Monaco-Matin

Encore dans les mémoires

La première finale du Gym gagnée (5-3) face à Bordeaux a marqué le football français tant elle fut intense et spectacula­ire.

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Nice et Bordeaux ne se quittent plus. C’est l’amour foot. Les deux équipes habitent le haut du classement. Elles avancent main dans la main. A l’approche de la 35e finale de l’histoire de la Coupe de France, le Gym est leader du championna­t avec un souffle d’avance sur les Girondins. Les inséparabl­es se sont donné un nouveau rendez-vous, le dimanche 4 mai 1952 à 15 heures, à Colombes, pour un choc attendu de tous. Pour la première fois, en France, un match va être retransmis en direct à la télévision. Un petit exploit. Domingo, Gonzalez, Bonifaci, Cesari, Nurenberg et les autres vont entrer dans tous les foyers du pays. Raison de plus pour rendre ce moment inoubliabl­e.

Les supporters niçois ont le choix : monter à Paris ou acheter un poste de télé. Ils seront nombreux à faire le déplacemen­t par la route ou en train. Pour l’occasion, une vingtaine de bus, affrétés par la ville, ont été repeints aux couleurs du Gym. On imagine le concert de klaxons pendant 900 kilomètres. La loco rouge et noir fonce, elle aussi, joyeusemen­t vers la capitale. Le peuple nissart a foi en son équipe. Il en est fier. Normal : le Gym, champion de

France en titre (1951) vise cette fois le doublé. La gloire est au bout du chemin.

Les Niçois en boîte de nuit...

Surprise : l’OGCN et les Girondins sont descendus dans le même hôtel parisien. Cette coïncidenc­e va donner une idée à Numa Andoire. Une de plus... Personnage hors du commun, l’entraîneur du Gym a mille tours dans son sac de sport. Il demande à ses joueurs de se mettre en costume pour le dîner servi vers 19h dans un salon de l’hôtel. Dans la pièce d’à côté, les Bordelais sont en survêtemen­t. Le décalage en annonce un autre. Après le souper, alors que les Girondins regagnent leurs chambres pour aller se coucher, les Niçois et leur coach sortent boire un verre dans Paris. Numa Andoire sourit. L’entraîneur bordelais, André Gérard, n’en croit pas ses yeux. Pour lui, c’est une folie. Numa Andoire est drôle, malin, fantasque, anticonfor­miste, truculent. Il est tout. Sauf fou. Oui, il y a du génie en lui. « Avant un tel match, les joueurs tardent à trouver le sommeil. C’est pour ça que j’ai préféré les emmener dans une boîte de nuit. Pendant que nos adversaire­s tournaient et se retournaie­nt dans leur lit, nous avons bu une coupe de champagne et écouté un peu de musique. A minuit, les gars étaient couchés. Et je peux vous dire qu’ils ont dormi comme des pioupious. Alors que dès 6h du matin, les Bordelais, eux, erraient dans le hall de l’hôtel après une nuit agitée» , racontera plus tard Numa Andoire. C’est finaud avant une finale.

Le choix de Numa

Ce n’est pas le seul coup d’éclat du coach niçois. Sa compositio­n d’équipe a déjà fait pas mal de bruit. Elle a même divisé la ville en deux. Tout ce tapage à cause d’une promesse faite en Lorraine. Une semaine avant ce Nice-Bordeaux, le Gym se rend à Metz. A quatre journées de la fin du championna­t, ce rendezvous est crucial. Dans le vestiaire, à quelques minutes du coup d’envoi, Numa Andoire réunit ses hommes : « Vous êtes onze. Si vous remportez ce match, vous serez titulaires lors de la finale de Coupe de France ». Problème : Désir Carré et Per Uno Bengtsson ne sont pas au stade Saint-Symphorien. Le milieu de terrain aux pieds d’or, capitaine indiscuté et indiscutab­le ainsi que l’attaquant suédois, meilleur buteur de l’équipe, ont été laissés au repos. Ils sont remplacés par Carniglia et Nurenberg. Coaching gagnant : le Gym s’impose 2-0 et se rapproche du sacre. Lors du voyage retour, Monsieur Albert, grand dirigeant de l’OGCN s’adresse à l’entraîneur : « Numa, tu ne vas pas faire ça ! Si on perd la finale sans Carré, ni Bengtsson, les supporters vont nous attendre à la gare avant de nous pendre aux arbres de l’avenue de la Victoire ». Mais Numa Andoire est un homme de parole. Il fera ce qu’il a dit.

Quand il annonce son onze de départ dans les colonnes de Nice-Matin, c’est l’émeute. Ou presque. Il reçoit des lettres d’insultes, de menaces. Il est hué dans la rue. La colère s’éteindra au fil des jours. La passion est plus forte que tout.

Coup de folie sur la finale

Enfin le grand jour. Le ciel est gris sur Paris. Le stade de Colombes est plein comme un oeuf. Près de 62.000 spectateur­s se sont mis sur leur 31 pour assister à l’événement. Les joueurs sont show. A la 12e minute, il y a déjà 2-1 pour l’OGCN. Les buteurs niçois s’appellent Nurenberg et Carniglia. Tiens, tiens... Numa Andoire peut se frotter les mains. La pointe Vic (Nurenberg) a ouvert le score suite à une percée dont il a le secret avant que Carniglia, bien servi par Cesari, ne claque du droit. Entre-temps, Baillot avait égalisé.

C’est chaud devant le but de Domingo. Mais les Niçois tiendront le choc et la Coupe de France dans leurs bras.

Belver de loin donne une avance encore plus conséquent­e aux Azuréens (3-1). Le match est fou. N’est-ce pas Kargu ? Sa tête redonne espoir à toute la Gironde. A la pause (3-2), Colombes en a déjà pris plein les yeux. Baillot, encore lui, épaissit le suspense (3-3). A 30 minutes du verdict, impossible de faire un pronostic. Trop serré. Nice et Bordeaux sont collés. Mais en ce début des années 50, le Gym est irrésistib­le. Firoud accélère, Carniglia s’active et Ben Tifour termine le travail d’un tir laser (4-3). Cesari, après un une-deux avec Nurenberg enfonce le clou dans le coeur des Girondins (5-3).

Le doublé et Nissa la Bella

Le stade explose, les commentate­urs montent le son, les téléspecta­teurs exultent. Nice-Bordeaux devient la plus belle finale de l’histoire de la Coupe de France. La plus spectacula­ire. La plus palpitante. Le président Vincent Auriol remet le trophée au capitaine Jean Belver et lui glisse à l’oreille : « Ramenez-la dans votre beau pays, vous l’avez bien mérité ». Les joueurs niçois ont aussi bien mérité leur ‘‘primette’’. Ils passent la soirée dorée au casino d’Enghien. Dîner de gala et tout le tralala. Le lendemain, ils sont invités à disputer un match amical à Créteil. Programme surréalist­e... Le mercredi matin, ils sont enfin de retour en gare de Nice dans une folle ambiance. Tout le monde est là. L’homme de la rue et les politiques. Numa Andoire est porté en triomphe. L’inoubliabl­e Désir Carré peut enfin toucher la Coupe. Le bonheur se partage entre frères de jeu et d’âme. On chante la miéu bella Nissa. On danse. On s’embrasse. On joue du fifre. On frappe sur les tambourins. Quelques jours plus tard, l’OGC Nice est aussi sacré champion de France avec un point d’avance sur... Bordeaux.

Le Gym tient son premier et seul doublé. Il tient aussi son morceau de gloire. Son moment d’éternité.

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 ?? ?? Les vainqueurs de la Coupe de France 1952 : Bonifaci, Gonzalez, Poitevin, Domingo, Firoud, Belver. Accroupis : Courteaux, Nurenberg, Césari, Carniglia, Ben Tifour.
Les vainqueurs de la Coupe de France 1952 : Bonifaci, Gonzalez, Poitevin, Domingo, Firoud, Belver. Accroupis : Courteaux, Nurenberg, Césari, Carniglia, Ben Tifour.
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Duel Bonifaci-Baillot.
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