DES LEÇONS À TIRER
L’incendie des Maures a suivi le même parcours qu’en 1979 et 2003 Peut-on éviter un nouveau drame ?
L’incendie qui s’est déclenché le 16 août a emprunté le même chemin que celui, meurtrier, de 2003, ainsi que celui de 1979. Un couloir de feu bien connu qui interroge : au-delà de la lutte héroïque des sapeurs-pompiers, des aménagements sont-ils possibles, un peu à la manière des travaux menés pour faire face aux inondations ? Des systèmes de pare-feu peuvent-ils être efficaces ? Certaines plantes peuvent-elles tenir ce rôle ?
La stèle à la mémoire des trois sapeurs-pompiers morts en 2003 entourée de végétation calcinée par les flammes de l’incendie de Gonfaron. C’est l’une des images fortes du feu qui a parcouru le massif des Maures, dans le Var, du lundi 16 août au lundi suivant. Pendant une semaine, il a ravagé 7 100 hectares de végétation, endommagé ou détruit une trentaine de maisons. Il a emporté la vie d’un homme et d’une femme, et fait près de trente blessés légers. Alors que l’incendie a été annoncé comme « maîtrisé » par les sapeurs-pompiers lundi dernier, puis officiellement éteint jeudi à midi, son parcours témoigne de l’existence d’un couloir de feu récurrent.
Pierre Schaller est expert sapeur-pompier volontaire pour le Sdis 13. Il a connu les feux de 1979, de 1989 dans les Maures et a commandé les opérations de secours sur deux incendies d’août 2003. Il confirme que « le massif des Maures et le feu, c’est une très vieille histoire… pas d’amour ». «De tout temps, ajoute-t-il, il a été parcouru par de très grands feux et certains endroits ont, en effet, été parcourus plusieurs fois. »
« Habiter à côté d’un volcan »
Or, si le massif des Maures a une « typicité géologique » qui lui confère une très bonne résilience, celle-ci nécessite qu’« on laisse la végétation tranquille une bonne trentaine d’années ».
Le risque, lorsque les incendies passent et repassent plus souvent, c’est celui d’un processus de dégradation de la végétation. Bruno Teissier du Cros est expert pour le Var et les Alpes-Maritimes de l’agence DFCI de l’Office national des forêts. Il explique que «si on continue à avoir des feux tous les dix ou quinze ans au même endroit, à un moment, plus rien ne poussera. Ce sera le début de la désertification et on se retrouvera avec des végétations comme celle du Maroc ou de Tunisie ».
Évidemment, la problématique des feux à répétition est avant tout d’ordre humain. « Habiter en forêt, c’est comme habiter à côté d’un volcan, qui se réveillerait tous les quinze ans », illustre
Pas de solution définitive
l’expert de l’ONF. « Il faut admettre qu’un grand massif forestier accidenté comme le massif des Maures, climatiquement situé en rive nord de la Méditerranée, est vulnérable », assène ainsi l’ancien lieutenant-colonel des sapeurs-pompiers. Un constat qui interroge. Si on sait que l’incendie finira par se produire et si on connaît le chemin qu’il emprunte, ne peut-on pas mettre en place des ouvrages destinés à le contenir ? «Je ne dis pas qu’on ne peut rien faire, reprend Pierre Schaller, mais promettre qu’il existe des solutions pour protéger le massif des Maures de façon définitive serait tout à fait farfelu. » En fait, explique Bruno Teissier du Cros, des dispositifs existent déjà. Ils concernent, complète Éric Rigolot, directeur de l’unité de recherche Écologie des forêts méditerranéennes de l’Inrae, « les trois phases du feu : l’éclosion, la propagation et l’arrivée du feu sur des enjeux, tels que les biens et les personnes ». Chacune de ces phases, précise le chercheur, correspond à des « protections différenciées ».
Conditions et incendie hors normes
Ces protections, conjuguées au travail des sapeurs-pompiers, ont permis de limiter les dégâts, assurent nos experts. « Bien sûr, reconnaît Pierre Schaller, le bilan est très lourd, mais dans les conditions dans lesquelles s’est déroulé le feu du 16 août, il aurait pu être bien pire. » Le spécialiste décrit une journée à 35° de température, plus 35 noeuds de vent et une hygrométrie inférieure à 20 %. « L’ensemble précédé de trois jours de canicule. » Il prend une image : « C’est comme si on avait donné un grand coup de sèche-cheveux sur la nature. »
« Un incendie comme celui-là, décrit à son tour Bruno Teissier du Cros, sa puissance est colossale : quatre cents mètres de front de flammes, c’est l’équivalent de la centrale nucléaire de Tricastin ! » Les sapeurs-pompiers qui ont lutté sur le feu de Gonfaron ont aussi évoqué des sautes de feu allant jusqu’à 800 mètres !
Action offensive et héroïque
Un tel incendie aurait ainsi pu poursuivre sa route jusqu’à la presqu’île de SaintTropez.
« Il y avait encore plusieurs milliers d’hectares de forêt à brûler, note Éric Rigolot, et surtout beaucoup de maisons et de gens. » S’ils n’ont finalement pas été touchés, c’est, affirme le spécialiste, « grâce à l’action offensive très efficace et héroïque des sapeurspompiers sur la Nationale 98 » et « qui utilisent les aménagements préexistants », ajoute Pierre Schaller. Heureusement, souligne-t-il, « tous les feux des Maures ne ressemblent pas à celui de Gonfaron » et les aménagements mis en oeuvre sont efficaces – « pas magiques ! » – contre les feux plus ordinaires.
C’est pourquoi, « il faut poursuivre les efforts d’équipement des massifs forestiers en zones débroussaillées, insiste le lieutenant-colonel, en zone d’appui, en point d’eau et en voie de communication ». Parce que, rappelle-t-il, « aucun feu n’est perdu d’avance ».