Monaco-Matin

« Mon rêve n’a jamais été de faire le gendarme »

Depuis le 9 août, le pass sanitaire s’est instauré tant bien que mal dans les restaurant­s de Menton, où des manifestat­ions contre la mesure ont rassemblé des centaines de personnes.

- MARGAUX BOSCAGLI mboscagli@nicematin.fr

Une pointe de soulagemen­t se distingue dans la voix d’Alice, serveuse au restaurant « Le Brazza », situé place Georges Clemenceau. Il est bientôt 15 heures, le soleil tape et la terrasse de l’établissem­ent est à moitié remplie. Comme si de rien n’était ? L’obligation de contrôler le pass sanitaire de chaque client, entrée en vigueur depuis le 9 août, inquiétait pourtant la jeune femme. « Quand on voyait tout ce qu’il se passait à la télé, les manifestat­ions… Je pensais qu’on allait se faire insulter ou agresser. Finalement, ça se passe bien. Beaucoup mieux que ce à quoi je m’attendais ! », confie la serveuse, qui déclare tout de même s’être fait traiter de « collabo », à deux reprises « seulement ».

« La majorité des gens possèdent leur pass sanitaire »

Comme elle, plusieurs employés du milieu de la restaurati­on appréhenda­ient la mise en place des contrôles à Menton, où des manifestat­ions anti-pass sanitaire ont rassemblé des centaines de personnes dans les rues ces dernières semaines. Dans ce contexte sous tension, la police nationale tentait, quant à elle, de rassurer les restaurate­urs en misant sur la pédagogie (lire par ailleurs).

« La majorité des gens qui viennent possèdent leur pass sanitaire, poursuit la serveuse du « Brazza ». Ceux qui ne l’ont pas sont honnêtes, ils nous disent d’emblée : on ne l’a pas, est-ce qu’on peut commander ? On leur répond par la négative et puis c’est tout. » Quant aux contrôles de police, cet établissem­ent du centre-ville n’en a pas encore fait les frais. « On est au courant de rien d’ailleurs, explique Alice. On ne sait pas comment ça se passe, s’ils débarquent en plein service par exemple… »

Les restaurate­urs de l’esplanade des Sablettes, eux, ont reçu la visite des hommes en uniformes pas plus tard que mercredi matin. «Ça s’est bien passé, relate Emmanuel Corso, gérant du restaurant « Cé la Vi ». Pour nous, il n’y a pas de soucis. Tous les gens qui viennent possèdent leur pass sanitaire, on a rencontré aucun problème. »

« Au niveau logistique, ça se passe bien »

Même écho du côté de « La Volta » : « Au niveau logistique, ça se passe bien, révèle Pierre-Laurent Telle, gérant du lieu. Même si on a plusieurs entrées et qu’il faut rester attentif, ce n’est pas compliqué de contrôler un QR code, ça nous prend deux secondes et tous ceux qui viennent présentent naturellem­ent leur pass. Ceux qui ne l’ont pas ne tentent pas, ils ont déjà prévu les barbecues sur la plage ou autre. » Cet été, le bar-restaurant mentonnais a réussi à « limiter la casse » grâce aux touristes, mais la suite de l’année préoccupe Pierre-Laurent Telle. « La grande question, c’est ce qu’il adviendra en septembre, s’enquiert-il. On a tout de même une baisse de 30 % du chiffre d’affaires. Est-ce que les locaux auront leur pass cet automne ? On ne peut pas se permettre de ne pas l’appliquer, on n’a pas le choix. L’incertitud­e et ce manque de visibilité, c’est ce qui pose problème… »

« Il m’est inconcevab­le de trier les clients »

Seul établissem­ent réprimandé ce jour-là, sur l’esplanade : la pâtisserie « Gérald Canet ». Ces dernières semaines, son patron l’avait clamé haut et fort, au gré de publicatio­ns enflammant les passions sur sa page Facebook ou en arborant un autocollan­t vert « Zone Libre » sur la vitrine de son local : il refuse d’appliquer le pass sanitaire. « Il m’est inconcevab­le de devoir trier les clients. J’adore servir les gens, c’est contre ma nature, plaidet-il. Depuis plus d’un an, j’ai appliqué de nombreuses mesures qui m’apparaisse­nt plus sécuritair­es que ce pass : j’ai réduit le nombre de tables en extérieur, espacé celles-ci d’1m50, troqué les menus papiers contre des menus numériques… J’ai l’impression de jouer à un immense jeu de Jacadi, il faut arrêter de s’en prendre aux restaurant­s ! »

Cette décision gouverneme­ntale, le pâtissier la juge « discrimina­nte » et « plus politique que sécuritair­e ». À la suite des contrôles réalisés cette semaine, la police vient de signaler son établissem­ent à la préfecture. « Je ne sais pas à quoi m’attendre, souffle-t-il. Si ce sera une mise en demeure, une amende ou une fermeture administra­tive… À terme, je devrais sûrement arrêter de servir en terrasse. Ça signifie me priver d’un chiffre d’affaires conséquent, peut-être mettre l’un de mes vendeurs au chômage technique, alors que ma trésorerie n’est vraiment pas folichonne après ces deux ans de crise et que j’ai une famille et des employés… » Et d’ajouter, avec émotion : « C’est la goutte de trop, cette situation me rend dépressif et je ne comprends pas l’utilité de ce pass sanitaire ».

« Qui va nous faire vivre cet hiver ?

Pas les touristes ! »

Sur le bord de mer, au « Buddah Beach », Andréa Morzola aussi a du mal à digérer la mesure. « J’ai perdu de la clientèle, déplore-t-il, mais surtout de la clientèle locale ! Beaucoup de Mentonnais n’acceptent pas le pass sanitaire, ils pensent que ce n’est pas une bonne chose pour la démocratie. Et qui va nous faire vivre cet hiver ? Ce ne sont pas les touristes. » Surtout, le restaurate­ur ne comprend pas l’obligation de justifier d’un pass sanitaire en terrasse, ce qui n’est pas le cas de l’autre côté de la frontière.

« Pour la première fois de ma vie, je pense que l’Italie a mieux géré la situation que la France ! plaisante-til. Pendant un an, on nous a rabâché que les contaminat­ions étaient moindres en extérieur, qu’il fallait de la distanciat­ion physique entre les tables, etc. Ici, on a enlevé la moitié de notre terrasse ! Et maintenant, on nous demande ça ? Moi, mon rêve n’était pas de faire le gendarme. Les conditions pour exercer notre métier deviennent insupporta­bles, et c’est toujours les mêmes qui trinquent à la fin. »

Pas question néanmoins de ne pas respecter les règles pour le restaurate­ur. « J’ai déjà perdu 40 % de mon chiffre d’affaires, soupire-t-il. Une fermeture administra­tive maintenant, ce serait du suicide… »

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(Photo Jean-François Ottonello) Sur l’esplanade des Sablettes, déjà deux contrôles de police ont eu lieu cette semaine.

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