Du gipsy à l’électrique, ses guitares résonnent
Spécialisé dans les guitares manouches, jouées par les plus grands musiciens et vendues à travers le globe, un luthier grassois passe à l’électrique. Avec le même souci d’excellence.
Matin, soir, semaine, weekend : sous l’arcade de l’avenue Thiers, à Grasse, un immuable décor. Des portes grandes ouvertes, pignon sur rue, d’où s’échappent les notes de musique jouées par le petit poste radio.
Sur les murs de l’atelier, un nectar de ses créations et l’affiche du film
Django, sorti en 2017. Biopic du célèbre musicien de jazz manouche – incarné par Reda Kateb – pour lequel il a réalisé les instruments. Le nez sur l’établi, entre les feutres et les lamelles de bois, Jean Barault créé. Tout à son art, sous le regard faussement endormi de Filo, toutou tranquille mais gardien du temple.
La même rengaine, depuis 2018 et son arrivée de Cabris. Et pourtant, en y regardant de plus près, quelque chose a changé dans l’atelier du luthier grassois. «Çafaitàpeu près un an que je me suis mis à l’électrique. Mais j’ai beaucoup de commandes sur les guitares manouches, donc j’avance lentement », dévoile-t-il, embrassant du regard les pièces en cours de fabrication.
« Je suis tombé amoureux de ce look »
À 53 ans, celui qui a étreint le métier il y a plus de deux décennies – après s’être « énamouré de la musique manouche en 1998 » dans un bar parisien – a eu envie d’un nouveau challenge. D’ajouter une
corde à sa gratte. « Il n’y a pas de lassitude, la passion est là. Je suis si bien dans cet atelier. Dès que je le quitte, il me manque, promet-il. Mais j’avais l’impression de faire toujours la même chose. Là, l’approche est différente, ce n’est plus vraiment de la lutherie pure. »
Car, à l’inverse de l’acoustique qu’il crée de A à Z, nombre de pièces lui arrivent directement préconçues. « La seule que je fabrique, c’est le pickguard [plaque qui protège la caisse d’une guitare].
Ensuite, je fais les finitions, l’assemblage, les caches micros. »
Forcément, les délais de fabrication s’en trouvent réduits – un mois pour une acoustique, moitié moins pour une électrique. Le plaisir de la création aussi. « Mais j’aime ces grattes, je suis tombé amoureux de ce look. »
Le hérisson de Tchavolo est toujours là
Ce look, c’est celui de la Coodercaster, guitare de la légende américaine, Ry Cooder. Si le geste est, donc, plus impersonnel, Jean Barault ne déroge pas à la règle qui a fait sa renommée côté « gipsy » : la qualité avant tout. « Je ne prends que des matériaux haut de gamme. Rien que le prix de revient, c’est plus de 1 000 euros par instrument,
estime-t-il. Et je ne peux déjà plus m’aligner sur certains modèles chinois. » Les siens ? Il faut compter autour de 2 500 euros.
Du vert originel de la Coodercaster, il a tiré trois autres déclinaisons – frappées du hérisson de Tchavolo Schmitt, dont il a fait son logo : rose, bleu et blanc, « couleurs phares » de Fender. Un fabricant qui tient « près de 90 % du marché de l’électrique. Pour se faire une place, ce n’est pas évident. »
Passer d’une clientèle jazz à une davantage axée blues et rock. Trouver sa niche, aussi. À cet effet, un de ses modèles a été exposé, durant près d’un mois, au Music 3 000 de Mandelieu, pour rencontrer le public.
Verdict ? « Les retours sont bons. Il y a l’aspect défi, mais aussi business, avoue-t-il. Ces quatre Coodercaster, je les vendrais mais il ne faut pas être pressé. J’y vais sans pression, on verra bien. » À côté des bijoux inspirés par Ry Cooder, il s’éclate à évoquer une autre commande, la toute première. « Un fan d’Eddie Van Halen m’a demandé une réplique de la Frankenstrat ; c’était vraiment top à réaliser. »
Alors, chez Jean Barault, les Cooder et autres Van Halen ont-ils remplacé les Biréli Lagrène, Thomas Dutronc, Stochelo Rosenberg et Tchavolo Schmitt, autant de grands noms qui ont flashé sur son travail ? Pas pour tout l’or du monde... « Je n’en ai pas fini avec le manouche, se marre-t-il. D’ailleurs, en ce moment, je suis en train d’achever une commande de cinq guitares pour le magasin Django Books de Seattle. »
Les États-Unis, mais aussi le Japon, l’Australie, l’Allemagne, les PaysBas, l’Italie, la France [« mais pas
tant que ça »]... Le talent de Jean Barault s’exporte partout sur le globe. Renommée qu’il doit davantage au bouche-à-oreille qu’aux lumières du film Django.
« Ça a aidé, mais pas plus que ça
non plus, indique-t-il. Après, ça reste une fierté. Puis, Stochelo Rosenberg [auteur de la bande originale du film avec Warren Ellis],
que j’ai croisé lors d’un concert, m’a dit que les droits ont été rachetés par des membres du groupe U2. Alors, s’il y a un nouveau film sur Django, peut-être me demandera-ton une nouvelle guitare... » Ça semblerait, en effet, bien inspiré.