Monaco-Matin

Le Fort Carré d’Antibes DE NICOLAS DE STAËL

C’est en 1955 que l’artiste peintre, installé dans son atelier sous les remparts d’Antibes, peint sur une toile de deux mètres de large, cette vue de la mer par temps d’orage.

- ANDRE PEYREGNE magazine@nicematin.fr

On était au début de l’année 1955. Le temps était à l’orage. Dans notre région, même par temps d’orage, la lumière possède une certaine transparen­ce. Depuis son atelier, sur les remparts d’Antibes, Nicolas de Staël observait le Fort Carré. Il entreprit de peindre le paysage qui s’étalait sous ses yeux. Et de le peindre en grande dimension. Il choisit un format panoramiqu­e – une toile de près de deux mètres de largeur.

Ce serait la dernière fois qu’il peindrait le Fort Carré. Quelques semaines plus tard, le mercredi 16 mars, il se jetterait du toit de sa maison.

Nicolas de Staël avait 41 ans et avait été porté à la folie par une aventure amoureuse extraconju­gale dont il ne voyait pas l’issue.

L’aimée s’appelait Jeanne Mathieu. Elle était mariée. La veille de son suicide, Staël réunira ses lettres et les rendra à son mari avec ces mots : « Vous avez gagné ».

Un temps d’orage

Pour l’instant, il est absorbé par la vision du Fort Carré. Il est là, seul, debout, à la barre de son atelier en forme de proue au-dessus des eaux sombres de la Méditerran­ée. Cela fait plus d’un an qu’il s’est installé en cet endroit qui était auparavant l’atelier de l’artiste Hélène Dufau. Il est situé à l’angle de la promenade Amiral de Grasse et de l’impasse Revely.

À Antibes, Nicolas de Staël était venu chercher le soleil, il y a rencontré l’orage. Sous ses yeux s’étale cette mer aux transparen­ces grises, bleues, noires – le « golfe d’ombre » dont parlait Rimbaud. Et voilà le paysage qui prend vie sur sa toile. Il se déploie en une succession d’aplats horizontau­x, une superposit­ion de géométries brouillées qui font la force et l’originalit­é de l’art de Nicolas de Staël.

Au Musée Picasso

Il décline un camaïeu de couleurs bleues, grises et blanches. On est ici dans le mariage de l’abstrait et du figuratif.

Ce tableau est conservé au Musée Picasso

d’Antibes et présenté en majesté dans une vaste salle qui est dédiée à Nicolas de Staël où l’on trouve également son oeuvre inachevée, ultime et bouleversa­nte, Concert, entreprise quelques jours avant son suicide. Jean-Louis Andral, conservate­ur du Musée, commente : « Nous sommes à l’époque où Nicolas de Staël est revenu au figuratif et a abandonné les aplats au couteau. Au-delà de la beauté visuelle de cette représenta­tion par temps d’orage, on est sensible au côté dramatique de cette oeuvre – mais peut-être est-on influencé par ce qu’on sait de la fin tragique de l’artiste. »

Ici, point de lignes fuyantes ni de volume en perspectiv­e, la profondeur est assurée par le jeu des traînées de couleurs.

Il n’y a pas âme qui vive : nul passant, nul pêcheur, nulle voile sur l’eau. Et pourtant, on peut imaginer que les aplats du bas de la toile et les lignes de couleur représente­nt les quais, la route, la digue, les bateaux amarrés. Malgré l’aspect sombre de la scène, ce tableau a sa lumière intérieure. On est séduit par les vibrations qui se dégagent de cette oeuvre, par son élégance, par l’harmonie que créent les correspond­ances entre les formes et les tons. Tout l’art de Staël.

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