Monaco-Matin

À Menton, les jeunes cherchent leur place “On a le droit de se poser des questions”

Lycéens ou étudiants, les 15-20 ans peinent à engager une dynamique dans la ville du citron. Nous leur avons donné la parole pour comprendre pourquoi.

- DANAÉ PIAZZA

Menton, ses maisons colorées, les Sablettes, la Fête du Citron, et… ses jeunes ?

La “Perle de la France” a la réputation - tenace - d’être une ville pour seniors. Les 1520 ans n’y trouveraie­nt donc pas leur place. Mythe ou réalité ? Le maire de Menton, Yves Juhel, évoque “un temps d’arrêt” quand il “interroge les jeunes sur ce qu’ils veulent”. Qu’en est-il ? Que désirent-ils ? Comment s’engagent-ils ? Sont-ils force de propositio­n et d’initiative ?

Nous avons poussé les portes d’une classe de terminale du lycée Pierre et Marie Curie et interrogé quelques sciencepis­tes.

“Le maire n’a pas tort : c’est vrai qu’il y a toujours un temps d’arrêt, mais c’est normal. On a le droit de se poser des questions”, juge Anaïs. À 19 ans, elle s’est engagée aux côtés du collectif citoyen “Menton Au- trement” aux dernières élections municipale­s.

Un engagement imprévu

mais bienvenu : “C’est ma cousine qui était dans le collectif qui me l’a fait découvrir. Je cherchais à m’engager, j’avais envie de quelque chose de concret. À travers le collectif, je me suis dit que c’était possible d’avoir une action sur la ville”. Aujourd’hui en fin de service civique à la Mission locale de Menton, la jeune femme envisage de poursuivre son action. Elle estime que “pour n’importe quelle cause, c’est important de montrer [que les jeunes sont] là, de ne pas faire les autruches”.

“On les pousse à se cacher”

Elle qualifie la jeunesse mentonnais­e comme “renfermée sur elle-même”. D’une part parce que les jeunes “ne se font pas trop confiance” et d’autre part parce que “peu de gens nous incitent à nous engager”. “Pour certains, ce n’est même pas un mot qui leur traverse l’esprit, mais ce n’est pas l’envie qui leur manque. S’ils avaient tous les outils en main, on pourrait faire de très belles choses. Les jeunes se cachent, parce qu’on les pousse à se cacher”, soutient-elle.

Une idée que partage Rihana, 18 ans. “Les adultes et les personnes âgées ne vont pas nous donner des responsabi­lités. Mais ce n’est pas une bonne solution : on ne se sent pas investi dans le mouvement de la ville”, expose la lycéenne.

Elle pointe aussi une autre raison : “moi je suis majeure donc c’est peut-être plus facile pour moi d’être engagée au sein d’une associatio­n ; les gens ne prennent pas toujours les mineurs au sérieux”.

“C’est comme si nous n’existions pas”

Au lycée Pierre et Marie Curie, les camarades de terminale de Rihana acquiescen­t. “Surtout à Menton”, corrobore Pablo, 17 ans.

Les jeunes y sont-ils minoritair­es ? Pour

Amine, 18 ans, le “préjugé d’une population majoritair­ement âgée” pèse plus que de raison sur la ville. “C’est comme si nous n’existions pas, mais il y a beaucoup de jeunes à Menton”, affirme le lycéen.

Cela agace Elyssa, 17 ans : “On ne nous propose rien. Ça ne nous donne pas envie d’aller voir les gens et de proposer des choses aussi”. “S’ils montaient une associatio­n de jeunes, ça serait bien”, propose Nina, elle aussi en terminale au lycée Curie.

Un conseil municipal des jeunes ?

Par associatio­n de jeunes, il faut sans doute comprendre conseil municipal des jeunes (CMJ). Y participer­aient-ils ? De timides “oui” émergent du groupe.

Lou Anne prend l’exemple de sa commune, Sospel. Un CMJ s’est monté en 2015, à l’initiative de l’ancienne maire Marie-Christine Thouret. Selon Lou Anne, “beaucoup de choses ont été faites pour les jeunes” depuis. “Une salle de sports en extérieur a été rénovée, ils ont fait des efforts pour que nous puissions nous divertir. Il y a eu des propositio­ns, et la maire a fait en sorte que ce soit fait” , raconte-t-elle.

Anaïs abonde : “il manque des dispositif­s pour faire sortir les jeunes. Il faudrait peut-être plus investir dans la mission locale, et la communicat­ion”.

Une communicat­ion difficile

Le manque de communicat­ion entre la municipali­té et les jeunes semble rendre difficile l’éclosion de propositio­ns. “Comment peut-on s’engager si l’on ne nous informe pas ?”, s’interroge cette étudiante de Sciences Po, qui préfère rester anonyme. Rodrigo, 17 ans, l’admet : “Il faut qu’on ait une initiative auprès de la mairie”. Mais pour ce qui est de “comment faire et quoi faire” ,“ça serait bien qu’on nous tienne au courant”, nuance-t-il.

Le problème est aussi plus global. Pour l’étudiante de Sciences Po, “il y a un fossé entre les jeunes et les autres” .Un “fossé” notamment créé par la “mauvaise communicat­ion entre les écoles - même Sciences Po - et les services publics ou les associatio­ns”. “Même si les étudiants de Sciences Po veulent s’engager, on ne leur propose pas assez de choses. Il faudrait que ça vienne un peu plus aux jeunes et que les associatio­ns essaient de recruter”, juge-t-elle.

Associatio­n recherche 15-20 ans

Sébastien Uscher, président de Stand Up for the Planet, note que les 14-20 ans sont les plus difficiles à recruter. Partenaria­ts avec la Mission locale, formations aux enjeux du climat, présentati­ons dans les écoles, autant de moyens mis en oeuvre pour sensibilis­er les milléniaux.

Pourtant, une fois intégrés à la dynamique, les jeunes s’investisse­nt. Selon le président, “ils pensent à leur avenir, ils veulent se battre pour une cause qui, pour eux, a du sens”.

“On ne demande qu’à faire plein de choses”

Une cause qui a du sens, c’est pour cela que s’engagent les étudiants de Sciences Po. Durant leurs deux années universita­ires, les jeunes s’engagent auprès d’une institutio­n pour du bénévolat.

L’année dernière, Leïla, 19 ans, étudiante à Sciences Po, a par exemple participé à des maraudes nocturnes avec la Croix-Rouge et l’associatio­n Arab Student Organisati­on pour aider les sans-abri dans le cadre de son parcours civique.

Selon une de ses camarades, l’école héberge de nombreuses associatio­ns qui incitent les élèves à s’engager. “On ne peut pas dire que les étudiants de Sciences Po ne font pas de propositio­ns, on ne demande qu’à faire plein de choses. Nous sommes plus freinés par les démarches que par l’envie”, affirme la jeune femme.

Freinés par les démarches, mais également par la dynamique de la ville. “Je ne devais pas rester à Menton après le lycée. Mais je me rends compte à quel point c’est incroyable”, confie l’étudiante anonyme. Même si elle considère que “la majorité des gens ne voit pas d’un très bon oeil” l’installati­on du campus de Sciences Po : “les étudiants ne se sentent pas très bien intégrés dans la ville”.

“Ce sentiment de ne pas être à ma place”

Dernière problémati­que : l’intégratio­n. L’étudiante de Sciences Po estime que la réputation de Menton n’incite pas les jeunes à rester, et par ricochets, à s’engager. À cela s’ajoute un sentiment d’illégitimi­té. Anaïs, il n’y a pas si longtemps, se disait qu’elle “[était] trop jeune”, et qu’elle ne pouvait rien apporter. Son engagement politique l’a fait changer d’avis : “J’avais ce sentiment de ne pas être à ma place, qui a vite disparu. Le collectif m’a aidée à ne plus ressentir cette culpabilit­é. Ils m’ont valorisée parce qu’ils avaient besoin de jeunesse, et de nouvelles idées”.

“Quand on a 16 ans, on se dit qu’on part dans 2 ans, qu’est-ce qu’on va pouvoir faire pour la ville ?”, se questionne une étudiante de Science Po.

Selon elle, les jeunes “ne s’engagent pas parce qu’ils ne sont pas là”.

Amine, lui, compose toujours avec ce sentiment. “Menton c’est un peu multicultu­rel, et les partis sont beaucoup à droite, je ne me sens pas légitime, peut-être aussi parce qu’il n’y a pas trop de choix”, suppose-t-il. “Les jeunes ne sont pas représenté­s, estime Rodrigo, “il n’y a presque aucune démarche concrète vis-à-vis de nous. C’est normal qu’on aille ailleurs si on ne se sent pas bien ici”. “Il y a des gens qui sont très défaitiste­s et qui se disent que leur parole ne comptera pas”, résume Anaïs.

Cependant, la jeune femme considère que c’est important de s’engager : “aujourd’hui, je me dis qu’à notre échelle, on peut toujours essayer de faire quelque chose pour notre ville. Je me sens plus utile qu’avant. C’est aux jeunes de s’engager mais aussi à la ville de les accompagne­r”, conclut-elle. Un chemin à construire à plusieurs.

‘‘ C’est important de ne pas faire les autruches ” ‘‘ Je ne me sens pas légitime”

 ?? (Photo J.-F.O) ?? Entre questionne­ments, manque d’informatio­ns, et sentiment d’illégitimi­té, les jeunes mentonnais hésitent à s’engager.
(Photo J.-F.O) Entre questionne­ments, manque d’informatio­ns, et sentiment d’illégitimi­té, les jeunes mentonnais hésitent à s’engager.

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