Monaco-Matin

Incendie dans les Maures : après le feu, la controvers­e

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‘‘ Pasunn’a été épargné par la peur de mourir”

 À Grimaud, les habitants du Val de Gilly s‘organisent en collectif, pour dénoncer l’arrivée tardive des pompiers, après le passage du feu.

 Pour les sapeurs, la densité du couvert végétal n’a pas permis d’y accéder, à un moment où les forces étaient concentrée­s sur la lutte, de nuit, contre un feu gigantesqu­e.

Il y a une route, pas très large, dont les arbres aux abords sont noirs de suie. Après une courbe, des chênes restés hauts et verts surplomben­t la chaussée. Puis, à travers une trouée de lumière, le paysage s’ouvre sur des champs. Le feu a rongé plusieurs rangs de vignes. Enfin, dans un horizon cerclé de cendres et d’arbres suppliciés, le hameau émerge, au milieu d’un paysage dantesque.

Nous sommes au Val de Gilly, à Grimaud, dans le Var. Une ancienne magnanerie où, lors du gigantesqu­e incendie ayant ravagé mi-août le massif des Maures, les habitants ont éteint les flammes dans leur jardin, et sur leur maison, avec des seaux d’eau. Ou presque. Six habitation­s ont brûlé, trois totalement, sur une petite trentaine.

Arrivé par plusieurs crêtes

Plusieurs semaines après le déluge de feu, tout semble encore pétrifié. « Les experts vont passer, on n’a rien touché », confie Luigi, tuyau d’eau en main. « La vulnérabil­ité ? On a acheté il y a deux ans. On ne l’imaginait pas comme ça. » Lundi 16 août, l’incendie de Gonfaron est arrivé par plusieurs crêtes au-dessus du Val de Gilly, après avoir avalé une vingtaine de kilomètres de végétation, de la plaine au massif des Maures. Une course effrénée vers la mer.

Toute la soirée, les habitants ont appelé le 18. « Restez sur place, les pompiers vont arriver », fut la réponse, témoignent-ils. C’est effectivem­ent la doctrine des pompiers : le lieu de sécurité est l’habitat en dur. Mais le secteur s’est révélé bien trop vulnérable.

Luigi a quitté le hameau vers 22 heures, « avec les enfants » .Ila roulé à travers une ligne de feu. « J’ai fermé les yeux, je suis passé. » Sa femme devait le suivre. « J’ai réalisé qu’il y avait la mamie de 88 ans, seule, raconte Line. “Colette, ça crame là-haut !”, j’ai crié, tapé à sa porte. »

Line n’a jamais pu passer en voiture avec Colette. L’incendie avait déjà pris la route. Elle a calé. Fait demitour. Rebroussé chemin, le feu dans ses yeux.

«Onnousa laissés cramer »

Il était 22 h 19 quand la mairie a donné consigne d’évacuer le hameau, par des messages automatiqu­es envoyés sur les téléphones des riverains. Certains ont voulu rester ; d’autres n’ont jamais pu partir.

En bas, « au croisement, on a trouvé les camions des pompiers, en colonne, on a pensé qu’ils allaient monter, poursuit Luigi. Je ne cherche pas la guerre, mais il faut qu’on sache ce qu’il s’est passé. » Les habitants le disent ainsi : « On nous a laissés cramer. »

De minute en minute, David Barillon a vu les flammes avancer. Il les a photograph­iées, dans une lumière « comme en plein jour ». «À 22 h 15, la colline à l’est était en feu », se remémore-t-il. Lui a puisé dans sa piscine, charriant des dizaines de poubelles d’eau sur son dos. Il a probableme­nt sauvé sa maison, ainsi que d’autres dans le voisinage.

Au robinet, plus rien n’a coulé pendant plusieurs heures, témoignent plusieurs habitants. Personne ne sait pourquoi les tuyaux sont restés à sec, au pire moment. Beaucoup de points restent à éclaircir. L’accès routier au hameau ; l’unique borne à incendie, en contrebas ; le débroussai­llement visiblemen­t aléatoire.

Ces mesures sont pourtant des obligation­s légales. Étaient-elles respectées ? Ici, on voit des cyprès dressés le long d’une façade ; là, un pin surplombe les tuiles. Après que pylônes et arbres ont été dégagés de la route d’accès, les premiers pompiers sont arrivés. Il était 2 h 45 du matin. Ça, au Val de Gilly, on ne veut pas l’admettre.

« Deux petits camions »

« Je suis totalement choquée. On est à trois kilomètres de la route principale, nous sommes un hameau, il y a du monde ici, s’offusque Zohra Barillon, partie avec son fils vers 22 heures. Bien sûr que c’était dangereux ! Sinon, on n’aurait pas appelé les secours. Et on pourrait venir nous dire qu’il est normal que les pompiers n’intervienn­ent pas ? » Certains ont migré de point en point dans la nuit, pour se mettre à l’abri, tandis que le feu courait sur les maisons et provoquait des explosions. « Il y avait des gens âgés de 17 ans à 88 ans. S’ils étaient restés chez eux, certains seraient morts, martèle la jeune femme. Ils se sont vus mourir. Pas un n’a été épargné par cette peur. »

Un collectif s’organise pour interpelle­r les pouvoirs publics. Un courrier posant 21 questions au préfet du Var devait être finalisé. Même si l’entretien du hameau n’est « pas parfait », reconnaît-on, « deux petits camions suffisaien­t et nous auraient permis de lutter » ,répète David Barillon, au nom du collectif.

Au Val de Gilly, la nuit tombe sur les silhouette­s de maisons fantômes – certaines bâties récemment. L’une était même en bois… il n’en reste plus rien. Une autre, au look californie­n, est ruinée.

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Des deux niveaux d’habitation, construits en bois au milieu du hameau, il ne reste rien.
 ??  ?? Elke De Mol a quitté sa villa sur les hauteurs, pour se réfugier au hameau. « On était dix dans une maison, ça brûlait partout. On est allés dans une autre maison. On n’avait plus d’oxygène. »
Elke De Mol a quitté sa villa sur les hauteurs, pour se réfugier au hameau. « On était dix dans une maison, ça brûlait partout. On est allés dans une autre maison. On n’avait plus d’oxygène. »
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David Barillon représente le collectif d’habitants du Val de Gilly, qui veulent saisir les autorités pour obtenir des explicatio­ns.
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Dossier : SONIA BONNIN sbonnin@varmatin.com Photos : SOPHIE LOUVET

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