Monaco-Matin

Victoria Fontan : « Ne pas abandonner l’Afghanista­n »

La vice-présidente de l’université américaine d’Afghanista­n se repose à Nice où elle habite. Elle vient juste d’être exfiltrée de Kaboul, en plein chaos, où elle a fait preuve d’un immense courage.

- GRÉGORY LECLERC gleclerc@nicematin.fr

Son courage force le respect. Il y a quelques jours encore, elle risquait sa vie dans le chaos afghan. Refusant de partir sans avoir réussi à mettre un maximum d’étudiants à l’abri. Aujourd’hui, Victoria Fontan est là, sur cette Prom’ où elle vit avec sa fille de 14 ans, Hermine, lycéenne à Michelet en seconde. L’enseignant­e de 45 ans, vice-présidente de l’université américaine d’Afghanista­n, a été exfiltrée de Kaboul samedi. Elle dormait à l’aéroport sur un lit de camp, se nourrissan­t des rations de l’armée française. Accompagné­e de son ami Darren, directeur adjoint de la sécurité de l’université, elle est arrivée dimanche à Nice. « Nous sommes contents d’être passés entre les mailles du filet. Je suis heureuse d’être ici, même si ça fait bizarre. Ce matin je suis allée courir sur la Prom’, mais depuis que je suis rentrée, je suis accrochée à mon bureau douze heures par jour. »

De là, elle a vu avec horreur jeudi l’attentat qui a frappé Kaboul. Depuis deux ans et demi, cette Bretonne originaire de Dinard s’occupait des 950 étudiants de l’université venant de 34 provinces afghanes. Le lieu avait été attaqué en 2016. Douze personnes avaient perdu la vie.

« Je n’ai rien vu venir »

L’enseignant­e, spécialisé­e dans l’étude de la paix et la résolution des conflits, avoue « n’avoir rien vu venir » de cette prise de pouvoir éclair. Lundi 16 août, le témoignage de Victoria Fontan à la télévision, en plein assaut taliban de sa résidence, avait sidéré les Français. Factuelle, elle parlait calmement, souriante, depuis le coeur de l’enfer. Son campus est désormais aux mains des combattant­s. Elle avait posté sur Twitter vendredi dernier une photo d’un jeune taliban armé, posant pour elle tout sourire. Avec ce message : « Il aurait pu être un de mes étudiants. Peut-être un jour. L’éducation change des vies, favorise la paix. » Désormais, à 6 700 kilomètres de là, depuis son appartemen­t niçois, l’enseignant­e dresse des listes qui lui tordent le ventre. « Je dois prioriser les évacuation­s. J’ai l’impression de décider de la vie ou de la mort des gens. C’est horrible. »

Les courriels d’étudiants qu’elle reçoit à longueur de journée lui brisent le coeur. Une étudiante lui a écrit. Elle n’a pas peur qu’on la tue. « Elle craint qu’on la torture, qu’on l’humilie devant sa famille, qu’on laisse son corps accroché à un lampadaire pendant des semaines. Je reçois ça toute la journée. »

« Un Disneyland du terrorisme »

La suite ? Pour l’universita­ire, une chape de plomb va s’abattre sur le pays après le départ des Occidentau­x. «Il va y avoir des exactions, des assassinat­s ciblés. Pour faire peur, pour terroriser. Ils ne vont pas tuer tout le monde, ils ont besoin de gens éduqués pour gouverner. Mais ils vont en tuer assez pour que les autres se tiennent à carreau. » Victoria ne lâche rien. Elle se bat pour Darren, son ami anglais, que la Tunisie a refusé alors qu’il voulait y rejoindre sa compagne. Elle cherche déjà à préparer la rentrée de son université entrée en dissidence. Enseigner coûte que coûte, même clandestin­ement.

Sa fille Hermine la soutient, la regarde avec les yeux de l’amour. Fière de cette maman inoxydable. Le cercle proche de l’universita­ire est sa force. Depuis l’Afghanista­n, Victoria a évidemment pu compter sur le soutien de son compagnon qui tient une agence immobilièr­e rue de France, à Nice. Mais aussi sur celui de ses amis, de ses connaissan­ces du bar Le Cocodile , sur la Prom’, où elle trouve quelques brefs instants de répit. Amère malgré tout, elle constate que les talibans ont réussi. Qu’ils vont bâtir un « Disneyland du terrorisme ». Que faire ? « Il faut continuer à entretenir la dissidence afghane dans les pays européens. Pour que la relève soit là. Il ne faut pas abandonner l’Afghanista­n. Il faut montrer que toutes ces années ont été mal gérées mais qu’ensemble, on peut faire mieux. Le chemin n’est pas fini. »

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(Photo Eric Ottino) Victoria Fontan a rejoint sa fille, Hermine,  ans, qui étudie à Nice.

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