Le livre qui met à nu le Pr Raoult
Qu’on le trouve génial ou qu’on l’envisage comme un charlatan, on doit admettre que le professeur marseillais a enflammé la société française. Il se révèle à deux journalistes.
La pandémie l’a propulsé au-devant de la scène internationale. En France, on a assisté à une véritable « Raoultmania ». Mais qui est vraiment Didier Raoult ? Dans Raoult. Une folie française, paru hier chez Gallimard, les deux journalistes Ariane Chemin et MarieFrance Etchegoin racontent son passé, son parcours et donnent des clés qui permettent de comprendre pourquoi le scientifique marseillais a pu déclencher tant de passions. Rencontre.
Comment a-t-il accueilli votre projet de livre ? Et comment a-il réagi à sa lecture ?
Il nous a accordé une très longue interview, plus de heures, et a répondu à toutes les questions sans jamais se défausser. Mais, il n’a pas encore réagi.
La première partie de votre livre retrace son parcours très romanesque depuis son enfance à Dakar…
Didier Raoult est vraiment un personnage de roman. Il s’inscrit dans la lignée de ces médecins aventuriers, cultivés, comme Albert Schweitzer.
Qu’est-ce qui vous a le plus désarçonnées chez lui au cours de ces entretiens ?
Son art de renverser les choses. Il a lui-même provoqué le débat autour de la chloroquine avec cette fameuse vidéo dans laquelle il annonçait que l’on avait trouvé un médicament qui allait sauver tout le monde… Et il semble s’étonner aujourd’hui que les Français se soient passionnés pour ça. Il dit : pourquoi cette folie autour de la chloroquine ?
Comment cet homme a-t-il pu provoquer un tel séisme ? Et qu’est-ce le phénomène Raoult dit de notre société ?
Didier Raoult est un personnage très égocentrique. Il y a cette hypertrophie du moi, cette volonté d’apparaître comme le sauveur du monde, avec cette molécule qu’il connaît par coeur, et qu’il avait déjà mise en avant lors d’autres épidémies. Et, en face, il y a cette France déboussolée, pas seulement par la pandémie ; politiquement elle se cherche, le populisme gagne. Et c’est la rencontre choc, autour de la Covid, entre lui qui a envie de prouver à ce père qu’il admire tant qu’il peut être le plus grand médecin français et une France qui a besoin d’hommes providentiels, antisystèmes… Même si personne n’est davantage dans le système que Didier Raoult. Il dit détester les mandarins, mais il en est un.
Un an a passé, et la Raoultmania n’a pas faibli. On continue de se déchirer autour de son nom. Comment le vit-il ?
La chloroquine a un peu vécu, les études qui se sont succédé ont démontré son inefficacité. Aujourd’hui, ses fans, toujours nombreux, ont changé de combat : ils sont antivaccins, contre le port du masque, les laboratoires… Ils ont changé de terrain, mais surtout ils se sont radicalisés ; sur les réseaux sociaux, sur Facebook ou Twitter, ils sont parfois d’une violence insensée. Mais lui-même se tient toujours à l’écart, il fait comme s’il ne voyait pas qu’il agrège des complotismes. Il se place au-dessus de la mêlée et poursuit sa route.
Pensez-vous qu’il a des ambitions politiques ?
Absolument pas. C’est un vrai homme de droite, un Gaulliste. Il dit volontiers, au sujet des politiques : je n’ai pas envie de rentrer dans des conversations de café du commerce. En revanche, il est certain que ce sera jackpot pour le candidat qui aura son soutien pour les Régionales en Paca – on pense à son ami Renaud Muselier – dans la mesure où il reste extrêmement populaire. C’est sa manière à lui de faire de la politique.
Il avait eu des propos élogieux à l’égard d’Emmanuel Macron. Depuis le vent a tourné. Que s’est-il passé ?
Lorsqu’on lui a fait remarquer, en entrant dans son bureau, que la photo d’Emmanuel Macron n’était plus accrochée au mur, il a juste grommelé : non, je l’ai enlevée. En réalité, il l’a remisée tout simplement parce que Karine Lacombe (l’infectiologue parisienne figure parmi les opposants les plus virulents vis-à-vis de Didier Raoult, Ndlr) a eu « On s’est déchiré autour de lui dans les familles », rappellent les auteures.
la légion d’honneur et pas lui. Ça a un côté très enfantin. Mais, c’est un homme intelligent et il est très lucide sur lui-même. Il faut rappeler que son épouse est psychiatre. D’ailleurs, lorsqu’on lui demande s’il a fait une analyse, il répond : «jen’ai pas besoin de ça, j’ai ce qu’il faut à la maison ».
Vous décrivez une « folie française ». Cette folie n’aurait-elle pas pu gagner d’autres peuples ?
Non, c’est un phénomène typiquement français ; on a vécu autour de Raoult une sorte de « fièvre hexagonale », pour reprendre l’expression de l’historien Michel Winock. Rien de similaire ne s’est produit dans d’autres États européens.
Il y a aussi une spécificité française dans le nombre des chaînes d’informations en continu qui ont joué un grand rôle dans la popularité de Raoult.
Pensez-vous que Raoult fera un jour son mea culpa sur la chloroquine ?
Non. Il ne reconnaîtra
jamais ses erreurs. Il a raison même quand il a tort.
Pourquoi le « sujet Raoult » a suscité l’intérêt des deux grands reporters que vous êtes ?
D’un point de vue journalistique, y a-t-il sujet plus intéressant que Raoult ? Non. Il incarne une France qui a basculé dans la Covid. Tous nos modes de vie ont changé, il est devenu une sorte de compagnon familier des Français, il entrait dans les foyers par la télévision, tout le monde ne parlait que de lui. On pense au dessin de presse de Caran d’Ache « Un dîner en famille » publié après l’affaire Dreyfus. Tout l’été, au moment où l’on s’est retrouvé, on se déchirait autour de lui dans les familles : parents, enfants, Sud, Nord, vieux, jeunes, avec des lignes de fracture imprévisibles et c’est toujours passionnant. Même s’il ne fait pas de politique, Didier Raoult est un objet politique.