Monaco-Matin

É. Philippe : « On danse à côté d’un volcan »

Invité hier matin à Toulon pour dédicacer son dernier essai, Impression­s et lignes claires, l’ancien Premier ministre évoque son expérience à Matignon et l’« appauvriss­ement » des partis.

- PROPOS RECUEILLIS PAR LIONEL PAOLI lpaoli@nicematin.fr

On l’imagine distant, il est souriant et accessible. Langue de bois ? Juste un peu. Édouard Philippe pèse chacun de ses mots, mais n’hésite jamais à donner un coup de griffe. Invité hier matin à la médiathèqu­e Chalucet de Toulon, pour présenter son dernier essai cosigné avec Gilles Boyer(1), en présence du maire de Toulon Hubert Falco, l’ancien Premier ministre évoque son expérience à Matignon et trace des perspectiv­es pour l’avenir.

Pas le sien, précise-t-il malicieuse­ment : « Celui de la France. »

Dans les premières pages, vous évoquez la peur qui noue le ventre des dirigeants. Pourquoi commencer ainsi ?

Parce que c’est réellement comme cela qu’a commencé mon expérience ministérie­lle. Dans les dix jours qui ont précédé ma nomination à Matignon, j’ai perdu dix kilos ! Dans l’exercice du pouvoir, il y a des moments d’angoisse. On ne peut jamais savoir si les décisions qu’on prend n’auront pas des conséquenc­es terribles pour le pays. À quoi avez-vous songé lorsqu’Emmanuel Macron vous a proposé le poste ? Politiquem­ent, je me suis demandé si je ne faisais pas une boulette. La situation d’un Président choisissan­t volontaire­ment un Premier ministre qui n’a pas fait campagne à ses côtés, qui n’appartient pas à sa famille politique, c’était inédit sous la Ve République ! Bien sûr, si je n’avais pas été en accord avec les positions d’Emmanuel Macron, je n’y serais pas allé.

Vous n’avez jamais douté de votre compétence ?

Bien sûr que si. Je me suis demandé si je serais à la hauteur et, évidemment, si j’aurais les moyens de travailler. La seule question qui vaille, c’est la capacité – ou pas – à faire les choses. Le reste, c’est comme le trac d’un comédien : ça disparaît quand on monte sur scène.

Composer un gouverneme­nt, dites-vous, est un casse-tête chinois ?

Il ne suffit pas de choisir des compétence­s ; il faut aussi veiller aux équilibres politiques, géographiq­ues, à la parité… Tout cela dans un temps très court ! Dans un monde idéal, on arriverait avec une liste finalisée. Ce n’est jamais le cas.

Vous pointez le peu de moyens dont dispose le Premier ministre pour s’assurer que les futurs nommés n’ont pas de casseroles…

Le public pense qu’on vérifie tout, qu’on est au courant de tout… Du coup, lorsqu’un scandale éclate, il est convaincu que nous sommes complices ! La vérité, c’est qu’on n’a pas le temps matériel de faire des recherches approfondi­es. Nous sommes obligés de faire confiance. Et parfois, on a tort.

Concernant la démission de Nicolas Hulot, qu’il a lui-même annoncée en direct sur France Inter, vous confirmez que vous n’en aviez pas été prévenu ?

Absolument. Ce matin-là, je

‘‘ J’aurais du mal avec un parti qui traite Falco de malfaisant”

travaillai­s dans mon bureau et j’ai entendu les pas d’un type qui courait dans un couloir. C’est assez rare, vous savez, qu’on coure à Matignon. Ça présage rarement de bonnes nouvelles. Avant même que le gars n’arrive, je reçois un SMS : « T’as vu ? » [Il sourit] Euh… Eh bien non ! Puis ma porte s’est ouverte et on m’a dit que Hulot avait démissionn­é.

Il n’était pas à la hauteur ?

L’astronaute Claudie Haigneré, qui a été ministre déléguée à la Recherche [en , N.D.L.R.], racontait que tout ce qu’elle a vécu dans l’espace était moins impression­nant qu’entrer dans l’hémicycle pour répondre aux questions des députés ! Nicolas Hulot n’a pas aimé être ministre. Ce n’était pas sa vie. Il n’a pas supporté les contrainte­s, ni l’impopulari­té. Je dis souvent que gouverner, c’est choisir. Et choisir, c’est renoncer. Lui ne voulait renoncer à rien ; tout lui paraissait essentiel.

Quel regard portez-vous sur les fractures de la droite républicai­ne, particuliè­rement béantes dans notre région ?

Ce qui me frappe, à droite comme à gauche, ce ne sont pas tant les fractures au sein des partis que leur appauvriss­ement intellectu­el et doctrinal. Aujourd’hui, quel est le discours du PS sur le marché, la croissance, la consommati­on ? Il n’y en a plus. À droite, hormis sur la sécurité et l’identité nationale, il n’y a plus de pensée politique.

Emmanuel Macron n’a-t-il pas joué un rôle dans l’implosion des partis – et ne continue-t-il pas à le faire aujourd’hui ?

Il n’a pas eu à appuyer beaucoup : le ciment était déjà désagrégé.

Si vous n’aviez pas été Premier ministre, pourriez-vous encore être membre des Républicai­ns ?

J’aurais beaucoup de mal à appartenir à un parti qui traite Hubert Falco de « malfaisant » !

Vous alertez sur la croissance de la dette. N’est-ce pas inévitable dans la situation actuelle ?

Aujourd’hui, tout le monde prête à la France en totale confiance. Je dis simplement qu’il ne faudrait pas que cette confiance s’érode, ni surtout qu’une remontée des taux d’intérêt rendent la situation ingérable et explosive – comme cela s’est produit en Grèce. Il me semble qu’on danse à côté d’un volcan qui fait du bruit.

Lorsque les sondages révèlent une popularité comme la vôtre, est-il possible de ne pas songer à l’Élysée ?

J’ai appris cela auprès d’Alain Juppé : la popularité, comme l’absence de popularité, sont éphémères. Elles ne peuvent pas servir de boussole pour l’action politique. Je comprends que les questions de personnes intéressen­t. Mais en France, le débat public se résume souvent à cela ! Quand s’interroger­at-on sur le pays que nous voulons pour  ?

1. Impression­s et lignes claires, par Édouard Philippe et Gilles Boyer, éditions Jean-Claude Lattès. 420 pages. 21,90 euros.

‘‘

La popularité ne peut pas être une boussole”

Édouard Philippe et Gilles Boyer dédicacero­nt leur ouvrage à la librairie Jean-Jaurès de Nice le vendredi 28 mai à 17 heures ; à la librairie Dernier Rempart d’Antibes le samedi 29 mai à 10 h 30 ; à la librairie Autour d’un livre de Cannes le 29 mai à 15 heures.

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(Photo Frank Muller)

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