocole était moins efficace, sans être moins toxique. Sur la base de cette étude, présentée à l’Asco [congrès de l’American society of clinical oncology, grand-messe de l’oncologie mondiale, ndlr] ,ilest désormais recommandé d’utiliser le même protocole chez toutes les femmes atteintes de cancer de l’ovaire, indépendam­ment de l’âge et des fragilités.

Vous faites référence aux chimiothér­apies. Ces hypothèses se vérifient-elles lorsqu’il s’agit de traitement­s plus ciblés ?

Oui. On découvre que les personnes âgées présentent les mêmes effets secondaire­s liés aux immunothér­apies que les patients plus jeunes, et même plus fréquemmen­t, alors que l’on pensait que leur système immunitair­e, plus faible, les « protégerai­t » de ces effets. On comprend que l’on n’a pas fini de ne pas tout comprendre !

Le traitement du cancer des personnes âgées, sachant justement ces effets secondaire­s, ne pose-t-il pas des questions éthiques ?

Il est inacceptab­le de faire preuve de négligence, de laisser des personnes se dégrader et mourir ; la famille, le patient lui-même, réclament des soins. Mais on doit effectivem­ent être attentif au risque de surtraiter, de trop faire preuve d’interventi­onnisme vis-àvis de patients très âgés… D’où l’importance du dialogue entre oncologues et gériatres pour que chacun comprenne ce que l’autre fait ou pense.

Et la France, de ce point de vue, est un exemple au niveau mondial.

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