Monaco-Matin

« Un retard salutaire »

Avant la victoire de la France en finale des JO, il ne s’était jamais permis pareil satisfecit. Après le sacre des Bleus et de son fils Earvin à Tokyo, l’ancien Fréjusien et Cannois Eric Ngapeth jubile.

- PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIER BOUISSON

Quand son enfant a ouvert les yeux en février 1991 à Saint-Raphaël, Eric Ngapeth lui a donné le prénom d’Earvin en hommage à « Magic » Johnson. Dans la nuit magique de samedi, son fils a éclaboussé la finale des JO de son immense talent, 26 points inscrits entre coups de patte bien griffés et sourires coquins. Un chefd’oeuvre qui vient sublimer la carrière de l’enfant terrible et si talentueux du volley français. Logiquemen­t élu le lendemain meilleur joueur du tournoi olympique. C’est depuis son Cameroun natal que son père a décroché son téléphone. Quelques heures après la victoire de son fils en finale des Jeux Olympiques face à la Russie (3 sets à 2), l’actuel entraîneur de Nancy (Ligue B) s’est d’abord livré à une analyse technico-tactique avant d’ouvrir son coeur de papa fier et comblé. Ancien joueur de Fréjus (1984-1990) et Cannes (199092) avant de revenir entraîner ces deux clubs dans les années 2000, « Pépète », comme on le surnomme, parle d’Earvin avec passion et solde quelques vieilles rancoeurs au passage.

Quelle a été l’émotion du papa que vous êtes au moment de voir son fils devenir champion olympique ?

Je suis extrêmemen­t heureux pour lui ! Il sort de trois saisons difficiles à Kazan (Russie). Il y est allé avec de la pression car il devait remplacer Wilfredo Leon qui y a remporté quatre Ligues des champions consécutiv­es. Earvin n’a pas gagné là-bas, il a été critiqué. Sa carrière n’a pas été un long fleuve tranquille mais il est toujours parvenu à mettre tout le monde d’accord. Et sur cette finale encore plus que tous les autres jours.

Comment l’avez-vous trouvé ?

Il a joué comme j’aime le voir jouer. Il a parfois été plus fort que ça, avec des gestes imprévisib­les, gagné par une certaine euphorie. Mais là, j’ai aimé son attitude.

Il a été d’une sobriété exemplaire, il n’a pas bronché. Il était totalement serein, il n’avait peur de rien.

Et pour sa première finale olympique, il a réussi à sortir le grand jeu !

Il marque près de  points dans les deux premiers sets. C’est monstrueux ! Et encore, il aurait pu être meilleur car l’un de ses points forts n’a pas fonctionné. Imaginez s’il avait retrouvé son service ? Il aurait été injouable. Sur

Earvin Ngapeth a survolé la finale avec  points inscrits. Il a logiquemen­t été désigné meilleur joueur du tournoi olympique par la Fédération internatio­nale de volley.

cette finale, il a été excellent, mais s’il avait eu son service, il aurait été sur le toit du monde.

Malgré l’enjeu, il a affiché son habituelle décontract­ion.

Il a toujours été comme ça ?

Oui, c’est sa nature : insouciant. Il ne se prend pas la tête, il est luimême tout le temps. Vous savez que dans la vie, parfois il faut faire semblant, mais lui, il ne sait pas faire. C’est la qualité que je préfère chez lui. Malgré ses faux pas et ses travers (), il donne ce qu’il doit donner à  %.

Vous avez une relation proche avec lui et votre autre fils Swan ?

Oui, on a un groupe de discussion tous les trois où on se dit tout.

Même l’inavouable ?

Mais bien sûr ! C’est une complicité sans pareille ! (il éclate de rire). D’ailleurs, notre groupe de discussion s’appelle « le sang ».

Quel regard portez-vous sur la réussite des neuf ans du projet mené par Laurent Tillie ?

Laurent Tillie, qui est un bon entraîneur, a bénéficié de la génération la plus exceptionn­elle

Eric Ngapeth entraîne l’équipe de Nancy en Ligue B. Il était venu à Fréjus la saison dernière pour affronter son ancien club avec lequel il a décroché quatre titres de champion et quatre Coupes de France dans les années .

que la France n’ait jamais eue.

Il a en fait pu s’appuyer sur deux génération­s successive­s avec des joueurs extraordin­aires qui ont été doubles champions d’Europe cadets : celle de Toniutti et celle de mon fils. Ces deux génération­s ont été portées par un joueur exceptionn­el (Earvin) qui, pour moi, est le meilleur joueur français de tous les temps. Je suis plus réservé d’habitude mais aujourd’hui, je n’ai pas honte de le dire.

Vous ne l’aviez jamais formulé ainsi auparavant…

Jamais ! Je le pensais mais je ne l’aurais jamais dit. En toute modestie, je crois pouvoir dire qu’Earvin est le meilleur joueur que la France n’ait jamais eu.

Lorsqu’il était jeune, aviez-vous décelé le champion qu’il allait devenir ?

J’ai remarqué qu’il avait un talent extraordin­aire à partir de la catégorie benjamins, mais même depuis bébé, en fait. Dans son parc, il mimait tous les gestes qu’il voyait en vidéo avec des ballons de volley, de foot et de baudruche. En volley, il a tout le temps été

Eric Ngapeth relève une des clés de la réussite française : « Entre le premier match de poule et le quart de finale, l’équipe de France n’a pas cessé d’élever son niveau. Lors de deux premiers matchs (États-Unis, Tunisie, NDLR) ,je voyais bien qu’Earvin n’avait ni sa vitesse ni sa hauteur habituelle­s. Les Bleus semblaient en méforme, mais ce n’était pas ça. Il y a eu un retard à l’allumage physique qui s’est avéré salutaire. Le pic de forme est arrivé plus tard alors que d’autres équipes comme le Brésil, les États-Unis ont baissé au fur et à mesure. Même la Russie n’a pas eu en finale la même forme qu’au début et elle a eu le tort de vouloir passer en force, à l’image de la balle de match. »

‘‘

J’ai aimé son attitude. Il a été d’une sobriété exemplaire.”

surclassé. Il a été champion de France à Saint-Benoît, un club près de Poitiers qui n’en a jamais voulu. Il faut savoir que je le fais venir en cadets à Tours où j’entraîne alors que le centre national du volleyball voulait le garder une ou deux années de plus. Les dirigeants de la fédération de l’époque ont mis un véto pour qu’il ne joue pas en Pro A. Ils étaient capables de cramer l’évolution d’un jeune joueur pour que le centre national ait de bons résultats alors même que ce joueur avait un niveau supérieur. Je suis allé devant le CNOSF pour qu’on ne lui refuse pas le statut d’aspirant et qu’il puisse aller à Tours. Aujourd’hui, je ne peux pas m’empêcher de penser à tout ça. Il a débuté en pro à  ans et l’année suivante, il était élu meilleur joueur français du championna­t. À  ans, il a été retenu pour le Championna­t du monde  mais il a été exclu de la sélection pour raison disciplina­ire. Certains de ses coéquipier­s avaient milité pour qu’il soit exclu. Des gens qui n’ont probableme­nt pas cru en lui ou qui étaient jaloux ont failli briser la carrière de ce jeune joueur. Aujourd’hui, tout ça me remonte. Mais avec la force mentale qu’il avait, il n’a pas bronché.

Comment le qualifieri­ez-vous ?

C’est un gros mental. C’est de famille, on ne lâche jamais ! 1. Il a dû s’expliquer devant la justice pour différente­s rixes et altercatio­ns.

 ?? (Photo EPA) ??
(Photo EPA)
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Monaco