Monaco-Matin

La semaine vagabonde de Denis Carreaux

- Directeur des rédactions du groupe Nice-Matin edito@nicematin.fr

Lundi

La vie n’a pas de prix. L’image floue qui barre la une du quotidien La

Provence glace le sang. C’est celle d’un homme enlevé en pleine rue au beau milieu de la nuit avant d’être jeté dans le coffre d’une voiture, suppliant. Quelques minutes plus tard, il sera brûlé vif, comme dans les scènes les plus violentes de séries comme Narcos ou Gomorra. Nous ne sommes pourtant ni à Medelin, ni à Palerme, mais bien à Marseille où, comme chez les mafieux et les narcotrafi­quants, la vie semble ne plus avoir de prix. À l’origine de quinze morts, dont douze ces deux derniers mois, guerres de territoire­s et luttes de pouvoir repoussent les limites de l’horreur et de l’inhumanité. Le week-end dernier, un adolescent de  ans est tombé sous les balles. Et un enfant de huit ans a été blessé. Huit ans ! La douleur indicible des familles, puis l’indignatio­n de la classe politique et les grands discours : les lendemains de tuerie se ressemblen­t. Chaque nouvelle série de morts entraîne son cortège de visites officielle­s médiatisée­s, de grands discours et de promesses, la main sur le coeur. Depuis dix ans, combien de ministres ont défilé à Marseille, annonçant renforts de police, plans d’action et millions ? On connaît le résultat. Tant qu’il sera possible, en toute impunité, de gagner des centaines de milliers d’euros en tenant un point de deal, tant que la violence ne changera pas de camp, des dizaines de minots des quartiers Nord accepteron­t le risque de mourir. À ,  ou  ans.

Mardi

Le Var maudit. Le ciel leur est tombé sur la tête. Pendant une heure et demie, les habitants de Pignans ont essuyé un orage d’une violence inouïe. Dans une complicité furieuse, l’eau et la grêle ont envahi les rues, bouché les canalisati­ons et déferlé dans les maisons. Par miracle, personne n’a été blessé ou tué, mais les dégâts sont colossaux, quelques jours à peine après l’incendie monstrueux qui a défiguré les Maures. On souffre pour ces Varois touchés une nouvelle fois par les éléments déchaînés, on se désole à la vue de ces paysages ravagés. Mais on ne peut qu’admirer la mobilisati­on spontanée au passage de ces phénomènes météo à répétition. À Pignans, au Cannet-des-Maures ou à Grimaud, la solidarité n’est pas un vain mot.

Mercredi

Grosses têtes. Pour ressuscite­r, Thierry Ardisson va donc faire parler les morts. Absent du petit écran depuis son éviction de C, il y a deux ans, l’homme en noir fera bientôt son retour sur le service public avec « l’Hôtel du temps », une émission dans laquelle il interviewe­ra des personnali­tés décédées telles que Jean Gabin, Coluche ou Dalida. Si le résultat est bluffant, dixit

Le Parisien, qui a visionné un pilote, le concept interroge. À l’époque des fake news, la technologi­e utilisée, qui ne permet pas de distinguer le moindre trucage, ouvre la voie à toutes les dérives. Au passage, Thierry Ardisson,  ans, au talent incontesta­ble mais toujours aussi soucieux de son image, s’est rajeuni de vingt ans.

Ce n’est pas le cas de Jean-Pierre Elkabbach, qui vient de rempiler à Europe  à  ans bien sonnés, estimant qu’il avait « l’énergie de trois

jeunes de  ans ». Il n’y a pas d’âge pour la grosse tête.

Jeudi

Cette barbe qui en dit long. Simple coquetteri­e ou symbole ? On se dit qu’en revenant de vacances barbu, Jean-Michel Blanquer a peut-être voulu nous faire passer un message subliminal, histoire de bien faire comprendre qu’il a acquis de l’expérience, gagné de l’épaisseur. On aurait tendance à l’oublier, l’ancien patron de l’administra­tion centrale de l’enseigneme­nt scolaire du temps de Nicolas Sarkozy est en place depuis le début du quinquenna­t Macron. Il s’apprête ainsi à vivre sa cinquième rentrée en tant que ministre de l’Éducation nationale. Une longévité exceptionn­elle rue de Grenelle qui fera bientôt de lui le recordman du poste sous la Ve République. De quoi faire naître des ambitions nouvelles après une demidécenn­ie aux commandes d’un ministère aussi exposé que compliqué ?

S’il y pense, ce n’est en tout cas plus en se rasant.

Vendredi

L’Amérique humiliée. Qu’il est déprimant de voir l’histoire se répéter ainsi. Près de vingt ans après le Septembre, l’Amérique met ses drapeaux en berne au lendemain des explosions qui ont fait plus d’une centaine de morts, dont  soldats américains, autour de l’aéroport de Kaboul. À la Maison blanche, les mots de Joe Biden sont aussi durs que son débit indolent. Si la décision de se désengager d’Afghanista­n a été prise par son prédécesse­ur Donald Trump, l’échec du retrait américain est bien celui du nouveau président et de lui seul. Comble de l’humiliatio­n, la première puissance mondiale en est désormais réduite à coopérer avec les talibans pour éviter que de nouveaux attentats ne soient perpétrés par l’État islamique du Khorassan à Kaboul. Quel aveu de faiblesse !

Samedi

Ne plus tourner la tête. Chaque journée passée à Paris met un peu plus en lumière la chance qui nous est donnée de vivre dans le Sud. Estce dû au contraste avec Nice ou Toulon qui, entre autres, embellisse­nt à vue d’oeil ? Les rues de la capitale paraissent en tout cas de plus en plus mornes, sales et enlaidies. En ce samedi matin grisâtre de fin août, le sage XVe arrondisse­ment se réveille gentiment. Devant moi, des cris. Des gémissemen­ts. Un homme se tord de douleur. Son oeil pisse le sang. En panique, il explique avoir été frappé pour avoir fait une remarque à deux clients qui coupaient la file d’attente d’un magasin. Salement amoché, il implore qu’on prévienne sa femme, qu’on appelle les secours. Les rares badauds tournent la tête et passent leur chemin. Prendre son téléphone et composer le  comme je le fais passerait presque pour un acte héroïque.

À Paris comme ailleurs, la violence ordinaire ne choque plus. Et l’indifféren­ce est devenue la norme.

« À Paris comme ailleurs, la violence ordinaire ne choque plus »

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