Monaco-Matin

Comment redonner vie aux auberges rurales ?

De nombreux maires ruraux sont confrontés à la fermeture de leur bistrot, principal lieu de rencontre des habitants. Des initiative­s voient régulièrem­ent le jour avec un défi : la viabilité.

- ANTOINE LOUCHEZ alouchez@nicematin.fr

U «n village vivant, ce sont plusieurs petits feux qu’il faut entretenir en même temps. » La comparaiso­n émane du maire d’un petit village de l’arrière-pays niçois, qui lutte régulièrem­ent pour maintenir ses « petits feux » : une école, une boulangeri­e, mais aussi… un bistrot. Dans les communes rurales, le bistrot n’est pas qu’un endroit où l’on vient boire des coups. « Un village sans auberge, c’est une horreur, résume Denise Leiboff, maire de Lieuche, dans le Cians. Pour nous, c’est un lieu de rencontre des habitants, qui fait venir les gens de l’extérieur. C’est vraiment un lieu de vie, un lieu d’accueil. »

« Il faut être attractif »

La fermeture du troquet du village est vécue comme celle de l’école : un syndrome et un accélérate­ur de la désertific­ation rurale. Un problème de société auquel est confronté un grand nombre de maires des Alpes-Maritimes et du Var. Et les initiative­s suivent, avec plus ou moins de succès.

Le label “Bistrot de pays”, lancé en 1995 dans les Alpes-de-Haute-Provence pour « maintenir le lien social dans les villages » ,aprouvésav­aleur. On en compte aujourd’hui 4 dans les Alpes-Maritimes et 5 dans le Var. Selon Bastien Giraud, directeur de la fédération nationale des bistrots de pays, le label a rempli sa mission « partout » où il a été attribué. Tout en assurant « une hausse de 17 % du chiffre d’affaires » pour le restaurate­ur.

Le secret ? Miser sur « la viabilité ». « Il faut être attractif, développe Bastien Giraud. La clientèle locale ne suffit pas. Il faut attirer les habitants, ainsi que les excursionn­istes comme les Niçois à Coursegoul­es ou les Dracénois à Ampus. Mais aussi les touristes. Il faut jouer sur tous les tableaux. »

« Un contrat équilibré »

Avant d’attribuer le label, la fédération vérifie la solidité du projet, les chiffres, les comptes prévisionn­els, que ce soit une affaire en cours ou en constructi­on. Le directeur de la fédération sait à quel point les élus locaux sont impliqués dans la relance de leur commerce : «60% des bistrots de pays en Paca ont des murs communaux ». Cas typique : la commune a racheté les murs de l’ancienne auberge restée fermée et l’a retapée, avant de miser sur un repreneur. Et il connaît les erreurs classiques. « Globalemen­t,

il faut que le contrat soit équilibré. D’un côté, il y a la commune, qui a investi et qui défend l’intérêt général, de l’autre, le commerçant qui doit gagner sa vie. Ce n’est pas un hobby. Le contrat ne doit pas être trop court, pour qu’il ait de la visibilité, le montant ne doit pas être prohibitif et il faut un partage de la prise de risqus. »

Comment rester ouvert toute l’année ?

Situation assez classique : la commune exige une ouverture à l’année, alors que c’est intenable économique­ment pour deux salaires. « Dans les zones où il y a des problèmes d’accessibil­ité, ou à faible densité de population, ce n’est pas possible d’ouvrir dix mois sur douze », tranche Bastien Giraud. Résultat : un gros turnover chez les repreneurs, qui déchantent rapidement.

À l’inverse, les mairies cherchent la perle rare qui fera tourner la boutique toute l’année. À Lieuche, la municipali­té n’a pas postulé pour le label Bistrot de pays, mais a investi 700 000 euros sur plusieurs années pour construire Lou Nieu D’Aïgle, son auberge. Un montant « énorme » pour cette commune de 44 habitants, souligne la maire, Denise Leiboff. Le gérant doit ouvrir à l’année.

« Ils doivent faire leur pub »

Depuis qu’elle a ouvert en 2017, cinq gérants se sont enchaînés. La maire évoque ceux «qui se disputaien­t tout le temps » ,un « falabrac » et du bout des lèvres ceux qui sont partis parce qu’ils n’y trouvaient pas leur compte. « C’est compliqué dans nos auberges. On fait tout pour les faire travailler, mais ce n’est pas avec nous qu’ils vont gagner leur vie. Ils doivent aussi faire leur pub ».

Depuis août, c’est Philippe Sassau qui a décidé de relever ce « challenge intéressan­t » avec sa compagne Fanny. Il y croit. Pour le moment il n’y trouve pas son compte. « Le bouche-àoreille finira par marcher, espère-t-il. Si je n’avais pas d’autres ressources ailleurs, je ne pourrais pas fonctionne­r. On verra bien pour la saison. Pour l’instant c’est très difficile ». Lui aussi glisse une idée : que les pouvoirs publics ne demandent pas de loyer « pour les six mois de la saison morte ».

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(Photo Cyril Dodergny) Le label “Bistrot de pays” a été créé pour redynamise­r certains villages ruraux et redonner du lien social.
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(Photo J. P.)

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